Monologue de la rayonnante prohibition française, fière de mettre à l’index les addicts aux drogues comme au sexe tarifé.
Bonjour, bonjour, je suis la prohibition et je ne me suis jamais aussi bien portée. Je plastronne telle une matonne en uniforme et fanfaronne comme une daronne après un lifting. Je serre enfin la discipline à cette France débauchée que j’envoie au confessionnal, un bracelet électronique à la cheville. Je pourchasse les drogués perdus et les accros infoutus de se sevrer. Je cible les amateurs de prostituées et bientôt je m’en prendrai à ces pornographes rendus sourds à toute décence. Longtemps le désabusement m’a saisi devant les facilités accordées aux transgressifs et aux décadents par mon doux pays inconséquent. Mais les temps changent, comme s’en félicitent les petits télégraphistes médiatiques sans comprendre qu’ils seront peut-être les prochains sur la liste de mes cousines prénommées «répression» et «annulation». Et voilà pourquoi je me félicite de contribuer à effacer l’un des trois mots qui se terminent en «té», la très surévaluée «liberté» que je propose de remplacer par «autorité».
L’autre jour, j’ai repéré sur un quai du métro, Andy Kerbrat, un député LFI qui achetait sa dose à un dealeur. Je tenais mon cas d’école, ma crapule majuscule, mon répulsif lascif. Pensez donc ! Un élu dissocié qui brave les lois qu’il est chargé d’élaborer, je ne pouvais trouver meilleur argument pour ma juste cause. Voilà qui va me permettre d’envoyer se rhabiller les fumeux fâcheux qui plaident pour la légalisation du cannabis et la médicalisation des produits les plus nocifs. J’ai plaisir à constater que ces paltoquets laxistes qui brament à la lune sont devenus inaudibles. Ils peuvent bien rappeler l’échec récurrent des stratégies antidrogues et souhaiter que le pays élabore une réponse pragmatique, personne ne les écoute. Il me suffit de recenser les flingages entre trafiquants pour capitaliser sur l’émotion et tétaniser toute volonté régulatrice. Notez comme j’ai réussi à faire entrer dans le lexique les termes «narchomicide» et «narcocide», néologismes qui font croire aux gens de bonne foi que la matraque policière est la seule solution.
La classe politique française me facilite la tâche. Retailleau, mon copain vendéen, est en poste à Beauvau. Je lui fais toute confiance pour taper fort. Reconnaissons que Darmanin a montré la voie en commençant une stratégie osée : criminaliser le consommateur. Les téteurs de joints comme les sniffeurs de lignes seraient les complices du grand banditisme, pour ne pas dire leurs donneurs d’ordre. Excellente manœuvre ! Paniquée par la droitisation ambiante, la gauche de gouvernement rallie cahin-caha le camp sécuritaire en la matière. Et comme LFI, qui pouvait être libérale sur le sujet, a le chic pour promouvoir un ex-dealeur ou un addict au chemsex, tout en exigeant de ses opposants l’exemplarité dont elle dispense les siens, il me suffit d’ouvrir grand les bras où le pays angoissé se jettera.
Je suis la prohibition et je me suis donné pour mission de faire régner l’ordre et de peupler les prisons. Je me prends pour l’amante d’Eliot Ness, l’incorruptible. Ensemble, nous faisons tomber les Al Capone aux veines perforées et autres Gorgones défoncées. Je raconte à chacun que je lutte contre la délinquance et que je suis le pare-feu idéal. Tant pis si les plus lucides me voient plutôt comme une pousse au crime déguisée en dame d’œuvres. Sinon, regardez comment j’ai admirablement manœuvré avec la prostitution voici quelques années. Aujourd’hui, les clients sont pénalisés, mais je laisse les travailleuses du sexe continuer à racoler. Forcément, cette schizophrénie légale fait flamber les infractions. Merci qui ? Merci la prohibition ! Comme j’ai perdu tout espoir de recriminaliser l’avortement, et que pour l’euthanasie, ça me semble aussi mal parti, j’ai identifié un nouveau relais de croissance. Demain, je me verrais bien dénoncer les visionnages en ligne de ces affreux films X qui, selon certaines de mes copines néoféministes, maximalisent ces deux calamités que sont la «culture du viol» et le «male gaze».
Sinon, voyez comme je sais m’adapter à l’époque. Gant de fer, je pactise avec les mains de velours. Je sanctionne, mais je tiens à ce que soit proposé aux pauvres pécheurs, un parcours de réhabilitation éducative, si tant est qu’ils soient suffisamment repentants pour mériter pareille rédemption. Et c’est pourquoi les peines prononcées par une justice très évolutive ajoutent désormais une obligation de soins à la privation de liberté. Pas question que les déviants s’autodétruisent ! La bonne conscience ambiante ne le supporterait pas. La pérennité physiologique est un impératif catégorique auquel personne ne doit se soustraire. Quant à la santé mentale, elle tient désormais de la contrainte par corps. Il s’agit d’exercer avec une douce bienveillance ce biopouvoir décrit par Michel Foucault. Ce qui fait qu’au soir je peux cajoler ma satisfaction du travail bien fait et me réjouir d’avoir contribué à sauver l’humanité souffrante. Rien de moins…