Un nouvel outil dans l’éventail répressif. L’amende forfaitaire de 200 euros pour usage de stupéfiants, testée depuis juin dans plusieurs villes (Rennes, Créteil ou encore Reims), sera généralisée ce mardi 1er septembre à l’ensemble du territoire. Son montant réel sera modulé en fonction du délai de paiement : les consommateurs devront s’acquitter de 150 euros en-dessous de quinze jours, tandis que la sanction sera majorée à 450 euros au-delà de 45 jours. En cas de refus de l’usager, il pourra être renvoyé en procès devant le tribunal correctionnel, où il risquera jusqu’à un an de prison et 3.750 euros d’amende. En évitant le lancement d’une procédure judiciaire, cette mesure « permettra (…) d’appliquer une sanction sans délai« , a fait valoir Jean Castex fin juillet, lorsqu’il a annoncé sa généralisation. La sanction ne pourra s’appliquer qu’aux majeurs, et sera inscrite sur le casier judiciaire du contrevenant.
Applicable à toutes les drogues, la mesure devrait d’abord viser les consommateurs de cannabis, substance illicite la plus consommée. Parmi les 173 amendes distribuées à Rennes depuis juin (pour un total de 545 au niveau national), « 166 portaient sur du cannabis et 7 sur de la cocaïne« , a précisé le procureur de Rennes Philippe Astruc, dans un communiqué relayé par l’AFP. La mesure complète l’arsenal français contre le haschisch, un des plus répressifs d’Europe depuis la pénalisation de cette drogue en 1970. Pour des résultats plus que discutables, alors que les Français apparaissent comme les plus gros usagers du continent dans un rapport de 2019 de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies : 44,8% des adultes français ont déjà consommé du cannabis, contre 27,4% en moyenne dans l’Union européenne (UE). Et 21,8% des jeunes (15-34 ans) en ont consommé lors des 12 mois précédents, alors que la moyenne européenne se situe à 14,4%. Analyse de cet échec avec le Dr William Lowenstein, addictologue et président de l’association SOS Addictions.
Marianne : Comment voyez-vous l’arrivée de cette nouvelle amende forfaitaire ?
William Lowenstein : Je suis à la fois surpris et désespéré du raisonnement. On pourrait le résumer ainsi : puisqu’une méthode ne marche pas, allégeons-la et massifions-la. La loi de 1970, qui prévoit un an de prison et 3.750 euros d’amende, n’a pas changé quoi que ce soit, et ce type d’action a échoué depuis 50 ans. Cette nouvelle amende ne va rien changer à la sécurité publique, ni à la prévention des risques.
Comment expliquer que la consommation de cannabis soit aussi répandue en France ?
C’est lié à l’inadaptation des politiques de santé et de prévention dans notre pays. Plutôt qu’être dans une stratégie aidante à l’égard des consommateurs, on a choisi de leur taper dessus. Cela revient à menacer un dépressif de le mettre en prison s’il arrête de prendre ses antidépresseurs. Cette politique a aussi empêché l’information sur les risques, qui n’a pas été faite pendant des décennies parce que de toute façon il était interdit de fumer, comme si la prohibition avait valeur de prévention. Alors qu’à inverse le statut légal de l’alcool a permis de réduire les risques en apprenant les dangers de l’ivresse, par exemple liée à la conduite. De la même manière, il faudrait des campagnes du type « fumer ou conduire, il faut choisir » avec le cannabis. Nous vivons également dans une société addictogène : on sait que nous sommes les plus gros mangeurs de tranquillisants, de somnifères, d’anti-dépresseurs…
Une politique répressive contre le cannabis est-elle condamnée à échouer ?
Oui, parce que nous sommes en démocratie. Historiquement, la répression ne peut fonctionner que dans des pays dictatoriaux, qui sont capables de mettre les consommateurs en prison pendant 15 ou 20 ans. Mais une telle répression ne pourrait pas s’entendre par rapport aux droits de l’homme, et coûterait plus cher que la consommation.
Quelle est la dangerosité du cannabis par rapport à d’autres drogues ?
Elle est bien moindre que celle d’autres substances : le tabac fait 75.000 morts par an, et l’alcool 41.000. Alors que les accidents de la route dans lesquels le cannabis est impliqué représentent quelques centaines de morts par an, auxquels il faudrait ajouter les conséquences du fait de fumer, qui est la principale voie de consommation. Le cannabis ne donne pas d’overdose, mais peut causer des handicaps s’il est pris par des personnes jeunes ou vulnérables. Ce sont ces risques qu’il faudrait expliquer.
Quelle politique faudrait-il mettre en place ?
Il faut légaliser le cannabis, pour mettre en place une stratégie d’accompagnement et de réduction des risques. Alors que l’objectif d’empêcher la consommation n’est aujourd’hui pas réaliste, le but doit être de limiter les abus et de retarder l’âge de la première consommation. Cela passe par une responsabilisation des parents : plutôt que de présenter l’herbe comme le diable, ils doivent pouvoir expliquer à leurs enfants qu’ils mettraient en danger la maturation de leur cerveau en fumant à 14-15 ans. Il faut faire cette transition sans basculer dans le néolibéralisme sauvage des États-Unis, avec des entreprises cotées en bourse, mais en maintenant un contrôle. Un meilleur modèle serait le Portugal : la détention de toutes les drogues y a été dépénalisée [en 2000, ndlr], mais en fixant des doses limites et en orientant les consommateurs vers des services médico-administratifs.