Publié le 14 Août 2020 | par Teresa García
Depuis le mois de juin, en Équateur, il est déjà possible de produire et de commercialiser du cannabis à des fins thérapeutiques et industrielles. La consommation continuera à attendre la réforme du Code Organique Pénal Intégral (COIP) – équivalent équatorien du Code Pénal français. Le 21 juin était la date fixée par le Ministère de l’Agriculture de ce pays pour que soit prête la réglementation du cannabis médicinal, selon a annoncé en conférence de presse en mai Andrés Luque, secrétaire adjoint à la Production Agricole de ce ministère. Après ça, l’institution débutera le processus de délivrance de licences pour l’importation et la production de graines ainsi que pour la plantation et la culture à des fins de recherche, transformation, industrialisation, exportation et commercialisation de biomasse de cannabis – matériel de déchets de cannabis qui ne s’utilise pas comme aliment – ou d’huile cru de cannabis non-psychotrope.
Mais la réforme législative qui réglemente la consommation de cannabis médicinal est née avec une énorme tare pour ce qui est droits des consommateurs : elle est plus orientée vers les entreprises et les bénéfices économiques que vers les droits des usagers. Le secrétaire adjoint à la Production Agricole du Ministère de l’Agriculture a spécifié dans sa dernière communication que l’on ne permettrait pas l’autoculture de cannabis médicinal, affirmant que son contrôle ne serait pas possible à cause des ressemblances entre le cannabis non-psychotrope – avec moins d’1% de THC en poids sec – et le cannabis psychotrope. « Dans une maison ou un garage, il est difficile de reconnaître visuellement si une plante a des ingrédients psychotropes ou non ; d’un point de vue phénotypique, elles sont pareilles», a affirmé le secrétaire adjoint. Il a aussi précisé que les licences pour cultiver, produire et commercialiser du cannabis médicinal pourraient seulement être sollicitées par des personnes juridiques, des entités publiques, des coopératives et des associations domiciliées en Équateur afin d’éviter le travail informel».
« Le 19 décembre, lorsque la dépénalisation du cannabis médicinal est entrée en vigueur, ils nous ont évincés parce qu’ils voulaient en faire un business », explique Alexis Ponce, porte-parole du Regroupement de Patients et Familles pour le Cannabis Médicinal en Équateur et dont la fille souffre du syndrome de Angelman.
Cette organisation est, précisément, celle qui a été à l’origine de la réforme législative qui a légalisé le cannabis médicinal en Équateur, un processus qui a débuté en 2016 après que Nelly Valbuena, patiente atteinte d’un cancer et épouse d’Alexis Ponce, demande au Défenseur Public Général – équivalent du Médiateur de la République en France – qu’il propose une réforme du COIP légalisant l’usage médicinal et palliatif du cannabis.
En 2017, on a commencé à se battre publiquement, pas pour ce qu’on voulait car on n’était pas des consommateurs, mais parce que l’on était membres de la famille de patients cancéreux », explique Ponce, qui signale que, à partir de dizaines de familles qui ont rejoint cette lutte mi-2018 lorsqu’est né le Regroupement de Patients et Familles pour le Cannabis Médicinal en Équateur, ils sont devenus des milliers.
Ponce milite pour les droits humains depuis 30 ans et a aussi participé au processus qui a mené à la dépénalisation de l’homosexualité en 1997. « On applique la même stratégie de lutte – signale-t-il – ; on se dit que, pour qu’un combat soit efficace, on doit s’adapter à la société dans laquelle on vit ». Il explique que, même si avaient déjà existé et existent en Équateur des mouvements sociaux qui se battent pour la légalisation de tous les usages du cannabis, ils savaient que la lutte était progressive. « Il faut se battre en accord avec la société dans laquelle on vit et l’élément qui ici stimulait le combat était la douleur », ajoute-t-il, déplorant que ce choix ait entraîné que de nombreux intellectuels cannabiques du pays s’y opposent. « Ils considéraient que c’était un combat rétrograde mais on a fait la part des choses et on a suivi notre stratégie : on ne va pas continuer à fumer dans la rue, que d’autres le fassent ; nous, on est mères et pères d’enfants ayant des problèmes sanitaires : épilepsie, cancer, fibromyalgie. Notre discours était éthique et on ne voulait pas qu’il soit discuté par les pouvoirs car on ne voulait pas perdre notre temps ».
