La légalisation du cannabis en Allemagne, entrée en vigueur en avril 2024, marque un tournant historique après des décennies d’attente. Pourtant, cette réforme suscite de nombreux débats et met en lumière des défis imprévus.
Commander du cannabis en ligne et se le faire livrer directement à domicile : ce qui ressemble à un fantasme de fumeur est devenu un modèle économique florissant. Mais cela a aussi ses zones d’ombre.
Du cannabis sur ordonnance, sans consultation médicale et livré à domicile : un rêve de consommateur qui est devenu réalité depuis la légalisation. Sur des plateformes comme « Dr. Ansay », il suffit de s’autoproclamer patient et de commander du cannabis médical.
Une légalisation complexe et ses dérives
La légalisation a permis l’émergence de plateformes comme « Dr. Ansay », où le cannabis peut être commandé en ligne et livré à domicile sans consultation médicale approfondie. En seulement trois mois, ces plateformes ont enregistré plus de 250 000 commandes, révélant l’ampleur de cette nouvelle demande. Par ailleurs, un rapport du ministère de la Santé indique que près de 40 % des patients utilisant ces services ne présentent pas de conditions médicales justifiant la prescription, ce qui accentue les critiques sur le manque de contrôle strict. Ces pratiques exploitent les failles juridiques du système en place, transformant le cannabis en un médicament facilement accessible. Si cela répond à une demande importante, cette approche soulève des préoccupations majeures :
- Dérives commerciales : Les plateformes en ligne profitent d’une zone grise légale pour délivrer des ordonnances médicales sans contrôle strict, ce qui remet en question leur éthique.
- Enquête sur des acteurs douteux : Le cas de l’avocat Can Ansay, promoteur de ce nouveau marché, illustre les controverses autour de certains entrepreneurs. Les autorités enquêtent sur des pratiques douteuses, telles que la délivrance d’arrêts maladie ou de certificats médicaux sans examen préalable.
Les défis des véritables patients
Pour les patients ayant besoin de cannabis à des fins médicales, la situation est préoccupante. Les pénuries de cannabis médical, causées par l’afflux de consommateurs récréatifs, impactent directement leur qualité de vie. Certains patients témoignent de douleurs accrues ou d’une aggravation de leurs symptômes faute de pouvoir accéder à leur traitement. Daniela Joachim, représentante de l’Association allemande des patients au cannabis, rapporte que ces difficultés poussent également certains à recourir à des médicaments moins adaptés, augmentant ainsi les risques d’effets secondaires ou de complications. Daniela Joachim, représentante de l’Association allemande des patients au cannabis, souligne les pénuries causées par l’afflux de consommateurs récréatifs. Ces pénuries obligent certains patients à se tourner vers des alternatives moins adaptées, voire à renoncer à leur traitement.
Des « Cannabis Social Clubs » encore balbutiants
Les « Cannabis Social Clubs » (CSC), un pilier de la loi sur le cannabis, ont été autorisés pour distribuer jusqu’à 50 grammes par mois à leurs membres. Cependant, leur mise en place est freinée par des délais administratifs complexes, un manque de moyens dédiés à leur structuration, et une coordination parfois lente entre les différents Länder. À titre d’exemple, seuls 3 CSC ont vu le jour en Basse-Saxe, bien en dessous des objectifs initiaux fixés par le gouvernement. Cependant, leur mise en place est lente, et seuls quelques Länder, comme la Basse-Saxe, ont accordé leurs premières autorisations. Cette lenteur pousse de nombreux consommateurs vers le marché noir ou les plateformes de cannabis médical.
Une opportunité économique et un marché en ruée vers l’or
La légalisation a également ouvert la porte à un « canna-business » florissant, générant des revenus impressionnants : en seulement six mois, le marché allemand du cannabis légal a atteint un chiffre d’affaires estimé à 1,2 milliard d’euros. Parmi les entreprises en plein essor, on trouve des géants comme Demecan ou Aphria, qui ont investi massivement dans la production locale et l’importation. Ces chiffres démontrent le potentiel économique colossal de ce secteur émergent, mais soulignent aussi la nécessité d’une régulation pour éviter des abus commerciaux. Les plateformes exploitent non seulement les consommateurs récréatifs, mais aussi un réseau transfrontalier de médecins européens qui profitent de la demande croissante. Toutefois, cette ruée vers l’or n’est pas sans risque :
- Absence de régulation stricte : La facilité d’accès au cannabis médical peut alimenter des abus et décrédibiliser les réformes.
- Pression sur le système de santé : Le manque de consultation médicale approfondie pose des questions sur la sécurité des patients et l’usage thérapeutique du cannabis.
Une légalisation critiquée mais nécessaire
Malgré ses défauts, la légalisation en Allemagne reflète une volonté de moderniser la politique des stupéfiants et de réduire les méfaits liés à la prohibition. Une comparaison avec des pays comme le Canada ou l’Uruguay montre que ces réformes permettent de limiter l’ampleur du marché noir et d’améliorer l’accès des patients à un cannabis encadré et sécurisé. Néanmoins, elle montre aussi que des mesures complémentaires sont essentielles pour éviter les dérives :
- Renforcer les contrôles sur les prescriptions médicales pour garantir un usage thérapeutique légitime.
- Accélérer l’ouverture des CSC pour offrir une alternative fiable au marché noir.
- Assurer un accès équitable au cannabis médical pour les patients prioritaires.
L’Allemagne, pionnière en Europe, offre un exemple à la fois inspirant et instructif pour les autres pays envisageant la légalisation. Il reste à espérer que les enseignements tirés de ces premiers mois guideront les futures réformes vers un équilibre entre liberté individuelle, santé publique et régulation efficace.
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