Malgré la promesse des libéraux, il est encore facile de se procurer du cannabis sur le marché noir.
Les consommateurs canadiens continuent d’acheter ou consommer à 61% du cannabis illégal, selon les plus récentes données de Statistique Canada.
Photo : Radio-Canada / Nicolas Steinbach
Un an après la légalisation du cannabis, les consommateurs canadiens continuent d’acheter ou consommer 61% de cannabis illégal. Notre équipe a visité plusieurs établissements de la région de Moncton avec une caméra et un micro caché pour documenter cette réalité.
La devanture de l’établissement affiche très clairement une feuille de cannabis comme logo. À l’intérieur, une dame assise derrière son comptoir nous accueille en nous informant de la politique d’abonnement. C’est 25 dollars pour devenir membre et c’est bon pour 10 ans
.
Tout semble indiquer qu’il s’agit d’une boutique de vente de cannabis médicinal. On nous propose d’ailleurs de rencontrer un professionnel de la santé, mais sans préciser la profession de cet employé.
Il va fournir un formulaire et des recommandations et après vous pourrez acheter les médicaments ici
. Nous devinons que l’employée fait référence au cannabis, même si elle ne prononce pas ce mot.
Au Nouveau-Brunswick, la loi sur la réglementation du cannabis interdit à quiconque, à l’exception des succursales provinciales, d’exploiter un magasin qui vend du cannabis, de distribuer du cannabis ou de vendre du cannabis.
Nous avons demandé au propriétaire de l’établissement d’expliquer la nature de son commerce devant la caméra, mais il a décliné notre invitation.
Selon nos sources, des dizaines d’établissements comme celui-ci ont ouvert leurs portes dans la dernière année au Nouveau-Brunswick. Plusieurs d’entre eux continuent de s’approvisionner auprès du marché noir et de distribuer du cannabis illégalement.
Je n’ai aucun problème à offrir en cadeau un produit illégal
À quelques rues de là se trouve le club privé Touch of Grey. Cette fois, pas de prescription, pas de médecin local ni de frais pour devenir membre.
Tout ce dont tu as besoin, c’est d’argent
, nous dit l’employé accoudé au comptoir.
Après une brève discussion, il nous montre les cocottes de cannabis empilées dans des bocaux.
Ce sont tous des produits locaux
, affirme-t-il fièrement.
Nous décidons de confronter le propriétaire de l’établissement, Jay LeBourque, qui accepte de nous rencontrer à visage découvert.
Jay LeBourque confirme que son approvisionnement vient en totalité du marché illicite.
À 100 %, j’encourage ma communauté, je ne supporte pas les producteurs autorisés, c’est pour ça que je fais ceci
, dit Jay LeBourque
Du même souffle, Jay Lebourque nous explique qu’il ne vend pas le cannabis directement, mais qu’il en donne après que le client a acheté un autocollant sur place. Une façon de défier la loi sur la réglementation du cannabis qui, selon lui, comporte des zones grises.
Une tactique illégale
Mais il n’y a pas de zone grise dans la loi sur la réglementation du cannabis, selon le professeur de droit à l’Université de Moncton, Nicolas Lambert.
Le législateur a commis des erreurs dans le passé et ce n’est pas le cas ici. C’est vraiment très difficile d’imaginer qu’un conseil juridique viendrait justifier ce genre de pratique
, indique Nicolas Lambert.
C’est assez clair à mon avis que ces établissements qui n’ont pas de permis gouvernementaux sont en infraction de la loi
À sa connaissance, ce stratagème de troc de cannabis n’a pas été testé en cour, mais d’autres activités commerciales qui l’utilisaient l’ont été.
C’est assez clair que c’est pas légal, parce que la loi sur le cannabis ne vise pas juste la vente du cannabis, elle vise la distribution du cannabis
, précise M. Lambert. Donc le législateur a expressément interdit le troc de cannabis parce que le mot distribution comprend toutes activités comme la vente ou toutes formes de distributions, dont le troc.
Jay LeBourque affirme de son côté n’avoir reçu aucun avertissement des autorités depuis l’ouverture de son club privé peu de temps après la légalisation il y a un an.
La GRC n’a pas voulu confirmer ou infirmer ces allégations. Le plus important corps de police du Nouveau-Brunswick a décliné notre demande d’entrevue.
Afin de veiller à la sécurité des policiers et des membres du public et afin de préserver l’intégrité de nos enquêtes, nous ne pouvons parler des opérations et des tactiques policières
, nous a-t-on répondu par courriel.