Le militant se rappelle que, toutes les semaines où sa réclamation de réglementation de cannabis médicinal continuait à ne pas être écoutée, ils amenaient au Gouvernement les avis de décès des patients qui avaient eu besoin de cannabis médicinal. « Tous peuvent attendre mais nous, non ; notre vie se consume, mais aussi notre douleur et la condition de dignité humaine de nos familles : pas pour le droit à une vie décente qui se trouve déjà dans la Constitution mais le droit à une mort décente qui n’y est pas mentionné ».
En mai 2019, Ponce a été invité, avec quatorze autres personnes du Regroupement de Patients et Familles pour le Cannabis Médicinal en Équateur, à parler devant la Commission de Santé de l’Assemblée Nationale d’Équateur dans le cadre du débat sur l’approbation d’un paquet de réformes législatives parmi lesquelles figure la légalisation du cannabis à usage thérapeutique qui a finalement été approuvée le 17 septembre. « Le 19, il voulaient déjà nous jeter aux oubliettes, aussi bien les médias que l’État ».
Une nuit avant que n’entre en vigueur la réforme du Code Pénal qui permette la consommation thérapeutique, Ponce signalait que le Gouvernement avait ajouté à la proposition le chanvre industriel, pour ce second moment concernant la réglementation de la production et la commercialisation.
« Ils ont évacué l’aspect populaire et démocratique mis en avant avec le cannabis médicinal parce que le business les intéressait déjà », explique le militant.
Son organisation a dénoncé le manque de transparence autour de l’élaboration du règlement prévu pour le 21 juin et Ponce explique que, finalement, le Ministère de l’Agriculture s’est vu obligé à permettre à tous les groupes cannabiques, comprenant celui des membres de famille des patients, à pouvoir réviser le règlement et Ponce a pu voir sur leur projet qu’ils précisent que les licences pour cultiver ne peuvent pas être délivrées aux particuliers mais qu’en plus, pour qu’une entreprise équatorienne puisse opter à la demande d’une licence, il faut qu’elle dispose d’un accord de collaboration avec une entreprise étrangère. « Nous, on est d’accord avec tout sauf qu’ils nous vendent chat en poche ; on veut une réglementation qui ne signifie pas qu’ils profitent de familles comme la notre ou qu’ils n’en profitent pas pour vivre de notre douleur », souligne Ponce.
Et c’est que les bénéfices économiques de la réglementation du cannabis médicinal sont la principale raison qui a mené le Gouvernement équatorien à l’approuver, plus encore maintenant, face à la crise dérivée de la pandémie du coronavirus.
« L’industrie médicinale et industrielle du cannabis est une grande opportunité pour le pays, elle générera des milliers d’emplois et de dollars », signalait le ministre de la Production, Iván Ontaneda, sur son profil de Twitter le 12 mai dernier.
Ontaneda, lui-même, expliquait le 31 mai au journal équatorien El Comercio (« Le commerce ») que plusieurs entreprises nationales et internationales avaient déjà montré leur intérêt à investir sur les cultures et l’industrialisation du chanvre dans le pays mais qu’elles demeuraient dans l’attente que les réglementations se précisent.
« Ils peuvent tout interdire, ils ont déjà interdit le cannabis médicinal mais nous, on s’en moque. Dans notre organisation, il y a des gens qui ramènent leur perfusion de Charlotte des États-Unis, qui sont chères, et des familles modestes qui plantent. Et si une famille a besoin de planter pour pouvoir faire ses perfusions, elle ne s’arrête pas pour se demander si c’est interdit ou non, elle le fait et puis voilà », conclut Ponce.