La schizophrénie est un trouble psychiatrique qui affecte jusqu’à 1% de la population à travers le monde. La consommation de cannabis pourrait favoriser sa survenue, mais le CBD, un de ses principes actifs, représente une option thérapeutique pour la combattre. Son efficacité fait actuellement l’objet d’une évaluation.
Les liens étroits entre l’usage du cannabis et la schizophrénie
La schizophrénie est une forme de psychose, un trouble psychique caractérisé par une perte de contact avec la réalité. La consommation de cannabis semble exercer une influence sur l’apparition et l’évolution de la maladie. Elle est particulièrement répandue chez les patients.
Aux États-Unis par exemple, l’analyse des données recueillies au cours d’une soixantaine d’études indique qu’une personne sur trois atteinte de psychose a eu recours au cannabis dans les 12 mois précédents. Dans la population générale, l’usage du cannabis ne concerne que 4% des personnes.
La consommation de cannabis déclenche des signes proches de la psychose
Le cannabis est une plante dotée de propriétés psychotropes qui provoquent une modification des perceptions et un effet planant recherché par les consommateurs.
Les sensations agréables cèdent toutefois parfois le pas à des ressentis oppressants, avec la survenue de pensées négatives, de paranoïa, ou encore une perte de la perception du temps. Le cannabis a en effet tendance, chez tout à chacun, à provoquer certains effets transitoires évoquant la schizophrénie. Si les personnes en bonne santé mentale n’y échappent pas toujours, ces signes surviennent de façon plus marquée chez les personnalités aux tendances psychotiques.
La consommation de cannabis augmente le risque de schizophrénie
Les premiers signes de la schizophrénie apparaissent généralement à la fin de l’adolescence ou chez le jeune adulte. De nombreuses études ont été menées pour déterminer si la consommation de cannabis pouvait jouer un rôle dans sa survenue.
Des chercheurs ont procédé à l’analyse des résultats de 10 d’entre elles ayant rassemblé près de 67000 personnes. Ils ont mis en évidence un risque de schizophrénie et de psychose multiplié par 4 chez les usagers de cannabis. Ce surrisque est dépendant de la dose : il est plus important chez les gros consommateurs que chez ceux ayant une consommation plus modérée. L’usage du cannabis au début de l’adolescence, avant l’âge de 15 ans, rend particulièrement vulnérable face au risque de psychose.
Certaines données suggèrent par ailleurs que l’usage du cannabis pourrait précipiter le moment où la maladie se déclare. Une étude menée au sein de l’université d’Utrecht aux Pays-Bas a révélé qu’elle survient près de 7 ans plus tôt chez les hommes consommant du cannabis par rapport aux non-consommateurs.
L’usage de cannabis module les signes de la maladie
Une fois la maladie installée, la consommation de cannabis pourrait en aggraver certains symptômes, et en soulager d’autres. La schizophrénie se traduit par des manifestations diverses, pouvant être rassemblées en différentes catégories. Des symptômes dits positifs – délires et hallucinations – coexistent avec des symptômes négatifs comme la perte de motivation ou d’émotions. Les malades ressentent également des troubles cognitifs, avec des problèmes d’attention et de mémorisation.
Le cannabis renforce les délires et hallucinations
L’usage de cannabis exerce un effet différent sur ces catégories de symptômes, comme l’indique une étude menée auprès de 137 patients schizophrènes suivis pendant 6 mois. Les usagers, identifiés suite à l’analyse d’échantillons d’urine, ont présenté un degré plus intense d’hallucinations et de délires, et ont fréquenté l’hôpital plus souvent que les non-consommateurs.
Une autre étude a confirmé cette augmentation des symptômes positifs de la maladie chez les patients amateurs de cannabis. Par ailleurs, sa consommation favorise les rechutes psychotiques, tout particulièrement lorsqu’elle est massive.
Le cannabis apaise l’humeur
Certains patients débutent leur consommation de cannabis après avoir développé la maladie. Paradoxalement, cette pratique relève souvent de l’automédication, dans le but d’atténuer les effets indésirables des traitements ou les symptômes négatifs de la maladie.
