Depuis que l’État de New York a légalisé la marijuana à des fins récréatives, les coffee shops fleurissent. Les autorités hésitent à réprimer ces commerces dépourvus de licences, qui risquent pourtant de siphonner le marché officiel, raconte “The New York Times”.
En ce dimanche après-midi, Austin Garza, venu de Dallas pour faire du tourisme à New York, est de passage à Manhattan dans la succursale principale de la chaîne Weed World Candies pour y acheter deux joints préroulés.
Devant le magasin, il ouvre le tube jaune estampillé “Super Silver Haze” et, son joint allumé, propose des taffes aux passants, dont trois acceptent bien volontiers.
- 1996 : La Californie devient le premier État américain à autoriser l’usage thérapeutique du cannabis.
- 2012 : Le Colorado et l’État de Washington sont les deux premiers États à légaliser la consommation de cannabis à des fins récréatives.
- 2016 : Le vote de la Proposition 64 légalise l’usage récréatif du cannabis en Californie.
- Novembre 2022 : Au total 21 États américains ont légalisé l’usage récréatif du cannabis. Les deux derniers États à l’avoir fait sont le Maryland et le Missouri, à l’issue de référendums d’initiative populaire soumis au vote lors des élections de mi-mandat du 8 novembre.
Inauguré en 2019, le magasin a longtemps détonné entre les pizzerias, les boutiques de gadgets et les tours de bureaux qui jalonnent la Septième Avenue entre Times Square et la gare de Penn Station. Mais, depuis quelques mois, d’autres coffee shops sont apparus sur cette même artère pour vendre illégalement du cannabis aux New-Yorkais, aux habitants des banlieues et aux touristes.
Une situation confuse
Tantôt minimalistes tantôt criardes, les boutiques de cannabis illégales font florès à New York depuis la légalisation de la substance dans l’État il y a un an.
Et alors que le marché légal s’apprête enfin à être lancé, les autorités sont de plus en plus pressées d’intervenir face à ces commerces qui créent la confusion, aussi bien chez le chaland que chez les agents de police.
Les pouvoirs publics et des représentants du secteur appellent ainsi à leur fermeture, de peur qu’ils ne siphonnent le marché officiel. La question est en effet devenue plus urgente encore depuis le lundi 21 novembre et la délivrance des premières autorisations de vente au détail de cannabis récréatif à 36 entreprises commerciales et organisations à but non lucratif. Selon les représentants de l’État de New York, les ventes devaient être effectivement lancées avant la fin de l’année.
Or, si rien n’est fait, ces nouveaux revendeurs agréés se retrouveront mis en concurrence avec des commerces sans agrément mais déjà implantés sur le marché.
La prudence de la mairie
À New York, la municipalité d’Eric Adams rechigne à vraiment réprimer. Selon la porte-parole du maire, Kayla Mamelak, les bureaux du shérif, modeste agence de maintien de l’ordre, ont mené des centaines d’inspections qui ont débouché sur des confiscations de produits, des amendes et des arrestations. “Le maire se veut ferme, et aucune activité commerciale illégale ne doit être tolérée”, a-t-elle assuré.
Mais les autorités new-yorkaises n’ont aucune envie de réveiller les souvenirs douloureux de la guerre contre la drogue [dans les années 1980], marquée par des arrestations en pagaille, juge Jeffrey Hoffman, avocat spécialisé dans le droit du cannabis et militant de la légalisation.
Tout a changé”, estime-t-il.
“La seule question restait de savoir combien de temps ils resteraient les bras croisés.”
Les défenseurs des boutiques non agréées avancent qu’elles emploient des gens, et qu’elles approvisionnent une clientèle qui attendait depuis des mois l’ouverture d’enseignes légales. La légalisation du cannabis dans l’État remonte à mars 2021.
Des centaines de boutiques non agréées
Depuis cette date, les boutiques ont poussé comme des champignons – à deux rues d’un commissariat à Long Island, en face d’un collège à Harlem, à la sortie d’une station de métro à Williamsburg, notamment. Il y en aurait en tout plusieurs centaines dans l’État de New York, avancent des spécialistes du secteur.
