Mercredi à Marseille, le Président a repris sa rengaine répressive contre les stupéfiants, accusant les consommateurs d’alimenter le trafic, alors que le statu quo sur la prohibition fait prospérer les réseaux illicites.
par Charles Delouche-Bertolasi
Publié le 2 septembre 2021
A six mois de la présidentielle, le président et quasi-candidat Macron a trouvé la solution pour régler la question du trafic de drogues : accuser les consommateurs d’en être les complices. L’ex-banquier nous ressort la règle d’or de la demande qui crée l’offre. « Il faut que tout le monde comprenne dans notre pays que les consommateurs de drogue sont des complices de fait » des trafiquants, a déclaré le chef de l’État, mercredi soir face à un parterre de policiers à Marseille, où les règlements de compte ont fait huit morts cet été. « L’idée que dans certains quartiers ce serait branché de prendre de la drogue pour que, dans d’autres, on ait des jeunes qui se fassent tuer parce qu’ils la vendent ou surveillent [le trafic], c’est terminé », a-t-il martelé, martial, dans une cité Bassens soigneusement nettoyée en prévision de sa venue.
L’argument paraît frappé au coin du bon sens : les petits bourges fument des joints, sniffent et gobent des drogues sur le dos des jeunes prolos, esclaves locaux d’un trafic international sans foi ni loi. Sauf que ça ne marche pas comme ça dans la réalité. Elle ne se décrit pas de façon aussi grossière. Primo, il n’existe pas de société sans drogues. Deuzio, la répression ne fonctionne pas depuis quarante ans. Ni sur le plan sanitaire, encore moins sur le plan sécuritaire. Certains en sont revenus. De nombreux États américains ont abandonné leur politique et leur rhétorique de « guerre à la drogue ». En trois ans de légalisation au Canada, le trafic a baissé de plus de moitié ; en sept ans de légalisation au Colorado, il a été divisé par dix, comme le rappelle sur son compte Twitter, Pierre-Yves Geoffard, économiste spécialiste des drogues.
Au lieu de mettre en œuvre le pragmatisme nouveau monde qu’il revendique, Macron choisit de labourer d’anciens sillons électoralistes. On a eu le Giscard 2.0, voilà le Nixon d’Amiens. Après le gimmick « la drogue, c’est de la merde », lui aussi datant des années 70, repris par son porte-flingue Darmanin, le chef de l’État choisit à Marseille de persister dans une politique répressive périmée et décriée depuis des années aussi bien par les professionnels de santé, spécialistes du droit et syndicat de forces de l’ordre. En cinquante ans de prohibition en France et avec une des politiques les plus dures d’Europe en la matière, le trafic et les consommations n’ont cessé d’augmenter. Mais qu’importent les faits.
« Un coup de frein, pas un coup de publicité »
Alors qu’on célèbre ce mois de septembre le premier anniversaire de l’amende forfaitaire délictuelle de 200 euros pour les usagers de drogue, qui n’a enrayé ni le trafic ni les consommations, Emmanuel Macron continue d’appeler à garnir l’arsenal répressif. Et même si 51% des Français sont favorables à la dépénalisation du cannabis, Macron le rabâche : « A l’inverse de ceux qui prônent la dépénalisation, je pense que les stups ont besoin d’un coup de frein, pas d’un coup de publicité. » Mais quelle meilleure réclame pour la drogue qu’une politique publique inefficace ?
Avec ses rodomontades sécuritaires à la papa, Macron est l’idiot utile des gros trafiquants. Ils applaudissent à deux mains le statu quo qui dans les faits leur permet de continuer à prospérer. Le président libéral aurait pu les mettre au défi de revêtir le costard du start-uppeur en soumettant leur business au contrôle des autorités sanitaires, sécuritaires et fiscales. D’autant plus que la boîte à outils existe dans sa propre majorité. Depuis deux ans, des parlementaires LREM, tels Jean-Baptiste Moreau ou Caroline Janvier, sont devenus des experts et prônent une toute autre approche du marché du cannabis. Après plus d’une centaine d’auditions et une série de rapports autour du cannabis médical, du CBD et du récréatif, ils se sont prononcés en faveur d’une légalisation régulée par l’État. Une montagne de travail balayée d’un revers de main par le chef de l’État. Lorsque le sage montre les études, l’imbécile regarde le joint qui tourne.
Source : Libération.fr