Illustration : Un policier effectue un dépistage salivaire pour contrôler la présence de produits stupéfiants dans la salive des conducteurs, le 15 novembre 2019 à Toulouse (Haute-Garonne). (FREDERIC SCHEIBER / HANS LUCAS / AFP)
Les tests utilisés par les forces de l’ordre peuvent considérer des conducteurs comme positifs au cannabis et entraîner des suspensions de permis, même si les usagers respectent un cadre légal.
Et si, du jour au lendemain, vous vous retrouviez privé de permis de conduire, alors même que vous n’avez enfreint aucune loi ? Cette injustice n’a rien d’irréaliste : ces derniers mois, des conductrices et conducteurs se sont retrouvés devant les tribunaux pour contester une suspension de leur permis de conduire en raison d’une infraction à la législation sur les stupéfiants. Lors d’un dépistage effectué par la police, ils avaient été considérés comme positifs au cannabis alors qu’ils assuraient ne consommer que du CBD (cannabidiol).
Contrairement au tétrahydrocannabinol (THC), cette molécule présente dans le cannabis n’a pas d’effets psychotropes. C’est à ce titre que le Conseil d’Etat a confirmé, le 29 décembre, que les fleurs de cannabis chargées en CBD pouvaient être commercialisées et consommées en toute légalité. Une aubaine pour les clients des quelque 2 000 boutiques spécialisées de l’Hexagone, qui consomment souvent le cannabidiol sous forme de joint fumé dans le but de s’affranchir des effets délétères du THC. Leur situation et la décision du Conseil d’Etat pourraient pousser les autorités à revoir les procédures de contrôles routiers. Explications.
Des traces de THC qui faussent les tests
Depuis 2016, les forces de l’ordre sont habilitées à soumettre n’importe quel conducteur à un test de dépistage de stupéfiants sur le bord de la route, que la personne ait commis ou non une infraction préalable. « Il s’agit d’un dispositif qui permet de récolter un peu de salive dans la bouche du conducteur. Le prélèvement est ensuite enclenché dans un petit appareil, qui recherche la présence des quatre grandes familles de stupéfiants : la cocaïne, les opiacés, les amphétamines et le cannabis », expose le docteur Jean-Michel Gaulier, toxicologue au CHU de Lille et président de la Compagnie nationale des biologistes et analystes experts, qui regroupe les experts judiciaires en analyses toxicologiques.
En ce qui concerne le cannabis, l’appareil cherche la présence de THC dans la salive. Mais, à l’image des autotests pour le Covid-19, ce dépistage peut afficher des résultats faussement positifs, comme le précise drogue-info-service. C’est pourquoi, dans le cas d’un premier résultat positif, un second prélèvement salivaire a lieu, et l’échantillon est transmis à un laboratoire afin que des examens plus poussés puissent dissiper les incertitudes.
Malheureusement, ces examens avancés sont rarement synonymes d’arrêt des poursuites pour les consommateurs de CBD légal. Cette procédure ne permet en effet que d’établir formellement la présence de THC dans la salive. Or, les fleurs de CBD possèdent en général un taux résiduel de THC qui reste détecté par les dépistages effectués en France, quand bien même ce taux ne dépasse pas la limite légale de 0,3%. Et les textes en vigueur ne réclament pas aux laboratoires de mesurer la présence de CBD dans l’organisme, ce qui pourrait permettre aux consommateurs de cannabis légal de plaider leur bonne foi devant les tribunaux.
« A partir du moment où on est capable d’identifier formellement la présence de THC dans le prélèvement, l’infraction est constituée, indépendamment de sa concentration. »
docteur Jean-Michel Gaulier, président de la Compagnie nationale des biologistes et analystes experts
à franceinfo
Spécialisé dans le droit routier, l’avocat Antoine Régley assure recevoir chaque semaine « des dizaines » de sollicitations de conducteurs dont le dépistage au cannabis a été positif, et qui affirment n’avoir consommé que du CBD. S’il n’est pas là « pour savoir si c’est vrai ou faux », l’avocat dresse à ses clients une liste de conseils qui peuvent les aider à plaider leur cause devant un tribunal. « Je les invite à produire des factures prouvant qu’ils ont acheté du CBD, ou encore à ne pas renoncer à leur droit à effectuer une contre-expertise. Ils peuvent également faire ensuite des analyses d’urine en laboratoire de ville peu après leur dépistage par les forces de l’ordre. Si leur test ne détecte pas de THC dans leur organisme 48 heures après celui fait par la police, cela peut accréditer leur position auprès du juge », ajoute Antoine Régley.
Vers l’utilisation de tests plus avancés ?
Afin d’aider les forces de l’ordre à faire le tri entre les conducteurs de bonne foi et ceux qui tentent de masquer leur consommation de cannabis illégal par le CBD, les techniques de dépistage pourraient évoluer dans les prochains mois. « Avec les modes de prélèvement actuels, nous sommes incapables de connaître la quantité de salive présente dans l’écouvillon que nous transmettent les forces de l’ordre, commente Jean-Michel Gaulier. On pourrait dans l’absolu évaluer une concentration de THC ou de CBD, mais, sans connaître le volume dans lequel elle a été mesurée, cette concentration ne signifierait rien. »
Pour remédier à ce problème, la France pourrait s’inspirer des contrôles effectués en Belgique ou en Allemagne. Chez ces voisins européens, les policiers transportent des dispositifs permettant de récolter une quantité précise de salive et de la conserver pour que les laboratoires puissent déterminer formellement la concentration en THC et en CBD présente dans l’organisme. « Le problème, c’est que ces dispositifs coûtent entre 3 et 5 euros l’unité, alors que ceux actuellement utilisés valent environ 4 centimes », détaille ce spécialiste.
Quand ce changement de politique pourrait-il entrer en vigueur ? Contactés par franceinfo, les services du ministère de l’Intérieur chargés de la sécurité routière n’ont pas répondu. Mais, en tant que président de la Compagnie nationale des biologistes et analystes experts, Jean-Michel Gaulier a eu l’occasion d’échanger sur le sujet avec les autorités au cours des derniers mois. Celles-ci « sont en train de mettre en œuvre les modalités de changement du dispositif de recueil salivaire utilisé par la police », assure-t-il.
En attendant, Jean-Michel Gaulier comme l’avocat Antoine Régley recommandent la prudence aux consommateurs de CBD. Ceux-ci doivent « éviter de prendre le volant dans les heures » qui suivent l’usage de cette substance, le temps que les résidus de THC soient éliminés de leur salive.