Publié le 7 Septembre 2020 | Par Sophie-Seronet
En dépit d’une politique parmi les plus répressives d’Europe, les Français-es sont les premières personnes consommatrices de cannabis en Europe. Le gouvernement a souhaité les dissuader en leur « appliquant « une sanction sans délai » : l’amende forfaitaire délictuelle. Cette dernière a été généralisée à toute la France le 1er septembre.
La nouvelle amende forfaitaire délictuelle de 200 euros pour usage de stupéfiants a été généralisée à l’ensemble du territoire mardi 1er septembre, après une phase de tests démarrée en juin. Cette amende forfaitaire de 200 euros (montant minoré à 150 euros si le règlement est effectué dans les quinze jours et majoré à 450 euros si le paiement est fait au-delà de 45 jours) s’applique à toutes les drogues, mais cible surtout les personnes usagères de cannabis. L’usage de stupéfiants est constaté par les forces de l’ordre par procès-verbal électronique, rappelle un communiqué gouvernemental.
Fin juillet, lors d’un déplacement à Nice, le Premier ministre Jean Castex avait annoncé sa généralisation à la rentrée afin d’aider les forces de l’ordre à « appliquer une sanction sans délai » et de lutter « contre les points de revente qui gangrènent les quartiers ». La mesure, qu’on doit à la majorité LREM, avait été annoncée en avril 2018 par l’ex-garde des Sceaux Nicole Belloubet, soutenue par l’ancien ministre de l’Intérieur Gérard Collomb et finalement adoptée par la loi du 23 mars 2019. Elle a d’abord été testée dans plusieurs villes, dont Rennes, Créteil, Reims… L’AFP rappelait récemment qu’au 26 août, dans les quatre villes tests, 545 amendes avaient été distribuées, dont 172 à Rennes, selon le procureur de la République de la ville. Sur ces 172 verbalisations, « 166 portaient sur du cannabis et 7 sur de la cocaïne », avait alors précisé dans un communiqué Philippe Astruc.
Fin juillet, à la suite de l’annonce de Jean Castex, plusieurs structures et associations (1) avaient rappelé leurs vives critiques contre cette mesure. Elles y voyaient le « nouvel avatar d’une posture de guerre à la drogue dont l’échec est depuis longtemps consommé ». Avec ce nouveau dispositif, la stratégie gouvernementale est d’escompter qu’une voie simplifiée de justice sera plus efficace. Mais notent les structures et associations : « La marche forcée de la justice vers des voies simplifiées de poursuite sans audience a (…) débuté depuis des années dans le but d’augmenter le taux de réponse pénale. Le nombre d’amendes prononcées entre 2007 et 2012 pour usage de stupéfiants a été multiplié par deux, sans avoir le moindre effet sur le niveau de consommation en France ni sur l’ampleur de la circulation des produits ». « Par ailleurs, seuls 41 % des amendes prononcées contre les usagers-ères de stupéfiants sont actuellement recouvrés ». « Si la promesse de fermeté mise en avant par le Premier ministre est essentiellement illusoire, le dispositif n’en sera pas moins particulièrement nuisible à de nombreux égards », notent les structures et associations dans un communiqué. En effet, par exemple, l’infraction reste un délit inscrit au casier judiciaire, qui peut toujours être puni d’une peine d’un an d’emprisonnement. « La volonté de multiplier les peines d’amendes prononcées va surtout répondre aux objectifs chiffrés fixés aux forces de l’ordre, afin de présenter ensuite des statistiques favorables – politique dont on sait combien elle contribue à détériorer les relations entre la police et la population. De même, il est largement documenté depuis des années, que ce sont certaines catégories de consommateurs-rices qui sont régulièrement interpellés-es, en particulier les personnes racisées ou issues des quartiers populaires, les classes favorisées se faisant livrer leurs produits, hors des radars de la police de rue ». Bien évidemment, le dispositif contraventionnel ne fait aucunement le lien avec le soin, ou la prévention. Autrement dit, c’est une fois encore l’approche par la sanction qui est privilégiée.