Selon Nicolas Lambert, depuis la légalisation du cannabis, il y a un vide dans l’application de la loi.
On est aujourd’hui dans un régime de réglementation , c’est-à-dire que le produit est répandu sur le marché, sauf qu’il faut des permis pour le vendre. Et donc la police s’y intéresse de moins en moins
, indique Nicolas Lambert.
De la désobéissance civile
Viens je vais te montrer, c’est en haut, c’est ici que mes plants sont asséchés
, nous dit un petit producteur de cannabis qu’on appellera Henri, un prénom fictif.
De suivre la loi qui est présentement en place, c’est ridicule, je veux pas avoir de problème avec la police, mais je veux pas suivre la loi non plus
, nous répond-il.
Henri vient de terminer sa récolte. Dans le grenier de sa grange sont suspendus une trentaine plants de cannabis qu’il a cultivés dans son champ de maïs à l’abri des regards indiscrets.
Je ne le vends pas aux amis, c’est la même chose que je fais à ferme, c’est du troc
, dit-il.
Henri a cultivé huit fois plus de cannabis que la limite autorisée de quatre plants par personne. Sa production est illégale et il en est parfaitement conscient.
Vous pouvez faire de la bière maison autant que vous voulez et moi on va me restreindre avec de réglementation qui fait aucun sens, c’est pas normal que le consommateur d’alcool soit traité d’une manière et que le consommateur de cannabis soit traité d’une autre façon
, fait valoir Henri.
La première idée d’Henri n’était pas de produire du cannabis illégalement. Il a même pensé demander un permis de producteur artisanal à Santé Canada, avant de changer d’idée.
Le modèle m’intéresse, mais présentement, je trouve que c’est un milieu de copinage. Je suis pas prêt à mettre mon doigt dans l’engrenage des grands joueurs dans le genre de réglementation qu’ils ont présentement , ça m’effraie, c’est trop compliqué.
Un modèle qui ne fonctionne pas
Le président de l’Association des producteurs de cannabis artisanal du Nouveau-Brunswick, Rodney Wilson, affirme connaître plusieurs petits producteurs de cannabis qui, comme Henri, ont préféré rester illégaux.
Ils voulaient légaliser leurs activités, mais quand je leur ai parlé des critères, ils m’ont tous répondu la même chose : on n’est pas intéressé, on ne peut pas le faire
, avance Rodney Wilson.
Rodney Wilson a lui-même dépensé un demi-million de dollars en caméras de sécurité, en ventilation et en lumières pour mettre sa pépinière aux normes de Santé Canada. Trop compliqué et trop cher pour beaucoup de petits producteurs, selon lui.
En plus, dit-il, les affaires explosent sur le marché noir. Les clients qui faisaient affaire avec eux avant la légalisation sont revenus en raison des prix beaucoup plus bas du marché noir.
Selon Statistique Canada (voir le tableau), les prix légaux demeurent supérieurs de plus de 80 % à ceux du marché noir.
Un marché noir florissant
Un an après la légalisation du cannabis, les consommateurs canadiens continuent d’acheter ou consommer 61% de cannabis illégal.
Selon Henri, le cannabis vendu légalement par la société de la couronne Cannabis NB n’a simplement pas été à la hauteur des attentes
Il y a une demande et le gouvernement n’offre pas un produit de qualité
, affirme-t-il.
Les libéraux de Justin Trudeau promettaient en 2015 qu’ils allaient empêcher le cannabis de tomber entre les mains des enfants, et les profits de tomber entre les mains des criminels […] et légaliser et réglementer la marijuana, mais aussi en restreindre l’accès.
Ça n’a clairement pas fonctionné
, avance Henri, qui considère que des petits cultivateurs sont, dans un certain sens, un rempart au crime organisé.
Une plantation comme ça m’évite moi d’acheter le produit sur le marché noir […] Ça tient mes amis loin du marché noir, on retire des consommateurs du marché noir en ayant des produits de meilleure qualité et tout le monde est heureux comme ça
, souligne Henri.
Henri a l’intention de commencer une pépinière dès l’an prochain en utilisant ses propres graines, ce qui reste illégal étant donné que les plants et les semis doivent provenir de Cannabis NB. Il n’exclut pas la possibilité de passer à des activités légales… un jour.
C’est mon intention de produire des plants pour de l’extraction légale, très légale. Sauf que j’aimerais prendre un an ou deux pour voir comment ça se développe, pour voir ce qui se passe.
Source : Radio Canada