De nombreux patrons de boutiques de cannabidiol, longtemps poursuivis par la justice, ont obtenu gain de cause. La molécule non psychotrope est désormais présente dans de nombreux points de vente. Et les professionnels du secteur espèrent maintenant obtenir réparation.
La fumée s’estompe. Pour les professionnels qui n’ont jamais été inquiétés par la justice, les affaires sont plus florissantes que jamais. Le CBD, pour cannabidiol, version non planante du cannabis, est partout. Spots télé, radios, rayons dans les grandes surfaces, boutiques spécialisées, magazines dédiés et mêmes calendriers de l’Avent. Mais pour d’autres, le chemin vers l’or vert a été un calvaire. Poursuites judiciaires, destruction des stocks, condamnations, faillite. Depuis 2018, l’essor du marché du CBD en France s’est accompagné de joutes dans les prétoires opposant les défenseurs de la molécule à l’Etat.
Le 31 décembre 2021, un arrêté gouvernemental encadrant la CBD mania dans laquelle la France est plongée a été publié. Le recours déposé par les acteurs économiques du secteur a donné lieu un mois plus tard à la suspension de l’interdiction de la vente de fleur de cannabis par le Conseil d’Etat. Huile, tisane, cosmétique, bonbons, fleurs, le texte gouvernemental a au moins permis une chose : mieux faire comprendre aux juges et procureurs de quoi on parle lorsqu’on évoque le commerce du CBD et les dérivés du chanvre.
La Cour de justice de l’UE au secours de l’économie CBD
Il aura fallu une intervention européenne en novembre 2020 pour venir au secours du marché du CBD et de ses défenseurs. Tout commence en octobre 2018 avec la saisie de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) par la cour d’appel d’Aix-en-Provence dans l’affaire Kanavape. Un temps commercialisé à la fin de l’année 2014, le produit développé par Kanavape, une vapoteuse à CBD, est vite accusé d’être présenté aux consommateurs comme un médicament. La ministre de la Santé de l’époque, Marisol Touraine, saisit la justice et demande l’interdiction du dispositif, une «incitation à la consommation de cannabis», selon elle. En janvier 2018, le tribunal correctionnel de Marseille condamne les deux hommes derrière la marque à dix-huit mois et quinze mois de prison avec sursis, 10 000 euros d’amende et 5 000 euros de dommages à verser au conseil de l’ordre des pharmaciens constitué partie civile. Leurs avocats font appel. Et c’est finalement l’Europe qui tranche. La CJUE donne raison aux fondateurs de Kanavape et rejette à la fin de l’année 2020 l’interdiction de ce «chanvre bien-être» en France mettant en avant le principe de libre circulation des biens et des marchandises et réaffirmant au passage l’innocuité de cette molécule.
Jointe par Libération, Ingrid Metton, avocate experte dans les procédures liées à la plante, reconnaît que les nouvelles procédures se font désormais rares. Depuis quelques mois, la majorité de ses «dossiers CBD se règlent tous» et ses clients sont relaxés. «Il y avait des périodes où le CBD représentait plus de la moitié de mes dossiers», affirme-t-elle. L’afflux sans précédent d’affaires, elle le date à juin 2018, «suite à la sortie de la note aberrante de la Mission interministérielle de lutte contre les dérives addictives qui jugeait le CBD illégal. Trois jours plus tard, les perquisitions ont commencé à Paris et le lendemain c’était partout en France». Pendant de longs mois, son téléphone sonne tous les jours. Les procureurs font alors la chasse aux boutiques de CBD pourtant légales qui se multiplient sur le territoire. La pénaliste défend des dizaines de clients, pour la plupart poursuivi pour trafic de stupéfiants.
