Par Simon Piel et Luc Leroux
Publié le 16/12/20
ENQUÊTE
Jean-Louis Keita, figure du barreau d’Aix-en-Provence, est soupçonné d’avoir transmis à un malfaiteur de haut rang des informations confidentielles sur plusieurs enquêtes concernant des trafiquants marseillais. Une affaire dont « Le Monde » révèle de nombreux éléments.
Il a suffi de quelques instants pour percevoir dans les regards de ses avocats, pleins d’inquiétude et de tristesse, que l’issue de la demande de remise en liberté qu’ils s’apprêtaient à défendre, ce 19 février 2020, ne faisait guère de doute. Il a suffi qu’ils sollicitent le huis clos à la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’Aix-en-Provence pour deviner leur volonté de protéger leur client des quelques journalistes présents. Il a suffi, enfin, de les écouter plaider que celui-ci puisse se présenter devant à la barre plutôt que dans le box pour deviner qu’il ne s’agissait pas d’un détenu comme les autres.
La chambre de l’instruction a fait droit à toutes leurs demandes, excepté la plus importante : Me Jean-Louis Keita, 69 ans, figure du barreau d’Aix-en-Provence, n’a pas été libéré ce jour-là ; il est reparti sous escorte policière vers la maison d’arrêt d’Aix-Luynes (Bouches-du-Rhône), poursuivi pour « violation du secret professionnel et révélation d’information sur une enquête ou une instruction pour crime ou délit puni de dix ans d’emprisonnement, relevant de la criminalité ou délinquance organisée, à une personne susceptible d’y être impliquée ».
En d’autres termes, il est soupçonné d’avoir informé des voyous de haut rang de l’orientation de certaines enquêtes. A l’annonce de sa mise en examen, le 6 février, l’affaire avait fait grand bruit à Aix-en-Provence et à Marseille. L’Association des avocats pénalistes (Adap) s’était empressée, sans connaître le fond du dossier, de dénoncer « les atteintes répétées portées au secret des avocats ».
Le temps paraît loin où les imposantes bacchantes de Jean-Louis Keita s’illuminaient d’un large sourire à l’évocation de son parcours.
Son amour de la défense pénale et la grandeur de sa mission. Sa fierté d’avoir défendu, auprès de Jacques Vergès, le jardinier marocain Omar Raddad, puis d’avoir été sur les bancs de la défense au procès de l’assassinat de la députée Yann Piat en 1994, et d’être devenu, dix ans plus tard, bâtonnier d’Aix-en-Provence, « l’avocat des avocats », comme il disait. Une profession embrassée au nom de son père, assassiné en 1971 en Guinée par le pouvoir du président de l’époque, Sékou Touré, lequel l’avait nommé ministre des armées avant de s’en débarrasser en l’accusant de fomenter un coup d’État.
Cette accusation injustifiée a poussé Jean-Louis Keita à se lancer dans la carrière d’avocat en France, lui qui est né à La Ciotat (Bouches-du-Rhône). La suite du parcours, ce fut Aix-en-Provence, le droit, puis le barreau et une carrière sans ombre dans cette ville bourgeoise. L’homme a de l’allure, une carrure d’athlète sportif (judo, water-polo) et des talents d’orateur. Comme bien des pénalistes, il commence par traiter de grandes affaires criminelles puis, de plus en plus souvent, celles liées au « narco-banditisme ». Devenu un notable aixois, il porte des chemises brodées « JLK » et a droit à un portrait d’une page dans La Provence sous le titre « Et le petit prince africain devint roi ».
En 2014, il surprend son monde en se lançant à la conquête de la mairie, n’hésitant pas à distribuer des pin’s en forme de paire de moustaches. Mais les électeurs ne lui accordent que 2,82 % des voix, et le renvoient à son cabinet d’avocat. L’endroit témoigne de sa réussite professionnelle : de vastes locaux, rue Emeric-David, dans l’un des nombreux hôtels particuliers du XVIIe siècle du centre-ville. Sur les murs, il a encadré un mot de son ami Jacques Vergès, mais aussi une carte du terroriste Carlos, qui s’achève par « Révolutionnairement vôtre ».
