Avec une interview fleuve au « Figaro » et une visite axée sur la sécurité à Montpellier, le Président a lancé lundi, un an avant l’élection présidentielle, une vaste offensive à destination de l’électorat de droite sur les sujets régaliens.
par Charlotte Chaffanjon
Lorsque Emmanuel Macron déclarera sa candidature à sa réélection – si rien ne l’en empêche –, on se souviendra qu’il a choisi de démarrer sa campagne en parlant sécurité. Et pas qu’un peu. Dans une interview fleuve au Figaro lundi, au cours de laquelle il est question tout à la fois du ramadan, du «privilège blanc», de l’immigration – «accueillir moins peut-être, mais pour accueillir mieux» –, de l’Algérie ou encore de la mosquée de Strasbourg, le chef de l’État a surtout promis de se battre pour que chacun ait «droit à une vie paisible».
Tout en précisant qu’il présiderait «jusqu’au dernier quart d’heure», il s’est principalement appliqué à défendre son – futur – bilan à grand renfort de chiffres, au sortir d’une séquence régalienne démarrée avec le discours des Mureaux en octobre 2020 et marquée par les textes de loi «sécurité globale» puis «respect des principes de la République». Le président de la République s’est donc félicité d’avoir augmenté «le budget des forces de sécurité de 1,7 milliard» d’euros ou encore de tenir l’objectif de 10 000 policiers supplémentaires d’ici à la fin du quinquennat, alors que la violence «progresse» dans le pays. «Un mal qui s’est sans doute accéléré sous l’effet d’une désinhibition provoquée par les réseaux sociaux et la culture de l’anonymat», selon lui. «Chaque Français verra plus de bleus sur le terrain en 2022 qu’en 2017. Ça rassure les gens, ça dissuade les délinquants», a martelé le Président.
Au rayon des annonces, pas grand-chose, à part une promesse de modifier la loi pour éviter que l’«absorption volontaire de stupéfiants» n’entraîne, en cas de meurtre, l’«irresponsabilité pénale» et le lancement d’un «débat national sur la consommation de drogue et ses effets délétères». Même si Emmanuel Macron a écarté d’emblée la légalisation du cannabis, parce qu’«on se roule un joint dans son salon et à la fin on alimente la plus importante des sources d’insécurité». Et que : «A l’inverse de ceux qui prônent la dépénalisation généralisée, je pense que les stups ont besoin d’un coup de frein, pas d’un coup de publicité.»
« Le vrai risque pour lui serait celui de la jospinisation »
Pour renforcer le propos, le Président a décidé de joindre le texte à l’image. Cette interview était accompagnée lundi, d’un déplacement à Montpellier. Macron s’est embarqué dans une voiture banalisée de la brigade anticriminalité (BAC) pour faire la tournée des «quelques points chauds» de la ville, avant de visiter un centre social de la caisse d’allocations familiales (CAF) dans le quartier populaire de la Mosson, lui qui résume sa méthode pour éradiquer le trafic de drogue : «Harceler les trafiquants et les dealers.»
De quoi rappeler Nicolas Sarkozy promettant en 2005 sur la dalle d’Argenteuil à une dame désœuvrée, sous l’œil des caméras, de la «débarrasser» de «cette bande de racaille». Un parallèle assumé dans les allées du pouvoir : «C’est vrai qu’il y a une volonté pour le chef de l’État de se montrer dans un costume régalien. Le vrai risque pour lui serait celui de la jospinisation, en ne reconnaissant pas avec force qu’il y a un problème sur la question des violences aux personnes notamment, assume un conseiller gouvernemental. On voit dans les sondages qu’il y a une demande de la part des Français, et notamment de l’électorat de droite qui nous soutient, de monter en première ligne sur la sécurité.»
Selon une étude publiée vendredi par l’Ifop pour Sud Radio, 70 % des Français placent la sécurité et la lutte contre le terrorisme en thèmes prioritaires (73 % citent l’éducation et 82 % l’épidémie de Covid-19). Mais les sondages disent surtout que Marine Le Pen est confortablement installée au second tour de 2022. La candidate du Rassemblement national qui avait fait campagne en 2017 sur l’idée de «la France apaisée» – registre que Macron ne veut pas laisser à son adversaire en utilisant cette formule de «droit à la vie paisible» – a été la première à réagir dimanche soir, fustigeant sur Twitter «le président du chaos, de la violence partout, tout le temps, de la division, de l’injustice sociale, fiscale, territoriale».
«Il n’avait aucune identité politique sur les sujets régaliens»
Mais en assumant des propos de droite, le chef de l’Etat cherche plutôt à séduire un électorat qui pourrait hésiter entre lui et Xavier Bertrand, seul candidat LR déclaré, qui fait figure de principal challenger à ce duel entre Macron et Le Pen… tandis que la gauche, elle, a mis en scène, dimanche, son grand éparpillement. Bertrand ne cesse, depuis son entrée en campagne, d’appeler le Président à «rétablir l’autorité». «Depuis quatre ans, il n’a jamais pris la mesure que le rôle du Président était d’assurer la sécurité de ses concitoyens», pilonnait encore dimanche l’ex-ministre de Nicolas Sarkozy. En revanche, cette nouvelle incursion sur le terrain sécuritaire risque d’éloigner davantage certains électeurs de gauche, pourtant indispensables lorsqu’il s’agira de leur demander de «faire barrage» à l’extrême droite.
Dans cette matière politique qui risque d’animer la campagne de 2022, le chef de l’État a parcouru un sacré chemin, lui qui déclarait au 1 hebdo, en 2016, pour se démarquer de Manuel Valls, que «l’autorité ne se mesure pas à la magnitude du réflexe sécuritaire»… L’ancien inspecteur des finances, banquier associé chez Rothschild, puis ministre de l’Économie, ne s’était jamais particulièrement penché sur ces sujets avant d’être élu. «Il est arrivé à l’Élysée en jeune start-upper, certainement pas comme quelqu’un qui se mêle du régalien», note un ministre de poids, quand un membre de l’entourage présidentiel note que c’est ce qui a guidé son choix de finir par placer à Beauvau une personnalité aussi marquante que Gérald Darmanin, ex-porte parole de Nicolas Sarkozy : «Il n’avait aucune identité politique sur les sujets régaliens. Il a dû renforcer sa jambe droite, au détriment de la gauche…»
Alain Peyrefitte en 1980 lors du débat sur la loi «sécurité et liberté»
S’il semble évident que cette interview est calibrée pour parler à sa droite, le chef de l’État résume ainsi l’objectif de toutes ses luttes en matière de sécurité : «C’est un combat pour la liberté, dont la première condition est la sécurité». Une formule que l’on retrouve dans les discours politiques de personnalités de droite comme de gauche depuis quarante ans, de Jacques Chirac à Christian Estrosi, de François Hollande à Michèle Alliot-Marie, de Manuel Valls à Nicolas Sarkozy… Et même Jean-Marie Le Pen, qui en avait fait une affiche pour les régionales de 1992. Pourtant, dans les années 1980, elle incarnait solidement le clivage droite-gauche.
Ainsi, lorsque le garde des Sceaux gaulliste, Alain Peyrefitte, affirme, en 1980, lors du débat sur la loi «sécurité et liberté» à l’Assemblée nationale, «la sécurité est la première des libertés». Pierre Mauroy, qui fera abroger cette loi en arrivant à Matignon, rétorque en mars 1981 : «La droite dit : “La première liberté, c’est la sécurité.” Nous disons au contraire : la première sécurité, c’est la liberté.»
Source : Liberation.fr