En février 2025, le ministère de l’Intérieur a lancé une campagne de communication intitulée « Chaque jour, des personnes payent le prix de la drogue », pour un budget de 2 millions d’euros. Cette campagne s’inscrit dans une tendance de plus en plus assumée par les responsables politiques : ces derniers mois, les discours visant directement les consommateur·trice·s de drogues se sont multipliés, allant jusqu’à les désigner comme complices des violences et des trafics liés au marché illicite.
Une rhétorique accusatoire et outrancière
Les déclarations récentes de plusieurs figures politiques illustrent cette surenchère :
-
Emmanuel Macron, président de la République : « Les gens qui ont les moyens de consommer de la drogue parce qu’ils trouvent ça récréatif, il faut qu’ils comprennent qu’ils nourrissent des réseaux et qu’ils ont une complicité de fait. » – Source France-Inter
-
Gérald Darmanin, alors ministre de l’Intérieur en déplacement à Marseille : « Arrêtez de fumer des joints, de prendre des rails de coke, ça peut paraître festif comme ça, mais vous faites naître ce genre de règlement de compte, vous faites naître l’exploitation des personnes, l’exploitation des mineurs, des assassinats, le financement du terrorisme, de la prostitution. » Source France3
-
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur : « Fumer un joint ou sniffer de la coke, c’est deux balles dans la tête d’un enfant de cinq ans. » Source Sud radio
-
Éric Dupond-Moretti, alors garde des Sceaux : « Celui qui fume son petit pétard le samedi, ce pétard-là a le goût du sang séché sur le trottoir.» Source BFM
Ces déclarations, aussi spectaculaires qu’exagérées, visent à établir un lien direct entre la consommation de drogues et les crimes liés au narcotrafic. Pourtant, ce raisonnement simpliste ignore des réalités essentielles, notamment les raisons sociologiques, médicales et psychologiques qui poussent à consommer, ainsi que les alternatives possibles à la prohibition.
Une stigmatisation contre-productive
Ce type de discours pose un problème majeur en matière de santé publique. En criminalisant moralement les consommateur·trice·s et en les rendant responsables de la violence du narcotrafic, il les pousse à se cacher davantage, à éviter tout contact avec les structures de soin et d’accompagnement, et à retarder une éventuelle prise en charge.
Or, la réduction des risques repose précisément sur l’accès à l’information, au dépistage, aux soins et à l’accompagnement médico-social. Comment une personne pourrait-elle oser parler de ses consommations à un·e professionnel·le de santé lorsqu’elle est publiquement désignée comme un·e criminel·le, voire un·e complice de meurtre ?
Une approche inefficace face aux enjeux de la consommation
Loin d’être une simple affaire de « responsabilité morale », la consommation de drogues est un phénomène complexe, influencé par de nombreux facteurs :
-
Des problématiques de santé mentale (anxiété, dépression, stress post-traumatique, etc.).
-
Des déterminants sociaux (précarité, isolement, conditions de vie difficiles).
-
Une recherche d’automédication, notamment pour apaiser certaines souffrances.
Plutôt que d’adopter une approche fondée sur la répression et la culpabilisation, une politique de santé publique efficace devrait s’inspirer des modèles de réduction des risques, comme ceux mis en place au Portugal ou en Suisse. Dans ces pays, la dépénalisation des consommateur·trice·s et l’accompagnement des usagers permettent une meilleure prise en charge sanitaire et sociale, réduisant les dommages individuels et collectifs liés aux consommations.
Une diversion pour masquer l’échec de la prohibition
Enfin, cette rhétorique accusatoire vise à détourner l’attention de la véritable responsabilité des pouvoirs publics : l’échec de la prohibition. Depuis des décennies, la politique répressive n’a ni réduit la consommation de drogues, ni affaibli les réseaux criminels qui prospèrent grâce à cette économie clandestine. Au contraire, elle a engendré une violence accrue, des inégalités d’accès aux soins et une surpopulation carcérale, sans jamais s’attaquer aux causes profondes du problème.
Accuser les consommateur·trice·s de drogues d’être complices du narcotrafic, c’est refuser de remettre en question un système qui, en interdisant et criminalisant les usages, favorise justement le développement des marchés noirs. Plutôt que de pointer du doigt les usagers, il serait temps d’ouvrir un véritable débat sur des alternatives régulées, éthiques et pragmatiques, qui permettent à la fois de protéger la santé publique et d’assécher les revenus du crime organisé.
Lire aussi : La proposition de loi sur le narcotrafic arrive au Sénat