Et puis, les années ont passé, bientôt trente-huit au barreau d’Aix-en-Provence. Certains confrères bienveillants ont commencé à lui suggérer de prendre sa retraite, estimant qu’il était temps, l’âge venu, de passer la main. Il ne les a pas écoutés. Se doutaient-ils, ces confrères aixois ou marseillais, que certains dossiers dans lesquels il intervenait menaçaient de se refermer sur lui comme un piège ?
Les messages de « Baba » décryptés
Dans les couloirs de la juridiction interrégionale spécialisée (JIRS) de Marseille, les magistrats chargés des affaires de criminalité organisée savent que le réflexe corporatiste de l’Adap ou les murmures de ceux qui pensent que des juges veulent se « payer un avocat » pèsent bien peu face aux éléments recueillis contre Me Keita. Pour eux, ce dossier a pris un tour particulier le 21 janvier 2018, sur fond de règlements de comptes entre trafiquants de stupéfiants.
Le BlackBerry saisi a offert aux enquêteurs une plongée sans filtre dans les coulisses de la grande criminalité marseillaise
Ce jour-là, les policiers mènent une perquisition chez Abdelmoumen M., un jeune homme soupçonné d’avoir joué un rôle dans l’assassinat, le 16 février 2017, de Kader B., membre d’une « équipe » rivale, retrouvé criblé de balles et en partie carbonisé dans une Renault Twingo sur l’autoroute A55. Une exécution pure et simple, sous les yeux des automobilistes.
Lors de la perquisition, les enquêteurs saisissent du matériel de « pro » du banditisme : une balise de fabrication russe destinée à suivre en temps réel le véhicule de rivaux qu’il conviendrait d’éliminer, des détecteurs de balise, des cartes SIM, une compteuse de billets, des feuilles de comptes, plus de 20 000 euros en espèces, et surtout un téléphone BlackBerry protégé par la technologie de cryptage PGP.
Les messages qu’il contient n’auraient jamais dû être exhumés mais les technologies évoluent et l’Institut de recherche criminelle de la gendarmerie nationale (IRCGN) a fini par contourner le chiffrement de l’appareil, offrant ainsi aux enquêteurs une plongée sans filtre dans les coulisses de la grande criminalité marseillaise, cet univers ultraviolent où Me Keita, pourtant aguerri, est aujourd’hui soupçonné de s’être égaré.
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Un message les intrigue particulièrement. Daté du 7 novembre 2017, il est signé « Baba » et adressé à un certain « Philippe ». Le premier rend compte au second des investigations en cours dans une affaire de double assassinat dans laquelle le frère d’Abdelmoumen M., surnommé « Toufik », a été placé en garde à vue. Les enquêteurs suspectent vite Me Keita d’être « Baba ». N’est-ce pas lui qui assure la défense de « Toufik » ? Quant au destinataire du message, ce serait Mohamed Djeha, un trentenaire suspecté d’être l’un des chefs du trafic de stupéfiants de la cité de la Castellane, dans les quartiers nord de Marseille.