«Le Pablo Escobar des monts d’Arrée»
Malgré les risques de poursuites judiciaires, des centaines d’entrepreneurs font quand même le pari du CBD. Et aux yeux de la justice, nombreux sont ceux qui du jour au lendemain passent du statut de commerçant sans histoire à celui de dealer. Tristan Cloarec, chanvrier de 42 ans et patron de la marque de CBD GreenBee, en a fait l’expérience. Après deux longues années de combat judiciaire, l’élu municipal et adjoint au maire à l’urbanisme peut à présent savourer une balade dans les rues de Berrien (Finistère), sa commune de 900 habitants. Depuis qu’on l’a rencontré il y a pile un an, au moment de récolter son chanvre, sa vie a changé. Il y a dix jours, il a appris sa relaxe prononcée par le tribunal de Brest, après deux ans de poursuites judiciaires et d’attente et de procès. La fin des galères pour celui qui va pouvoir se consacrer à ses 5 000 m2 de culture sous serres et à son hectare de CBD «certifiés bio».
Pour lui, l’histoire avec la justice commence en juin 2020 et un banal contrôle de police d’un client qui sort de sa boutique sachet en poche. Problème, l’analyse faite sur place par les agents mesure un taux de THC (tétrahydrocannabinol), la molécule psychotrope du cannabis, supérieur à la limite légale. Aujourd’hui établi à 0,3%, ce seuil était alors fixé à 0,2%. Les policiers enquêtent et très vite décident de perquisitionner son échoppe située à Saint-Martin des Champs. Saisie de 30 kilos de fleurs, interpellation de Tristan, suivi d’une garde à vue au commissariat et d’un interrogatoire.
Après les relaxes, les demandes d’indemnités
«Les policiers m’ont dit que je n’avais aucun intérêt à faire venir un avocat de Paris vu la merde dans laquelle j’étais, à vendre du stupéfiant. Que je ferais mieux d’accepter de signer l’acte de destruction de mes lots, seul moyen de me faire sortir, selon eux», raconte Tristan Cloarec. Il refuse. Le père de famille est alors envoyé en comparution immédiate et placé en contrôle judiciaire pendant sept mois. «Avec un test urinaire tous les mois, un pointage toutes les semaines au commissariat et des séances chez le psy. C’était un acharnement judiciaire», se souvient le chanvrier.
«Forcément je me suis retrouvé exposé vis-à-vis des gens de ma commune. J’ai reçu des courriers anonymes à la mairie. Et à l’école de ma fille, ses camarades répétaient ce que disaient les parents : que son père était un trafiquant de drogues. Pendant deux ans et demi, on me voyait dans la rue comme le Pablo Escobar des monts d’Arrée, soutient Cloarec. Pour lui, le procureur de l’époque et le commissaire en charge de son dossier, «bien aidés par la presse locale, n’ont pas protégé l’enquête en publiant de fausses informations».
Pour l’avocate Ingrid Metton, il est temps de «contre attaquer». «On va faire des demandes indemnitaires dans les cas où c’est justifié, lorsqu’il y a eu par exemple des pertes financières liées à la saisie de marchandise saisie, détruite ou détériorée. Ainsi que pour les pertes liées à la fermeture du magasin lorsqu’il y a eu mise sous scellée», note l’avocate. Elle le martèle, pour ses clients, c’est aussi la «réputation qui a été atteinte» : «Certains ont été emmenés avec les menottes, d’autres ont subi des rumeurs alors que tout était faux. Maintenant qu’on a gagné dans de nombreuses procédures, il faut obtenir réparation.»
Un «nouveau combat» qui s’annonce déjà difficile selon la pénaliste. Un contexte particulièrement hostile à la plante sévit en France, renforcé par l’arrivée au ministère de l’Intérieur de Gérald Darmanin. Longtemps, le gouvernement n’a pas su ou voulu faire la distinction entre les différents usages du cannabis qu’il soit médical, de type «bien être» comme le CBD ou récréatif chargé en THC. Avec près de 900 000 consommateurs quotidiens de cannabis, la France est pourtant le pays d’Europe avec la législation la plus répressive en matière de fumette. Cela, alors que son voisin allemand s’est mis d’accord fin octobre autour d’un cadre de légalisation du cannabis à usage récréatif. Avec un contrôle public du produit, le projet vise à encadrer l’achat et la possession de cannabis chez les adultes. De l’autre côté du Rhin, les pro cannabis défendent pourtant la même approche, pour l’instant sans succès.