Les joints ne font qu’un tour à l’Assemblée. Le Collectif d’information et de recherches cannabique (CIRC) avait envoyé un pétard à chaque député.
Christine Boutin, députée UDF, n’a pas apprécié. Pas apprécié du tout l’opération 577 pétards à l’Assemblée nationale, lancée mercredi par le Collectif d’information et de recherche cannabique (Circ), et révélée par Libération le jour même. «C’est une atteinte à ma vie privée. C’est scandaleux. On m’envoie un joint et je n’ai rien demandé.» Et la députée des Yvelines de se demander: «Qu’est-ce que je vais en faire? Je ne vais pas le mettre à la poubelle. Il risque d’être récupéré par d’autres personnes. Je crois que je vais le brûler dans le caniveau.» Finalement, elle s’est ravisée. Avec Charles de Courson, lui aussi député UDF, et lui aussi farouche opposant à toute dépénalisation du cannabis, Christine Boutin a menacé le Circ de poursuites judiciaires.
Robert Pandraud (RPR) optait, lui, pour le retour à l’envoyeur, sous pli recommandé, avec pétard scotché. Petit paquet reçu hier matin par l’association, et qui compte là, pour l’heure, son seul écho direct en provenance des députés. Car, à l’Assemblée, si l’opération s’est répandue comme «une traînée de fumée», selon Jean-Pierre Galland, président du Circ, la majorité des députés présents a préféré s’en tirer d’une pirouette. Au catalogue du désamorçage: le sourire gêné-amusé. La comparaison: rien ne vaut un «bon cigare», selon André Santini (UDF), ou «la droite douce mène à la droite dure, la drogue douce à la drogue dure», selon Arnaud Montebourg (PS). Mais surtout le «passe à ton voisin», en l’occurrence: secrétaire, attaché parlementaire, etc. L’assistant de Nicole Bricq (PS) aurait même assuré que le pétard reçu ne contenait rien de cannabique. Ce qu’on dément au Circ, qui confirme ce que stipulait sa missive: «Soigné et bichonné par des amateurs, ce cannabis a poussé sous le doux ciel de France.» Reste quelque écho favorable à l’opération autoproclamée «Chanvre des députés», notamment dans les rangs de la majorité. Parmi ceux-ci: Noël Mamère (Verts), pour qui la campagne en faveur de la dépénalisation du cannabis menée par le Circ «ne semble pas être une mauvaise campagne».
Au Circ, le but est atteint, et le bruit autour de l’action, savouré sans modération. Avec ce bémol: que le livre joint au courrier des députés (1) ait été occulté. Et par là, le débat sur le cannabis au Parlement, «seul lieu dans la société où ce débat n’est pas encore ouvert». Dans leur opuscule, les militants expliquent leur combat contre la prohibition, qualifiée de «plus répressive d’Europe» et d’«absurde».
Un livre, aussi, où le Circ évoque une lettre de Lionel Jospin adressée à la Ligue des droits de l’homme au printemps dernier, dans laquelle le futur Premier ministre s’en prenait à la loi du 31 décembre 1970, qui régit la question des drogues. Avant de suggérer que la France devrait s’inspirer des «expériences menées chez ses voisins européens».
A l’époque, ce courrier avait donné espoir au Circ, dont l’existence depuis 1991 est toute tournée vers une dépénalisation du cannabis. Malgré les procès à répétition. Malgré les condamnations qui tombent (120 000 F d’amende, et neuf mois de prison avec sursis cumulés). Et malgré la «paranoïa ambiante» qui a contraint plusieurs de ses militants à prendre leurs distances. D’où le coup d’éclat à l’Assemblée. D’autant qu’après les aveux de Dominique Voynet à Charlie Hebdo et la prise de position de Bernard Kouchner, secrétaire d’Etat à la Santé, en faveur d’une utilisation thérapeutique du cannabis, le sujet semble d’actualité. Et les moeurs évoluer. Selon une enquête de l’Institut de recherche en épidémiologie de la pharmacopée (Irep), rendue publique récemment, 30% des adeptes du cannabis s’adonneraient à leur consommation sur leur lieu de travail. Premier du genre, le sondage de l’Irep, mené auprès de 1 087 fumeurs de cannabis, faisait également ressortir la «bonne insertion sociale» de ces derniers, leur «consommation assez bien contrôlée et gérée» et l’absence de «dimension tribale». De quoi nourrir les Rencontres nationales sur l’abus des drogues, qui s’ouvrent aujourd’hui au ministère de la Santé. En présence du président du Circ.