Les patients rapportent en effet se sentir moins anxieux et dysphoriques, cet état où l’humeur alterne entre tristesse et excitation, et bénéficier d’un regain d’énergie grâce à la plante.
Des principes actifs du cannabis aux effets variables sur la schizophrénie
Les effets ambivalents du cannabis chez les patients schizophrènes peuvent s’expliquer par son contenu en principes actifs aux effets contrastés.
THC et CBD, deux cannabinoïdes aux propriétés contrastées
Le cannabis est issu des inflorescences de l’espèce végétale Cannabis sativa, aussi appelée majiruana. Elle contient une grande diversité de composés actifs, qui se déclinent notamment sous forme d’une centaine de cannabinoïdes.
Les deux principaux cannabinoïdes, le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC) et le cannabidiol (CBD), ont des effets très différents. Le THC est responsable des sensations euphorisantes de la plante et de l’addiction qui survient chez environ 10% des usagers. Le CBD ne perturbe quant à lui pas les sens et n’est pas associé à un risque d’abus.
Le THC, cannabinoïde qui favorise la psychose
Le THC apparaît être le cannabinoïde à l’origine des effets psychotiques du cannabis. Une étude américaine a été conduite auprès de 22 volontaires en bonne santé. Pendant 3 jours, ils ont reçu 0, 2,5 ou 5mg de THC par voie intraveineuse. Les effets sur les comportements et les capacités cognitives des volontaires ont été évalués.
Les résultats ont montré que le THC provoque des signes évocateurs de la schizophrénie. Les perceptions des participants ont été altérées, et ceux-ci ont ressenti de l’anxiété combinée à de l’euphorie. Différents aspects de leur cognition ont également été négativement impactés, comme l’aisance verbale ou la mémoire de travail. Le THC reproduit donc de façon transitoire des signes évoquant la schizophrénie chez des personnes exemptes de troubles mentaux.
Le CBD contre les effets psychotiques du THC
Une étude britannique a comparé les effets de l’administration de 10mg de THC et de 600mg de CBD chez des personnes en bonne santé mentale. Si le THC a là encore provoqué des symptômes psychotiques, une dysphorie et de l’anxiété, le CBD n’a eu aucun effet comparable. Il semble au contraire capable de contrecarrer les effets psychotiques du THC.
Dans le cadre d’une expérience, des volontaires ont reçu 600mg de CBD ou un placebo avant une injection intraveineuse de THC. Les symptômes psychotiques et la paranoïa ont été atténués dans le groupe ayant bénéficié du CBD, ainsi que certaines difficultés cognitives.
Le CBD et le THC n’activent pas les mêmes zones cérébrales
Pour mieux comprendre d’où proviennent ces différences entre les deux cannabinoïdes, des chercheurs ont examiné les réactions du cerveau par IRM fonctionnel en cas d’exposition à l’un ou à l’autre de ces composés. Les images ont révélé leurs effets opposés sur l’activation de différentes régions cérébrales au cours de tests cognitifs.
Les variétés fortes de cannabis favorisent la psychose
Les répercussions de la consommation de cannabis sont ainsi variables selon son contenu en CBD et en THC. Les usagers qui utilisent des variétés plus riches en CBD sont moins susceptibles de présenter des troubles psychotiques par rapport à ceux qui consomment des variétés à forte teneur en THC. Les consommateurs de cannabis riche en THC présentent par ailleurs des délires et hallucinations plus intenses lors de leur premier épisode de psychose par rapport aux non-usagers ou aux consommateurs de variétés moins fortes.
Ces données sont préoccupantes dans la mesure où le contenu en THC des variétés de cannabis a tendance à augmenter au fil du temps, sous l’effet de la sélection par les cultivateurs. Le taux de THC des variétés vendues dans la rue est ainsi passé d’environ 4% en 1995 à 12% en 2014.
