XVIIIe siècle – 1970
Le trafic de drogue a toujours existé parallèlement à la vente légale de drogue. Le trafic de stupéfiants est lui apparu une fois que des drogues ont été prohibées. La première interdiction internationale concerne l’opium et remonte à 1912.
Les cartels et les mafias se sont nourris des drogues. Mais aussi les banques, les laboratoires pharmaceutiques et les partis politiques, relève le documentaire « Histoire du trafic de drogue ». Le premier épisode, « L’ère des empires », décrit comment l’opium, découvert par les puissances coloniales, va passer du statut de « produit miracle » à « fléau international ».
La couronne britannique vendeuse d’opium
La Grande-Bretagne est la première à avoir mis un pied dans ce gigantesque échiquier qu’est le trafic de drogue. Au XVIIIe siècle, alors qu’elle étend ses zones d’influence, la Couronne britannique veut forcer la Chine, alors autosuffisante, à ouvrir son marché économique. Pour parvenir à ses fins, elle veut rendre les Chinois dépendants à l’opium. Une partie de l’élite chinoise tombe dans le subterfuge et devient opioïnomame. En 1800, l’empereur interdit la culture du pavot. La Couronne se lance alors discrètement dans la contrebande, via des marchands privés. Ceux-ci vendent l’opium des Indes britanniques aux triades chinoises, qui s’enrichissent. Menacé, le nouvel empereur interdit alors la consommation d’opium.
Pugnace, la Grande-Bretagne déclenche une guerre de l’opium (1839-1842), suivie d’une seconde (1856-1860). La Chine perd et est contrainte de réautoriser l’opium et d’ouvrir son commerce aux puissances étrangères. Passé en mains britannique, Hong Kong devient une plaque tournante de l’opium. En 1865, une banque est fondée pour financer ce commerce: HSBC (Hong Kong and Shangai Banking Corporation). L’économie chinoise s’affaiblit, les révoltes populaires augmentent et les Chinois émigrent par milliers.
La dépendance à l’opium devient mondiale
A partir de 1882, la France entre dans l’arène. Pour financer la colonisation, l’État crée la Régie générale de l’opium, qui transforme la substance venue d’Inde ou de Chine en paquets prêts à fumer. L’opium s’installe si bien dans les foyers que l’opiacé va fournir jusqu’à un tiers du budget de l’Indochine. Les puissances britanniques, espagnoles ou hollandaises financeront leurs colonies asiatiques par le même modèle jusqu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, faisant des millions de victimes malgré la pression des missionnaires.
Avec la diaspora chinoise, la pratique de l’opium se répand dans tout l’Occident, en particulier dans les couches aisées. Parallèlement se développe l’usage médical de la morphine, principal alcaloïde de l’opium découvert en 1804. Distribuée sur les champs de bataille, la morphine apaise les douleurs mais entraîne une trop forte dépendance. Pour lutter contre « la maladie du soldat », les industries pharmaceutiques développent alors la cocaïne.
Cocaïne et héroïne, les remèdes miracle
Vendue librement en pharmacie sous diverses formes, la cocaïne est fortement prisée dans la deuxième moitié du XIXe siècle, en particulier dans la haute société.
En 1898, les laboratoires Bayer proposent une alternative révolutionnaire à l’opium et à la morphine, « recommandée pour soigner la toux des nourrissons »: l’héroïne.
La prohibition et la création du narcotrafic
Face aux problèmes d’addictions, le XXe siècle connaît un véritable volte-face. Les États-Unis entame une période de prohibition en 1909, tandis que la Chine, qui déplore 13 millions d’opioïnomanes, interdit à nouveau l’opium. A partir de 1914, les psychotropes ne sont délivrés plus que sur ordonnance. L’alcool est interdit dès 1919. Les personnes dépendantes n’ont plus qu’à se tourner vers le marché noir.
Pour faire face à la demande, les réseaux criminels se lancent dans le raffinage. Une entreprise familiale ouvre le premier laboratoire clandestin au Mexique, où était cultivé le pavot pour les pharmas américaines.
Les premiers arrangements entre amis
La prohibition atteint le Vieux continent. Marseille devient un centre de contrebande international, avec l’aval des autorités locales. Portée par Paul Carbone, la filière corse transforme l’opium d’Orient en héroïne avant de le transférer aux États-Unis.
En 1927, la Chine devient le premier narco-État. Le chef d’une triade est nommé général par Tchang Kaï-chek, qui dirige alors l’un des trois gouvernements chinois. Du Yuesheng est chargé de l' »éradication de la consommation d’opium ». En réalité, il partage les profits du commerce de l’opium entre son gang (la Bande Verte) et le parti au pouvoir (le Kuomintang). Son laboratoire d’héroïne se trouve au cœur de Shanghai. Il reste au pouvoir lorsque Tchang Kaï-chek devient président de toute la Chine.
Aux États-Unis, la mafia italienne supplante les mafias juives et irlandaises, grâce aux méthodes d’Al Capone, qui allient violences et corruption. En 1933, l’alcool est à nouveau autorisé. Déstabilisée, la mafia italienne, portée désormais par Lucky Luciano, s’allie avec le chef de bande juif, Meyer Lansky, pour ouvrir un trafic d’héroïne. Face à cette complexification du trafic, un certain Harry Anslinger jette les bases de la lutte anti-drogue en mêlant grandes enquêtes, coopération internationale et films de propagande.
Le trafic international s’intensifie
A la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Américains sont implantés en Sicile. Se méfiant tant des fascistes que des communistes, ils installent des mafieux aux mairies de l’île puis rapatrient des gangsters, tels que Lucky Luciano. Ce dernier fonde la French connection avec la filière corse, elle-même affiliée à l’État français qui vend en cachette l’opium des Hmongs du Laos pour financer le conflit en Indochine (Opération X). Elle sera active jusque dans les années 1970.
A partir de 1955, la Chine est communiste, les triades ont fui à Hong Kong et les cultures de pavot ont à nouveau disparu. La production d’opium est reprise par les dissidents chinois du Kuomintang, installés en Birmanie, en Thaïlande et au Laos, donnant naissance au Triangle d’Or. Ces militaires ont le soutien des États-Unis, qui estiment que le communisme constitue une plus grande menace que le trafic de drogue. Mais ce même opium s’implante aux États-Unis. Dès les années 1960, l’héroïne est prisée chez les jeunes qui défendent la contre-culture. Et chez les soldats envoyés au Vietnam. En 1971, le président Nixon clame : « l’ennemi public numéro un des États-Unis est la toxicomanie ».
Crédits
Article et réalisation web: Caroline Briner
« Histoire du trafic de drogue »
Proposé par Les documentaires de la RTS – Steven Artels
Histoire Vivante- Frédéric Pfyffer et Jean Leclerc
Réalisation: Christophe Bouquet et Julie Lerat
Février 2020
Source : rts.ch