À Weed World Candies, un grand panneau liste en couleurs fluo les noms exotiques des différentes variétés d’indica et de sativa proposées, assortis de leur teneur en THC, ou tétrahydrocannabinol, principale molécule active du cannabis.
Bilal Muhammad, le propriétaire des lieux, assure cependant que son magasin, contrairement à d’autres, n’a jamais vendu que des produits contenant du cannabidiol, ou CBD, une substance issue du chanvre mais non psychotrope, elle.
Il n’empêche que la vente de CBD comme celle de THC nécessite une licence, et que Weed World Candies ne possède aucune des deux, reconnaît Bilal Muhammad. Mais il s’agace de voir les pouvoirs publics le mettre dans le même sac que les commerçants proposant des produits psychotropes à base de THC.
Cet été, la ville a ainsi saisi une grosse dizaine de ses camions colorés, raconte Bilal Muhammad. Le chef d’entreprise a dû s’acquitter de 670 000 dollars d’amendes pour des infractions en matière de stationnement et de réglementation sanitaire pour récupérer ces véhicules, désormais remisés dans le New Jersey.
Une fausse impression de légalité
Mais le plus préoccupant, jugent les autorités, est que les coffee shops donnent à leurs consommateurs le sentiment qu’ils sont dans un cadre légal, alors que leurs activités échappent à toute réglementation.
Selon la législation de l’État de New York, le cannabis vendu dans l’État doit avoir été cultivé, traité et contrôlé à l’intérieur de ses frontières, en circuit court “de la graine jusqu’à la vente”. Mais la plupart des magasins d’herbe de la ville vendent des produits en provenance de Californie, et certains proposent également des substances illégales ainsi que des bonbons et des breuvages à base de champignons hallucinogènes.
La violence est une autre source d’inquiétude. Les magasins, qui conservent souvent d’importantes sommes d’argent liquide, sont la cible de vols et de cambriolages, qui peuvent parfois dégénérer.
Déclarations contradictoires des autorités
La police new-yorkaise a expliqué dans un courriel adressé au New York Times que la loi légalisant le cannabis ne lui donne pas le pouvoir de procéder à des saisies ou à des arrestations ni de faire fermer des magasins sans licence.
“Notre intervention est autorisée uniquement en cas de flagrant délit de vente”, explique son service de communication.
Selon Chris Alexander, directeur du Bureau de la gestion du cannabis [l’organe chargé de la mise en place et du contrôle de la légalisation du cannabis dans l’État de New York], il s’agit d’un malentendu qui persiste chez les forces de l’ordre locales.
Selon le droit de l’État new-yorkais, détenir plus de 85 grammes de cannabis ou vendre du cannabis est un délit. Et certaines des réglementations municipales, qui régissent la vente de nourriture ou de produits pour fumeurs ou qui portent sur la protection des travailleurs (réglementations qui ont permis à la municipalité de saisir les camions de Weed World Candies), peuvent être appliquées pour faire fermer les magasins qui n’ont pas de licence, explique Alexander.
La police en train de serrer la vis ?
Le vent est d’ailleurs peut-être en train de tourner. Au début de novembre, la police a effectué des descentes dans une boutique de cannabis à Bay Ridge [dans l’arrondissement new-yorkais de Brooklyn] et dans un magasin d’articles pour fumeurs à Greenwich Village [à Manhattan]. Les enquêteurs ont arrêté un homme pour détention de cannabis, saisi plus de 100 kilos de tabac et d’herbe de contrebande et infligé 8 000 dollars d’amendes aux propriétaires, selon les services du shérif Anthony Miranda.
Mais pour Lance Lazzaro, un avocat spécialisé qui a déjà travaillé sur trois dossiers similaires, il n’y aura pas de poursuites. “C’est juste de la marijuana, tempère-t-il. Ce n’est pas non plus le crime du siècle.”