Accès direct aux coulisses de l’enquête
De fait, le message de « Baba » trahit un accès direct aux coulisses de l’enquête, et livre, au sujet de « Toufik », des précisions dignes d’un habitué du monde judiciaire. « Ça y est, je suis sorti, est-il écrit. On lui reproche des faits qui remontent au 24 juin 2016 à 22 h 30. Deux jeunes ont été abattus cité Consolat à l’aide de kalachs. 2 autres ont échappé miraculeusement à la mort. On est sûr que Toufik n’est pas le tueur. Ils veulent lui faire dire qu’il a préparé ou livré trois voitures. On lui pose toujours la même question : êtes-vous monté dans une Clio RS, une Megane RS ou une BMV 330D breack ? On lui a présenté les photos des victimes qu’il ne connaît pas ainsi qu’une planche photo comprenant 8 personnes dont lui. Il n’a reconnu personne. En revanche, une autre personne a été interpellée aujourd’hui qui elle reconnaîtrait sa participation à la livraison des VH [véhicule] pensant qu’il montait sur un braco. Je ne connais pas son nom, je le saurais peut-être demain. Le nôtre tient bien le coup. Ils doivent avoir trouvé son ADN dans une ou deux voitures. Je le saurai demain. Le portable me précise que mon abonnement expire le 6 dec prochain. Je me devais de te l’indiquer. »
Deux jours plus tard, le 9 novembre, « Baba » rédige un autre message : « Je rentre à l’instant de sa GAV [garde à vue]. Il ressort de celle-ci qu’il est incontestable qu’il a bricolé 2 des 3 véhicules mis en cause. Je ne sais toujours pas comment ils font le lien entre les 2 meurtres et ces VH. Il a touché la BMW et la Clio, pas la Megane. Il les a amenés du haut de l’hôpital nord dans des box sur indications d’un inconnu. Le gitan pour sa part a reconnu qu’on lui avait commandé des VH pour faire un camion de cigarettes, pas un meurtre. Il travaillait avec 2 mecs qu’il n’a pas donné ni le nom des personnes qui ont passé commande de ces voitures. A priori, le gitan était suivi depuis longtemps et dans tous ces déplacements. Ils l’ont même écouté. Toufik a été obligé de reconnaître qu’il a servi de petite main naïve et qu’il n’a pris aucune précaution pour masquer ses empreintes. »
L’un des messages de « Baba » : « Le petit se fait prendre parce qu’il ne portait pas de gants. C’était pourtant simple d’en mettre. Voilà les dernières nouvelles. Je t’embrasse »
Encore quelques lignes, le 18 novembre : « J’ai vu le petit ce matin et je lui ai même apporté des cigarettes. Il fume trop. J’envisage un RV avec P. [un avocat] et le gitan afin qu’ils se mettent d’accord sur la future confrontation. Il m’a rassuré en me disant qu’ils ne sont au courant de rien en ce qui le concerne. (…) Par ailleurs, j’ai compris que le juge avait le résultat des ADN mais qu’il ne les a pas toutes communiqué pour essayer de coincer le maximum de monde. Il faut donc toujours être d’une extrême prudence. Le petit se fait prendre parce qu’il ne portait pas de gants. C’était pourtant simple d’en mettre. Voilà les dernières nouvelles. Je t’embrasse. »
Le même jour, à 18 h 15, Mohamed Djeha (« Philippe » selon les enquêteurs) informe à son tour Abdelmoumen M., le frère de « Toufik ». Un texte bref, truffé de fautes, mais révélateur du contexte : « J’ai eu le baveux [ l’avocat] il la vue oui aujaurd hui. Il va bien ton frere il cherche a lui coller les dossier mais ya rien quedal. Il a rdv avec le baveux a mich et ton frere et lui même pour preparer le dossier ensemble avant les confrontation entre les 2 mich et lui. Sa vas bien se passer, il me dis aussi fait gaffe eu tel il vous ecoute. Et ne parle jamais du baveux a quelqu’un des infos ou quoi. Tu sais se baveux personne c’est se qui fait. C’important ne parle jamais des relation. Et il enquette encore ses batard de shmith fait gaffe toi aussi. »
« Le mystérieux donneur d’ordre »
Jean-Louis Keita a été remis en liberté le 15 avril mais il reste soupçonné d’avoir transmis, en 2017 et en 2018, des informations couvertes par le secret de l’enquête à un voyou d’envergure dans quatre procédures – trois à Marseille, une à Toulouse – menées pour des faits d’association de malfaiteurs, de meurtre et d’assassinat en bande organisée. Ces affaires sont d’autant plus sérieuses qu’elles s’inscrivent dans la longue histoire de la guerre que se mènent à coups de kalachnikov des hommes désireux de contrôler le trafic de cannabis dans le sud de la France. Elles disent aussi la haine que se vouent, au moins depuis 2016, deux clans rivaux. De mort en mort, de vengeance en vengeance et sur fond de rivalité « commerciale », cette haine n’a cessé de grandir.
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De nombreux messages entre Djeha et ses lieutenants témoignent de ces tensions au début de l’année 2018, quand des soupçons commencent à peser sur Me Keita. A lire ces échanges, les troupes de Djeha seraient alors engagées dans un conflit dont personne, côté adverse, ne doit réchapper. Malgré les progrès des différentes enquêtes policières, dont la moindre avancée finit par leur venir aux oreilles, l’heure est à la mobilisation.
