Nicole Belloubet, Gérald Darmanin, Christophe Castaner et Laurent Nuñez vont présenter le plan du gouvernement, en gestation depuis plus d’un an.
POLITIQUE – Une guerre sans fin : à Marseille, la police n’a de cesse de s’attaquer aux trafics qui gangrènent les cités et se réinstallent souvent aussi vite qu’ils sont démantelés. Ce mardi 17 septembre, les ministres de la Justice, de l’Intérieur et des Comptes publics ont présenté la nouvelle stratégie gouvernementale contre la drogue, avec à la clé une très attendue réforme de l’office « anti-stups ».
En neuf mois, les règlements de comptes liés à la drogue ont fait neuf morts dans la région de Marseille, avec une série d’une dizaine de blessés par balles ce weekend. Le chiffre reste bien inférieur aux 23 morts déplorés l’an passé, mais il est aussi signe que des bandes criminelles continuent de s’entretuer pour le contrôle du trafic. « Il y a beaucoup d’affaires qui sont faites (résolues, ndlr) et réussies », et « il y a moins de règlements de comptes que les années précédentes », souligne un gradé de l’Évêché, le QG de la police marseillaise.
Dans la ville, plusieurs centaines de fonctionnaires travaillent à la lutte anti-drogue, depuis les enquêteurs spécialisés de la police judiciaire (PJ) qui traquent les dirigeants des plus gros trafics, jusqu’aux hommes des brigades spécialisées de terrain (BST) chargés de « harceler » les dealers de cannabis jusque dans les cages d’escalier. Ces services affirment s’être habitués à travailler ensemble, au gré des « méthodes globales » et autres « stratégies proactives » mises en place pour tarir le trafic à sa source.
Cette méthode dite du « pilotage renforcé », qui s’appuie sur le décloisonnement du renseignement criminel entre différents services, a été initiée depuis 2015 par plusieurs « figures » de la sécurité à Marseille dont certains ont depuis rejoint les couloirs de la place Beauvau, à l’instar de Laurent Nuñez.
Les résultants ont été jugés « probants » par les autorités en matière de lutte contre les stupéfiants: en 2018, 68 réseaux ont été démantelés par la police, et 177 personnes écrouées, des chiffres en augmentation chaque année depuis 2015. De fait, cette approche collective pourrait servir de fil rouge au plan « stups » dont les détails n’ont pas encore été dévoilés par les ministères concernés.
Pour lutter contre les stups, l’union fait la force
Initialement annoncé pour l’été 2018 par le président Emmanuel Macron lors de la présentation de mesures en faveur des banlieues, ce plan « anti-stups » a pâti des tempêtes politiques et sociales qui ont secoué l’exécutif depuis plus d’un an, entre affaire Benalla, démission fracassante de Gérard Collomb ou encore crise des gilets jaunes, et ont retardé son lancement.
Plusieurs sources proches du dossier ont également fait valoir que ce plan avait fait l’objet d’âpres discussions entre ministères et administrations, notamment sur le projet très sensible de réorganisation de l’office « anti-stups ».
Éventé depuis plusieurs mois dans la presse, le projet de refonte de l’Office central pour la répression du trafic illégal de stupéfiants (Ocrtis) est attendu comme l’une des principales mesures du plan, avec à la clé changement de nom, réforme de son pilotage et désignation comme « chef de file » de la lutte antidrogues sur le modèle de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) en matière d’antiterrorisme.
C’est une commissaire de police qui est pressentie pour prendre la tête du nouvel office qui reste dans le giron de la direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) avec une équipe néanmoins désormais ouverte aux gendarmes, douaniers et magistrats. L’acronyme « OFAST » paraissait tenir la corde pour désigner le nouvel ensemble.
« La clé est dans notre capacité à travailler tous ensemble », relève un haut responsable policier, « de beaucoup plus travailler en renseignement et de supprimer les concurrences stériles entre tous les acteurs ».
La police agit et la justice marseillaise est « assez répressive, mais ça ne suffit pas », estime la députée LREM Alexandra Louis, parlementaire élue des quartiers Nord, pour qui il faut « aussi plus d’éducatif, d’initiatives associatives pour entourer les familles ».
Légaliser pour mieux cibler?
La création de ce nouvel office pourrait définitivement tourner la page des récents scandales qui ont entaché la réputation du prestigieux office anti-drogues sur fond de politique du chiffre, de rivalités entre services et de crise de confiance entre policiers et magistrats.
L’affaire dite « François Thierry », du nom de l’ ancien patron de l’Ocrtis (2010-2016) a durablement marqué les esprits.
Ce commissaire aux brillants états de service a été mis en examen en août 2017 pour complicité de trafic de stupéfiants et en 2018 pour l’organisation d’une fausse garde à vue d’un informateur. Le commissaire, qui nie les faits, est visé par ces enquêtes qui mettent en cause les pratiques controversées de l’Ocrtis du temps où il le dirigeait, en particulier la gestion des « indics », acteurs sulfureux mais jugés nécessaires par les policiers.
Largement dominé par l’importation de résine de cannabis en provenance du Maroc, le trafic de stupéfiants est le premier marché criminel dans l’hexagone. Il est estimé à au moins 3,5 milliards d’euros, d’après les autorités. Selon des données du ministère de l’Intérieur, les services « anti-stups » français ont saisi 100 tonnes de cannabis (+18%) en 2018.
Mais pour certains avocats, ainsi que le sociologue Laurent Mucchielli, la lutte contre le trafic doit également passer par une dépénalisation de certains substances. « Pour une approche vraiment globale il faudrait sortir de la prohibition », explique Laurent Mucchielli à l’AFP. « Une grande partie du travail de la police est centrée sur les petits vendeurs, une dépénalisation et une réglementation permettrait de se concentrer sur les gros réseaux », ajoute-t-il
Source : Huffpost