L’annonce de la généralisation effective de cette mesure a suscité de nouvelles réactions et critiques. Interviewé dans Le Monde, l’addictologue et porte-parole de la Fédération Addiction Jean-Pierre Couteron explique : « L’amende est une mesure qui relève de la pénalisation et de la sanction et, encore une fois, il n’y a rien du côté de la prévention. On est encore en train de taper sur le même clou en s’étonnant que ça ne marche pas. Cela a été conçu pour simplifier le travail des policiers et des magistrats et désengorger les tribunaux. En termes de simplification de la procédure policière et judiciaire et de sanction de l’usage et des usagers, je reconnais que les forces de l’ordre vont probablement fournir des chiffres montrant l’efficacité du dispositif. En termes de lutte contre le trafic, je me demande en quoi cela les aidera, et enfin, en termes de lutte contre la propagation des addictions, permettez-moi d’être complètement sûr que cela ne servira à rien ». « L’amende pousse les usagers dans la clandestinité et éloigne de l’accès aux médecins. Si vous la payez, qui va vous inciter à rencontrer un professionnel ? », critique également Nathalie Latour, déléguée générale de la Fédération Addiction, dans une interview à l’AFP.
Spécialiste du droit de la drogue, Yann Bisiou explique dans une interview à Libération, le 31 août que cette mesure « traduit une cohérence dans la politique répressive, où les maigres avancées sur le cannabis thérapeutique semblent être l’exception qui confirme la règle. On continue avec ce quinquennat dans l’obsession sécuritaire et répressive ». Rapidement expérimentée, « et sans aucun bilan ni retour d’expérience, le nouveau gouvernement vient de décider de la généraliser pour septembre. Les consignes données aux parquets n’ont même pas été rendues publiques. On est donc dans une démarche beaucoup plus politique que judiciaire, scientifique ou sanitaire. On est dans l’irrationnel, la symbolique de l’instrumentalisation du droit, des usagers et des enjeux liés à la drogue. De la pure hypocrisie », tacle le juriste.
(1) : La Fédération Addiction, SOS Addictions, Ligue des droits de l’homme, Médecins du Monde, AIDES, Asud, Principes actifs, Syndicat de la magistrature, L630, PCP, etc.
Comment fonctionne la nouvelle amende ?
Quand une personne est contrôlée pendant la consommation de stupéfiants ou en possession de petites quantités, les agents de verbalisation peuvent prononcer la sanction pour infraction d’usage ou de détention sous forme d’amende. Cette décision peut être prise par un agent de police, de gendarmerie ou tout autre agent public habilité à rédiger un procès-verbal simplifié sans le soumettre au procureur de la République. Le montant de l’amende est fixe et ne peut pas être modifié par la personne qui verbalise, mais il varie en fonction du paiement. L’amende forfaitaire délictuelle ne peut pas être utilisée par les forces de l’ordre quand la personne concernée est mineur, lorsque la personne concernée est en situation de récidive légale ou lorsque plusieurs infractions sont constatées simultanément (par exemple : consommation et vente des stupéfiants).
Y a-t-il un risque de fichage ?
Oui ! La loi prévoit qu’à partir du 1er juillet 2021, l’amende soit inscrite au casier judiciaire et supprimée au bout de trois ans si la personne n’est pas condamnée à une peine criminelle ou correctionnelle, et si elle ne fait pas l’objet d’une nouvelle amende forfaitaire délictuelle pendant ce temps. Or, en attendant la mise en place de ces dispositions, et afin de pouvoir vérifier qu’il existe une récidive, le mécanisme d’application en cours prévoit l’inscription de ces amendes dans des fichiers judiciaires. A priori, les amendes seraient donc inscrites dans le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ) mais depuis avril 2020, il est également envisagé que les amendes pour consommation de stupéfiants soient inscrites dans un fichier dit de « contrôle automatisé » créé pour partager les données relatives aux infractions du code de la route avec un grand nombre d’acteurs-rices, comme des agents de sécurité municipaux ou des entreprises de location de voitures. Pour les organisations non gouvernementales, ce fichier n’assure pas une bonne protection des données personnelles, puisqu’il permet un partage facile avec différents-es acteurs-rices qui n’ont pas compétence à constater des délits et les conserve pendant dix ans (contre trois ans pour le casier judiciaire).