Illustration : la Thaïlande est le premier pays asiatique à avoir dépénalisé le cannabis en sortant le cannabis de la liste des stupéfiants avant même qu’une réelle régulation ne soit envisagée. AFP
La Thaïlande a dépénalisé le cannabis en juin dernier. Censée être encadrée, cette libéralisation juteuse pour des milliers de commerçants s’opère dans un flou juridique total.
Jump, un informaticien de 27 ans aux allures d’adolescent, a installé sa weed truck, une « camionnette à herbe » aux couleurs vives baptisée Dank (« excellent », en argot thaï) dans Sukhumvit 11, l’une des rues touristiques de Bangkok. Sur un présentoir latéral sont alignés des produits à base de cannabis : gâteaux au chocolat, huiles, cafés et toute une gamme de buds, des fleurs séchées prêtes à être roulées en joint. « Un business très lucratif, se réjouit Jump. La plupart de mes clients, des touristes étrangers, viennent acheter des produits au THC [NDLR : le tétrahydrocannabinol, composant psychoactif et addictif du cannabis]. Il y a les amateurs qui veulent simplement fumer pour se relaxer et les ‘pros’ qui connaissent toutes les variétés. » Le jeune homme reconnaît en souriant que les taux de son cannabis dépassent largement le plafond légal de 0,2 %. « La police vient de temps en temps pour vérifier ma licence d’exploitation, sans plus », ajoute-t-il.
En rayant en juin 2022 le cannabis de la liste des stupéfiants, la Thaïlande, longtemps l’un des pays les plus sévères en matière de trafic et de consommation de drogue (la détention de cannabis était passible d’une peine de quinze ans de prison) devenait l’un des plus tolérants. Et même si les produits commercialisés en dehors du cadre médical ne doivent en théorie contenir que des traces de THC et qu’il est interdit de fumer du cannabis dans les espaces publics, les effluves caractéristiques flottent en permanence dans les rues touristiques.
Cette dépénalisation concrétise une promesse de campagne de 2019 – faite par un parti, aujourd’hui allié des généraux au pouvoir – sur la libéralisation du cannabis à usage thérapeutique, sous la forme du cannabidiol (CBD), composant non addictif du cannabis, aux effets apaisants. Elle s’inscrit dans une campagne visant à faire de la Thaïlande un paradis du bien-être et du tourisme médical. L’objectif est aussi de permettre à de nombreux petits producteurs, ruinés par la crise du Covid, de cultiver, fabriquer et distribuer des produits contenant du CBD.
Un marché qui, d’ici à deux ans, pourrait atteindre 1,2 milliard de dollars annuels, selon les calculs de l’université de la chambre de commerce thaïe. « Si nous avons la bonne approche, le cannabis, c’est de l’or », estime Anutin Charnvirakul, le ministre de la Santé, à l’origine du projet.
Un marché en plein essor
En un rien de temps, des milliers de Thaïs se sont lancés. Le gouvernement a ouvert des lignes de crédit et distribué plus d’un million de graines. Début janvier, le site Weed in Thailand recensait 2 544 commerces de cannabis dans les lieux touristiques, de la simple échoppe au salon spa cinq étoiles, en passant par les weed trucks et les coffee shops. Si une partie de ces commerces s’en tient à la loi en cantonnant leur offre à la gamme CBD, beaucoup proposent des produits euphorisants illégaux. Une offre très attractive pour les touristes de retour après trois ans d’absence imposés par la crise sanitaire.
Ce nouveau marché a aussi attisé l’appétit de gros conglomérats. Le géant alimentaire Charoen Pokphand a commencé à vendre des boissons et aliments au cannabis dans ses 12 000 supérettes. Et le groupe de production d’électricité Gunkul Engineering a investi près de 60 millions de dollars dans une plantation de cannabis et une unité de traitement.
Mais le flou juridique sur la façon de consommer a soulevé un tollé de la part d’associations de médecins et du clergé bouddhiste. « Le gouvernement a la responsabilité d’éduquer le public », insiste Gloria Lai, directrice régionale du Consortium international sur les politiques des drogues, un réseau d’ONG. Alors que des élections législatives sont prévues en mai prochain, plusieurs partis exigent une réécriture plus stricte de la législation, voire la réinscription de la plante sur la liste des produits narcotiques.
Mais c’est peu probable. « De nombreux Thaïs se sont lancés dans la production de cannabis. Si la législation revenait en arrière, que deviendraient-ils ? », interroge Kajkanit Sakdisubha, propriétaire de Taratera, laboratoire spécialisé dans l’extraction de composants de cannabis. Jump, le patron du weed truck Dank estime toutefois que des mesures devraient être prises « pour mieux encadrer la jeunesse ». Le cannabis est interdit aux moins de 20 ans, mais cette règle est aussi légère que les fumées planantes…
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