Alors que l’Allemagne a adopté cet été un projet de loi pour légaliser le cannabis, la France continue à mener une politique des plus restrictives malgré l’un des taux les plus élevés de consommateurs en Europe.
Le trafic de drogues a coûté la vie à deux jeunes hommes âgés de 10 et 18 ans à Nîmes (Gard) la semaine dernière, poussant le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin à envoyer des renforts policiers sur place pour tenter d’endiguer le trafic.
À Marseille (Bouches-du-Rhône), 32 personnes ont été tuées dans des règlements de compte depuis le début de l’année.
Face à l’urgence de la situation, les appels à la dépénalisation, voire la légalisation, se multiplient. Dans un nouvel avis rendu lundi 28 août, le Conseil économique, social et environnemental (CESE) appelle de nouveau à une légalisation encadrée du cannabis en France.
« Le trafic tue. Combien de victimes encore avant que le pays envisage de l’assécher ? Pour cela, le CESE préconise la légalisation encadrée du cannabis, elle fait ses preuves ailleurs, sera bientôt en œuvre chez nos voisins allemands. Qu’attendons-nous ?», a commenté sur X (anciennement Twitter) Thierry Beaudet, le président du CESE.
Ce n’est pas la première fois que le CESE se saisit de la question. En début d’année, il préconisait déjà d’aller vers une légalisation du produit, d’une part pour mettre en place une politique de prévention efficace et d’autre part pour combattre le trafic et la violence.
Pour le député Christophe Bex (La France insoumise, LFI), président du groupe d’étude sur le cannabis à l’Assemblée nationale, dépénaliser le cannabis est une question de « bon sens ».
En 2021, 10,6 % des adultes de 18 à 64 ans ont consommé du cannabis, selon un rapport de l’Observatoire français des drogues et des tendances addictives (OFDT), en partenariat avec Santé publique France, publié en décembre 2022.
« La dépénalisation permettrait de combattre le trafic, de faire de la prévention, de faire baisser la consommation », appuie le député LFI lors d’un entretien avec EURACTIV France.
La France a l’une des lois les plus répressives d’Europe : la consommation de cannabis peut être punie d’une peine allant jusqu’à un an de prison et 3 750 € d’amende.
À en croire Catherine Delorme, vice-présidente de Fédération Addiction, la sévérité de la loi stigmatise les consommateurs et les éloigne d’une prise en charge adaptée.
« La loi a un effet repoussoir et met à distance ceux qui auraient le plus besoin de soins », analyse-t-elle pour EURACTIV.
D’autant que si la France a l’une des lois les plus restrictives, elle est aussi le pays européen qui compte le plus de consommateurs de cannabis.
En France, 44,8 % des personnes âgées de 15 à 64 ans ont consommé au moins une fois du cannabis dans leur vie, selon un rapport de l’OFDT paru en septembre 2021.
À titre d’exemple, ce chiffre est de 37,5% pour l’Espagne et 38,4% pour le Danemark. Aux Pays-Bas, où le cannabis est en vente libre, le chiffre est de 27,7%.
« La légalisation permet également une réduction des risques », souligne Mme Delorme, qui rappelle que la plupart des consommateurs ne savent pas ce qu’ils fument, et qu’une vente de cannabis contrôlée permettrait notamment de contrôler le taux de tétrahydrocannabinol (THC).
L’Allemagne se met au vert
Outre-Rhin, l’approche est toute autre. Le 16 août dernier, le gouvernement allemand a adopté un projet de loi visant à légaliser le cannabis. D’ici la fin de l’année, il devrait être possible d’acheter et de détenir jusqu’à 25 grammes de cannabis, à partir de l’âge de 18 ans.
« Il s’agit d’un tournant dans la politique en matière de drogues », a déclaré le ministre de la Santé, Karl Lauterbach (Parti social-démocrate, SPD), aux journalistes.
Le Parlement allemand – ou Bundestag – doit désormais voter la loi.
« C’est un projet de loi progressif et bien encadré », souligne Christophe Bex qui ajoute que « la France devrait prendre exemple sur son partenaire numéro un en Europe ».
Si le cabinet de François Braun, à l’époque ministre de la Santé, avait déclaré suivre « de près » la situation de l’Allemagne, rien ne semble avoir bougé depuis.
Au sein de l’UE, il n’existe pas de règle commune, chaque pays est libre de mener sa propre politique sur le sujet. Et les disparités sont grandes.
Le Portugal, les Pays-Bas ou encore l’Autriche ont dépénalisé la possession de petites quantités de produit. En Espagne, la consommation de cannabis n’est pas interdite dans le cercle privé.
« Nous devons faire le constat d’un échec du modèle français depuis 50 ans. Nos voisins européens ont trouvé des solutions plus efficaces », martèle la députée de la majorité Caroline Janvier, vice-présidente du groupe d’étude sur le cannabis de l’Assemblée nationale.
Et de conclure : « Il nous faut désormais une fenêtre de tir politique pour que l’on avance là-dessus. Cela pourrait passer par une convention citoyenne ou referendum ».
Sollicité, le ministère de la Santé n’a pas répondu à EURACTIV au moment de la publication de cet article.