par Charles Delouche-Bertolasi
Terminée la phase de « compréhension » (ou de bon sens ?) du brigadier qui, le regard à la fois teinté de dédain et de malice, indiquait au quidam contrôlé fort détendu sur la voie publique de jeter sa boulette de shit ou son pauvre pochon d’herbe dans le caniveau. Aux oubliettes les virées imprévues au commissariat pour un joint en poche, assis sur la banquette arrière de la 207 tricolore entre deux colosses, auxquels on soutenait mordicus qu’on ne nous y reprendrait plus. L’amende forfaitaire délictuelle de 200 euros fête ses six mois d’existence.
Désormais, les pèlerinages dans les cités de Saint-Ouen se vivent la peur au larfeuille. Inscrite dans la loi, cette nouvelle amende forfaitaire était censée permettre de désengorger les tribunaux et, pour les policiers, de se concentrer sur les gros bonnets. Six mois et plus de 43 000 prunes plus tard, autant dire que le bilan reste mitigé. Côté justice, l’amende ne change rien en termes de flux et de charge de travail. Si certains policiers vantent le gain de temps, d’autres pointent des lourdeurs : obligation d’être majeur, d’avoir ses papiers et de reconnaître les faits pour être amendé. Côté trafic, les points de deal tournent toujours et les consommateurs sont nombreux à passer au travers des contrôles quand d’autres ont recours à la livraison à domicile.
Logique répressive
Initiée par l’Assemblée nationale, la consultation citoyenne autour du cannabis récréatif s’est achevée dimanche. Près de 250 000 personnes se sont prononcées et une majorité de répondants (70%) sont pour la légalisation. A gauche, à droite et dans les rangs de la majorité, certains politiques y sont également favorables comme la députée du Loiret Caroline Janvier, rapporteuse thématique de la mission d’information à l’origine de cette consultation : « Pour reprendre le contrôle et lancer en parallèle de vraies campagnes de santé publique.. »
Mais l’exécutif persiste dans sa logique répressive. Au début du mois de février, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a rappelé son opposition au moindre assouplissement, faisant suite à ses propos de septembre : au sujet du cannabis, il avait déclaré un subtil « la drogue c’est de la merde ». Or, cibler les consommateurs et les petits dealers n’a jamais permis de faire tomber un « four », – ces supermarchés de la drogue qui maillent le pays et ses banlieues et qui prospèrent hors la loi. Une politique qui entretient le trafic plus qu’elle ne le combat. Alors que les grands États démocratiques franchissent le pas dans un mouvement de dépénalisation général, la France reste arc-boutée sur ses freins. Bilan, le pays compte toujours le plus grand nombre de consommateurs de cannabis en Europe alors que sa législation est depuis des lustres la plus répressive du vieux continent.
Source : Liberation.fr