Publié le 1 Septembre 2020 | Par Charles Delouche
En vigueur sur tout le territoire à partir de ce mardi, l’amende forfaitaire pour consommation de stupéfiants divise les consommateurs. Si certains espèrent un assouplissement de la répression, d’autres craignent que la mesure ne favorise les dealers.
A partir de ce mardi, tout consommateur majeur de stupéfiants (cannabis et cocaïne) pourra être directement verbalisé par la police sur la voie publique. Déjà utilisée depuis deux mois à Rennes, Créteil, Reims, Marseille et Lille, la mesure est désormais généralisée à l’ensemble du territoire et vise à désengorger les tribunaux. Les consommateurs s’exposent désormais à une amende forfaitaire délictuelle de 200 euros (150 euros dans les douze jours, 450 euros au-delà de quarante-cinq jours) ainsi qu’à une inscription au casier judiciaire et dans un fichier national spécialisé pour une durée de dix ans. Libération a interrogé des consommateurs de cannabis pour savoir ce que cette nouvelle amende allait changer dans leurs habitudes.
Rémy, 34 ans, Paris
«Ce projet d’amende nous a pas mal intrigués avec mes amis. On en a beaucoup parlé pendant l’été. A la base, je trouvais ça cool de s’orienter vers une amende plutôt que de rester dans ce flou juridique. J’ai vu passer beaucoup de publications sur des blogs spécialisés dans la culture cannabis qui faisaient part de leur opposition. Mais après m’y être intéressé un peu, ce qui en ressort n’est pas hyper positif.
«En vérité, l’Etat ne cherche pas à légiférer. C’est encore une fois mettre le sujet sous le tapis et sanctionner. Plus de 1% des Français fument de l’herbe ou du shit quotidiennement. On ne règle pas un problème de société et de santé publique en délivrant des amendes. L’Etat a voulu rendre la lutte contre les stupéfiants plus réaliste avec cette amende, mais on voit que c’est totalement absurde, rien qu’au niveau des quantités. Jusqu’à 100 grammes de cannabis pour bénéficier de l’amende ! Au final, ce sont les dealers qui vont pouvoir sortir plus tranquillement. Sans tomber dans le complotisme, les consommateurs des beaux quartiers sont beaucoup plus en mesure de payer 200 euros. Cette mesure est encore un très bon moyen de contrôler les populations. Dans certains quartiers populaires, là où les gens ne peuvent pas forcément fumer chez eux, la police pourra se faire plaisir et mettre des prunes dans tous les sens.»
Franck, 28 ans, Lyon
«Avec l’âge, j’évite de plus en plus de fumer dans la rue mais ça m’arrive toujours de m’en griller un en terrasse. Pour moi, cette amende ne va pas changer grand-chose et j’ai déjà dû payer pour ma consommation de cannabis.
«Il y a cinq ans, je revenais de Copenhague et j’avais ramené un peu de weed avec moi. La veille du départ, avant de m’endormir, je m’étais allumé un gros joint aux alentours de minuit. Histoire de bien dormir. Le matin, je me suis fait contrôler par une voiture de gendarmerie alors que j’étais en chemin vers Paris. Le test salivaire était positif et ils m’ont embarqué pour me faire une prise de sang. Là, je me suis dit que c’était foutu et qu’on allait m’enlever le permis. Finalement il ne restait que des résidus de cannabis dans mes analyses et je m’en suis tiré avec une amende de 100 euros. Du coup, lorsque j’ai appris qu’une amende forfaitaire généralisée allait voir le jour, ça ne m’a pas vraiment choqué. Et avoir mon nom inscrit dans un fichier national ne me dérange pas plus que d’avoir mon identité renseignée sur les listes d’un cannabis club à Barcelone.»
Rudy, 29 ans, Saint-Ouen
«Cette amende vise ceux qui fument dehors, pas les autres qui peuvent fumer leur joint tranquillement chez eux. Pour les flics, c’est un moyen de se faire respecter un peu plus dans la rue. Le dispositif devrait permettre de rendre moins visible la consommation de cannabis et les fumeurs. Mais il y a un sacré souci au niveau de la quantité requise pour écoper de l’amende. L’échelle est bien trop importante. Tous les dealers vont se faire passer pour des consommateurs et ce sera bien difficile pour les flics de faire la différence.
«Pour ma part, je vais faire bien plus attention. Je ne me suis jamais fait contrôler le spliff à la bouche. Par contre, on m’a déjà contrôlé lorsque j’avais ma consommation perso dans la poche. Pour éviter trop de procédures, les policiers m’ont plusieurs fois demandé de jeter mon bout de shit dans le caniveau ou à la poubelle. J’aime bien fumer en marchant dans la rue et je pense que c’est moins grillé qu’une bande de mecs installés dans la rue en train de se faire tourner des pétards, avec les nuisances et le bruit qui vont avec.»
Pauline, 22 ans, Grenoble
«Un joint pour moi, ça se fume dans la rue, à l’air libre, musique dans les oreilles et cheveux au vent. Je me préroule un pétard chez moi, je l’allume et quand je passe devant le commissariat, je le cache dans ma manche. Je ne me suis jamais fait ennuyer ou contrôler par la police. Sûrement parce que j’ai la tête de la jeune fille qui va bien et qui ne pose pas de problème. Je vais continuer de faire ma vie sans faire de détour et passer par d’autres chemins. Etre stressé dans la rue, c’est le meilleur moyen de se faire cramer.
«Je me demande si cette amende va réellement servir à éviter de faire passer des petits consommateurs devant la justice. Si c’est ça, alors je suis plutôt d’accord avec sa mise en vigueur. Le projet peut être une évolution positive pour certaines personnes, même si 200 euros, ça reste quand même une somme que tout le monde ne pourra pas forcément payer d’un coup. Tu fumes ton joint, tu te fais attraper, alors tu paies ton amende et on en parle plus. Un peu comme une contravention. On ne passe pas devant la justice pour une voiture mal garée.»