Impensable il y a encore quelques mois, l’édition 2023 du Salon de l’agriculture a accueilli pendant la semaine une poignée de producteurs de CBD venus présenter huiles, fleurs et autres produits.
Cette année, dans les travées du parc des expositions de la porte de Versailles, même les vaches font beuh. Le cannabis a réussi à se frayer un passage parmi l’Olympe de l’agriculture française. Aux confins du parc des expositions, le hall 7 propose dégustations de mets et de boissons. Et le CBD y a désormais ses quartiers. Jean-François Marsolan, éleveur en Ille-et-Vilaine dans une ferme à Moutiers, déballe à la porte de Versailles pour la première fois. Petits saucissons à la noisette, terrines, rillettes… l’homme livre les bars et les cavistes. «C’est en entendant parler de gâteaux au CBD, de bonbons au CBD, que je me suis demandé : pourquoi ne pas faire un petit saucisson au CBD ? Ça se marie très bien avec l’apéritif !» se souvient l’éleveur. «J’ai pris un avocat, je me suis bien renseigné sur la réglementation et on a pu sortir un petit lot au moment de Noël, explique-t-il. Les retours sont très positifs. Je suis impressionné par le nombre de sourires que je reçois depuis quelques jours.»
Entre le concours de la plus belle génisse et les brasseurs de nos régions qui rincent les gosiers secs depuis une semaine, le chanvre séculaire, passé en une année de mauvaise herbe à plante miraculeuse, s’est fait sa petite place au sein des exposants et des milliers de visiteurs du Salon de l’agriculture. Pour cela, il aura suffi d’un soupçon d’opiniâtreté et de malice de la part des chanvriers convaincus. Et surtout d’un coup de pouce du Conseil d’Etat.
Le 29 décembre 2022, le Conseil d’Etat retoquait définitivement l’arrêté du gouvernement pris le 30 décembre 2021. Il taclait ainsi le texte phare du projet qui interdisait la vente des fleurs et feuilles de cannabis ayant un taux de THC (tétrahydrocannabinol) inférieur à 0,3 %. Exit le projet du gouvernement de restreindre la vente de CBD dans le pays. En enterrant la mesure la plus symbolique du texte, le Conseil d’Etat a nettement contribué à ouvrir le boulevard pour le marché du cannabidiol (CBD), la molécule non psychotrope du chanvre. Depuis, les chanvriers sont rassurés et ont su trouver le chemin du temple du terroir national.
«Du CBD à manger»
Il a fallu refuser quelques verres mais accepter les accolades des gaillards de la Nouvelle-Aquitaine, puis avaler un morceau de chèvre basque au piment d’Espelette, pour enfin atteindre le stand Esprit Creuse. Aux côtés du miel d’abeille made in Guéret, un large plant de cannabis a déployé ses branches. On y trouve tisane au CBD, rosé macéré au CBD, huiles de massage, huiles sublinguales… Au bastingage du stand creusois, de larges sacs sont agrafés. Ils contiennent 200 grammes de cannabis CBD. Tango, Creusoise, Serenity : l’odeur des variétés présentée est prenante. L’une d’entre elles a même été baptisée la «Moreau», du nom de l’ancien député de la Creuse, fervent défenseur de l’expansion du marché du CBD.
Chaque personne qui passe devant l’échoppe marque une pause. Certains badauds tendent les doigts vers une coupelle en ferraille disposée sur une des imposantes jarres garnie de cannabis. Elle contient une poudre verte et plusieurs têtes de weed. «C’est du CBD, à manger, macéré dans du sucre», lâche avec un sourire Jouany Chatoux, éleveur devenu producteur de CBD depuis cinq ans.
Derrière le stand, Jérémy Gaillard, l’associé de Jouany Chatoux, dispose soigneusement les dizaines de pochons contenant de la résine de cannabis chargée en CBD. «Depuis lundi, la clientèle est super variée. Aussi bien les petits vieux que les moins jeunes. Le samedi, il n’y avait que des jeunes qui se mettaient la mine, donc on a vendu que des fleurs. Aujourd’hui, c’est plus calme. On vend plutôt la gamme cosmétique et bien être, et des tisanes. On a l’impression que le chanvre CBD est entré dans les mœurs», reconnaît le producteur.
Une «concrétisation» après des années à se «battre»
C’est au cœur de la Creuse, dans la Ferme bio de Pigerolles, que Jouany et Jérémy font pousser leur chanvre en plein champ. Etre exposés au Salon de l’agriculture, c’est une «concrétisation» pour les deux hommes après des années à se «battre» pour rendre légaux ces produits. Depuis l’ouverture du Salon, ils ont vu défiler de nombreux collègues intéressés par le fruit de leur travail autour de la plante. Un chef cuistot s’est ainsi montré friand des recettes à base de CBD. Plus tôt dans la journée, c’est un vigneron qui a rêvé de créer une liqueur de cannabis qu’il marierait à son champagne. Chez les apiculteurs, on songe même à un miel au cannabis. «Les gens ne sont pas surpris de voir de l’herbe ici, affirme Jérémy Gaillard. Tout le monde connaît le CBD. Le travail médiatique a payé. Par contre, nombreux sont surpris de voir des produits transformés en France, cultivés en France et bio.»
Malgré l’engouement et la bataille gagnée au Conseil d’Etat, selon Jouany Chatoux, la lutte n’est pas terminée pour autant. Dans le viseur : le spectre de réglementation sur les Novel food. «Via cette législation, il faudra compter 300 000 euros pour enregistrer un produit fini qui devra contenir 0 % de THC. Or pour obtenir ce taux, il faut user de solvant et c’est l’inverse des méthodes traditionnelles qu’on exerce. De plus, les gens qui se mettent à cultiver du CBD le font dans un but de complément de revenu, pour diversifier leur activité, développe Jouany Chatoux. Ce sont des maraîchers, des viticulteurs, des arboriculteurs qui sont à la peine et qui ont trouvé ce moyen pour diversifier leur activité et vendre leur production sur les marchés.» Et d’ajouter, amer : «Si demain ce projet passe sur tous les produits qui contiennent du chanvre, il n’y aura pas de filière, ni bio agricole, ni française.»