Ainsi, un message précise qu’il faut « eradique tou se qui ya sur notre liste pas un vas en rechappe ». (…) Mes le plu inportan c de continue le mosade… car can on va tape on vas plus sarette ». Comprendre qu’il s’agit de continuer à s’informer sur leurs cibles comme le ferait le service de renseignement israélien (le Mossad) avant de « taper », autrement dit tuer.
Dans un rapport de synthèse de la brigade criminelle de la police judiciaire de Marseille daté du 8 février 2018 et consacré à l’assassinat de Kader B., un capitaine désigne clairement Mohamed Djeha et son entourage : « [Djeha] est le chef incontesté de cette équipe, donnant les instructions pour le déplacement des armes, pour la gestion du trafic de stupéfiants et la rémunération de l’ensemble des protagonistes. L’ensemble des décisions lui revenaient et les projets criminels étaient menés par lui. »
Condamné par défaut en 2019 à dix ans de prison pour le blanchiment de sommes colossales provenant du trafic de drogue, « Mimo », comme il est surnommé, avait alors été décrit comme « le mystérieux donneur d’ordre qui, bien que domicilié à Dubaï, semble être à même de gérer à distance le rapatriement et la répartition des fonds issus du juteux trafic de stupéfiants ».
A la Castellane, son fief, le chiffre d’affaires quotidien de ce « business » avait été évalué, en 2013, entre 50 000 et 80 000 euros. Quatre ans plus tard, les policiers ont la confirmation de sa place dans la hiérarchie de la criminalité locale. Le 26 septembre 2017, lors d’une surveillance, ils ont en effet la surprise de constater que l’un des lieutenants de Djeha s’entretient avec Michel Campanella, réputé être le « dernier parrain » de la ville. D’après la police, il s’agit à l’époque pour Djeha « d’apaiser des tensions existantes avec les Corses (dont il parle comme de “la Mafia”) avec lesquels le clan de la Castellane veut la paix ».
Une grosse pointure
Djeha est aujourd’hui en fuite, laissant le soin à d’autres d’écrire son histoire. Celle d’un trentenaire né le 21 septembre 1981 à Béjaïa, ville côtière de la Kabylie, devenu par la suite un enfant de la Castellane, où il a grandi avec ses deux frères et ses deux sœurs. Celle d’un homme soupçonné d’avoir contribué à faire de cette cité de près de 4 500 habitants un lieu majeur du trafic de stupéfiants et donc d’être impliqué, plus ou moins directement, dans les violences de la dernière décennie. Au cours de la seule année 2016, 27 jeunes hommes avaient été tués sur fond de trafics de drogue.
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Djeha insaisissable. En 2018, non loin de la Castellane, les policiers frappent à la porte d’une villa où vit sa mère, femme de ménage, veuve depuis 1990. Mais celle-ci assure n’avoir plus aucun contact avec son fils : « Mohamed, je ne sais pas où il vit, je ne sais pas ce qu’il fait. » La famille aurait « coupé les ponts » depuis le mariage d’un de ses frères en 2012. « Nous avons eu une dispute ce jour-là, précise sa mère. Il est parti et n’a plus donné de nouvelles. » Michel Campanella semble mieux renseigné. A l’occasion d’un échange avec des amis capté en décembre 2019 par des policiers dans le cadre d’une autre enquête, le « parrain » supposé du milieu marseillais donne quelques nouvelles de « Mimo » en affirmant que celui-ci est « très riche » et vit à Dubaï où il se serait associé avec Karim A., un ancien agent de joueurs de football proche de l’Olympique de Marseille.
Voilà des années que Djeha hante les procédures de la JIRS sans jamais avoir été interpellé. « C’est vraiment une grosse pointure, mais on ne parvient pas à mettre la main dessus », déplore un magistrat. La peur qu’il inspire l’a préservé de tout témoignage incriminant. Des hommes réputés plus ou moins proches de lui ont bien été entendus, mais tous ont assuré, pour ainsi dire d’une même voix, ne pas le connaître.
Les immenses précautions prises par ailleurs pour garantir la confidentialité de ses échanges l’avaient jusqu’ici protégé de la curiosité des policiers. En 2017, certains d’entre eux ont assisté, médusés, à l’effacement à distance des données d’un téléphone saisi sur Farid B., un collecteur d’argent suspecté d’agir sous les ordres de Djeha. Me Jean-Louis Keita, s’il est bien l’auteur des messages mentionnés plus haut, n’aura pas eu cette chance.