Le CBD, une piste thérapeutique prometteuse pour apaiser la schizophrénie
Les effets antipsychotiques du CBD pourraient être exploités pour offrir aux patients atteints de schizophrénie un traitement alternatif naturel. Plusieurs équipes de recherche s’intéressent aux effets de ce principe actif et ont obtenu des résultats encourageants.
L’efficacité du CBD se confirme chez les patients schizophrènes
Lors d’un essai clinique mené au Royaume-Uni, 43 patients atteints de schizophrénie ont bénéficié de 1000mg de CBD par jour tandis que 45 autres patients ont reçu un placebo pendant 6 semaines. L’ensemble des participants a continué son traitement médicamenteux classique.
À l’issue de cette période, le groupe supplémenté en CBD a présenté moins de symptômes psychotiques. Ces patients étaient plus susceptibles d’avoir vu leur état s’améliorer et de ne pas apparaître sévèrement affectés par leur maladie selon leur médecin référent, par rapport au groupe placebo.
Une efficacité comparable aux médicaments classiques, les effets indésirables en moins
Un autre essai clinique avait été mené précédemment. L’efficacité du cannabidiol chez les patients atteints de schizophrénie avait alors été comparée à celle d’un médicament antipsychotique, l’amisulpride. Les résultats ont montré une efficacité comparable des deux approches, mais avec une meilleure tolérance du CBD.
Les traitements antipsychotiques classiques sont en effet associés à des effets indésirables parfois invalidants. Ils peuvent provoquer une prise de poids, une dyskinésie (des mouvements anormaux et involontaires) ou une dysfonction sexuelle. Ces manifestations poussent certains patients à stopper leur traitement, ce qui appuie l’intérêt de disposer d’alternatives mieux supportées.
Le CBD intervient au niveau du système endocannabinoïde
Lors de l’essai clinique précédent, les chercheurs ont remarqué que le CBD provoque une augmentation de la concentration d’anandamide (AEA) dans le sang, un composé appartenant au système endocannabinoïde.
Le système endocannabinoïde, chef d’orchestre de grandes fonctions de l’organisme
Le système endocannabinoïde regroupe un ensemble de substances naturellement produites par notre organisme et leurs récepteurs, disséminés dans l’ensemble du corps. Il participe à certaines de ses grandes fonctions, régulant par exemple le métabolisme, l’activité du système nerveux ou immunitaire.
Au niveau cérébral, les endocannabinoïdes jouent le rôle de neurotransmetteurs, c’est-à-dire de messagers assurant la communication entre les cellules, par l’intermédiaire des récepteurs cannabinoïdes de type 1 (CB1). Ils sont impliqués dans la régulation de différents processus cérébraux comme la motivation, la mémoire, l’humeur et le phénomène de récompense.
Le THC active les récepteurs CB1
Les phytocannabinoïdes présents dans le cannabis possèdent des caractéristiques proches des endocannabinoïdes et peuvent ainsi interagir avec ce système. Le THC est en mesure d’activer les récepteurs CB1, ce qui explique ses effets psychoactifs. En cas de schizophrénie, le système endocannabinoïde est hyperactif, et l’exposition au THC peut donc renforcer ce déséquilibre.
Le CBD s’oppose à la destruction d’un endocannabinoïde protecteur en cas de schizophrénie
Le CBD possède quant à lui une très faible affinité pour les récepteurs aux cannabinoïdes. Si son mode d’action est encore largement méconnu, sa capacité à s’opposer à l’action de l’enzyme qui dégrade l’anantamide a été mise en évidence.
Chez les patients souffrant de schizophrénie, les niveaux de cet endocannabinoïde sont augmentés, à la fois dans le sang et dans le liquide baignant le cerveau. Il s’agirait d’un mécanisme compensateur, car plus les niveaux d’anantamide sont élevés, moins les symptômes ressentis par les malades sont intenses.
Le CBD exercerait ainsi son action antipsychotique, au moins en partie, en réduisant la dégradation de cette substance et en maintenant sa concentration à un niveau important. La vente des produits à base de CBD contenant moins de 0,3 % de THC est autorisée en France. Elle offre un espoir de soulagement aux nombreuses personnes affectées par cette maladie psychiatrique invalidante.