Une parole pas si libre
« Je ne suis pas Baba », a-t-il maintenu devant le juge d’instruction lors de son interrogatoire de première comparution, le 6 février 2020, reconnaissant juste avoir été le conseil de Mohamed Djeha en 2017 pour un simple aménagement de peine. Dix fois, vingt fois, Me Keita a clamé son innocence : « Ce n’est pas moi » ; « Je ne suis pas l’auteur de ce message » ; « Celui qui rédige les messages, les rédige en style littéraire pour faire croire qu’il est avocat et donner plus de poids aux messages » ; « Ce n’est pas moi qui ai écrit ça. »
Au milieu de ses dénégations, l’ancien « avocat des avocats » laisse toutefois entendre que sa parole n’est alors pas si libre qu’il n’y paraît. « Vous voulez me faire dire des choses qui pourraient me mettre en danger » (…) « Admettre que je suis Baba, ça serait admettre que mon interlocuteur serait Djeha (…), ce qui n’est pas le cas. Vous voulez tout faire pour que je dise que je suis Baba pour coincer Djeha, ce qui n’est pas le cas et jamais je vous le dirai. Vous voulez des aveux pour mettre en cause Djeha. Vous avez suffisamment d’éléments pour me mettre en examen, ce que vous allez faire, et éventuellement me renvoyer devant le tribunal qui statuera. » Et d’ajouter : « Je ne fais pas partie de la criminalité organisée. »
« La gestion de la clientèle pénale peut parfois être dangereuse et exposer l’avocat à des suspicions », a réagi par courriel Me Dominique Mattei, avocat de Jean-Louis Keita
Qui peut prétendre connaître les raisons qui l’ont conduit à cette situation ? A voix basse, certains de ses confrères suggèrent diverses hypothèses comme autant d’éléments à décharge. A les entendre, la clientèle pénale du « narco-banditisme marseillais de cité », comme l’appelle la PJ, serait devenue si puissante qu’elle pourrait pousser un avocat solide à toutes les compromissions. Le pousser et même le menacer, une fois les honoraires encaissés.
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Ainsi, certains malfaiteurs n’hésiteraient plus à proposer aux avocats une liasse de billets contre un CD contenant les informations confidentielles d’une procédure pénale. Autre hypothèse : la concurrence entre pénalistes, si intense qu’il faudrait être prêt à toutes les ententes, fussent-elles illicites, pour conserver les dossiers majeurs. Certains soulignent enfin que les relations entre magistrats et avocats se seraient tant dégradées, ces derniers temps, que des affaires délicates, autrefois réglées en tête à tête dans le secret d’un bureau, sont désormais « judiciarisées ».
« Triste fin de match »
Où est la vérité dans le cas de Jean-Louis Keita ? Sollicités, ni lui ni son conseil, Me Dominique Mattei, n’ont accepté de répondre aux questions du Monde. Ce dernier a juste souhaité préciser par courriel : « Je veux rappeler l’avocat qu’a été Jean-Louis Keita et les responsabilités les plus éminentes qu’il a exercées au sein de la profession. Je m’étonne qu’il puisse être mis en cause dans une affaire de cette nature. La gestion de la clientèle pénale peut parfois être dangereuse et exposer l’avocat à des suspicions. »
Depuis la prison de Draguignan (Var) où il avait été transféré quelques semaines avant sa libération, Jean-Louis Keita avait écrit à son bâtonnier, lui demandant de ne plus être inscrit au barreau. Ce fut chose faite. Le 6 février, les juges d’instruction Antoine Derieux et Isabelle Couderc lui avaient demandé comment il envisageait la suite de sa carrière. Il avait alors répondu : « Elle est morte, ma réputation, mon honneur, ma dignité. Ce que j’ai vécu en garde à vue, je ne le souhaite pas à mon pire ennemi. Comme on dit en football, triste fin de match. Je n’ai jamais failli. »
Simon Piel
Luc Leroux
Marseille, correspondant
Source : Lemonde.fr