L’expérimentation du cannabis médical en France, débutée en 2021 avec l’espoir d’une généralisation rapide, est sur le point de s’arrêter brutalement. Si rien n’est fait, les engagements passés de l’exécutif risquent de se transformer en une trahison flagrante, laissant des milliers de patients dans l’impasse. Pourtant, le potentiel thérapeutique du cannabis n’est plus à démontrer et les promesses faites en faveur de son accès généralisé semblaient marquer un tournant dans la politique de santé publique française. Où en est-on aujourd’hui et pourquoi les décideurs politiques renoncent-ils à une réforme vitale pour tant de patients ?
Un feu vert théorique, un échec pratique
En février dernier, l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) annonçait une avancée historique : la disponibilité, dès 2025, de médicaments à base de cannabis sous forme d’huiles ou de capsules. Cette décision s’appuyait sur les résultats positifs de l’expérimentation menée depuis 2021, incluant plus de 1 800 patients. Prolongée d’un an, cette expérimentation devait préparer le terrain pour une généralisation de l’accès au cannabis médical.
Mais aujourd’hui, cet espoir vacille. L’exécutif n’a toujours pas publié les textes réglementaires nécessaires pour encadrer la vente de produits thérapeutiques contenant du THC ou du CBD, bloquant ainsi toute avancée réelle. L’expérimentation prendra fin le 31 décembre 2024, sans solution de transition pour les patients, dont les traitements dépendent de ces médicaments.
Fleurs de cannabis : l’oubli impardonnable
À cette inertie s’ajoute une omission gravissime : la France refuse toujours d’intégrer les fleurs de cannabis dans le cadre thérapeutique. Pourtant, ces fleurs, riches en cannabinoïdes, sont un traitement essentiel dans de nombreux pays pour soulager rapidement et efficacement des douleurs aiguës ou rebelles.
L’inhalation ou la vaporisation des fleurs offre un effet presque immédiat, crucial pour les patients atteints de maladies graves : douleurs chroniques liées au cancer, spasmes dans la sclérose en plaques, ou crises d’épilepsie. Contrairement aux huiles ou capsules, qui peuvent nécessiter un délai d’action de 30 à 90 minutes, les fleurs répondent à une urgence médicale.
En refusant d’autoriser leur usage thérapeutique, la France se prive d’une solution déjà reconnue dans plusieurs pays européens comme l’Allemagne ou les Pays-Bas. Ce choix ne relève pas d’une préoccupation sanitaire, mais bien d’un archaïsme politique et idéologique de l’ancien ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, qui met inutilement en danger des vies.
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Patients et médecins : des victimes oubliées
Derrière les retards administratifs et les choix dogmatiques, ce sont des malades, déjà fragilisés, qui sont sacrifiés. Ces patients souffrent de douleurs chroniques insupportables, souvent liées à des cancers, des épilepsies résistantes ou la sclérose en plaques. Pour eux, le cannabis médical n’est pas une option : c’est une nécessité.
En 2025, ces patients pourraient être privés d’accès aux traitements. « Quand les pharmacies d’hôpitaux auront épuisé leurs stocks, ces patients n’auront plus de solution », alerte Ludovic Rachou, président de l’Union des industriels pour la valorisation des extraits de chanvre (Uivec). Déjà, l’accès au cannabis thérapeutique reste un parcours du combattant : seuls les patients inclus dans l’expérimentation peuvent en bénéficier et aucun nouveau malade n’a pu y être intégré depuis mars 2024.
Un contraste honteux avec le reste de l’Europe
La France s’isole dans son immobilisme : alors que 22 pays de l’Union européenne ont déjà autorisé le cannabis médical, l’Hexagone reste figé dans des querelles administratives et des débats dépassés. Pourquoi la France, pays de la Sécurité sociale, est-elle incapable de garantir à ses citoyens l’accès à ces traitements ? Le retard accumulé n’est pas qu’une erreur : c’est un choix politique.
La situation est d’autant plus scandaleuse que les données scientifiques issues de l’expérimentation sont claires. Selon un rapport de la Direction générale de la santé publié en novembre 2023, le cannabis médical offre une « amélioration statistiquement significative et durable de la douleur ». L’efficacité thérapeutique de ces traitements ne fait aucun doute : les critiques de l’Académie de médecine et de l’Académie de pharmacie relèvent davantage d’un conservatisme dogmatique que d’une réelle opposition scientifique.
Une mobilisation urgente est nécessaire
Médecins, patients, industriels et associations appellent à une prolongation immédiate de l’expérimentation via le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) 2025. Dans un courrier adressé au ministère de la Santé, ils dénoncent l’inaction et les promesses non tenues. Le CIRC s’associe pleinement à cette mobilisation : il est inadmissible que l’accès au cannabis médical, pourtant validé par une expérimentation réussie, soit encore retardé.
Le gouvernement doit agir :
- Publier sans délai les textes réglementaires nécessaires pour autoriser la vente de médicaments à base de cannabis, y compris les fleurs.
- Prolonger l’expérimentation pour garantir la continuité des traitements.
- Établir un cadre pérenne qui permette l’accès au cannabis thérapeutique à tous les patients qui en ont besoin.
Lien vers la publication de l’UIVEC
La prohibition nuit gravement à la santé publique
Ce blocage administratif n’est pas un simple retard : il s’inscrit dans une politique prohibitionniste qui continue de faire passer des dogmes dépassés avant la santé publique. La prohibition du cannabis, qu’elle soit récréative ou médicale, est une politique criminogène et discriminatoire dont les conséquences sont dramatiques. En privant les patients d’un traitement efficace, elle montre une fois de plus qu’elle est incompatible avec les droits fondamentaux des citoyens.
En refusant l’accès aux fleurs de cannabis médical, la France envoie un message clair : elle préfère sacrifier les patients pour maintenir un statu quo idéologique. Pourtant, il est possible d’agir, comme le montrent nos voisins européens.
Agir avant qu’il ne soit trop tard
Le temps presse. Si rien n’est fait, la France restera le pays où les patients souffrent en silence, trahis par un système qui leur refuse l’accès à des solutions reconnues et disponibles ailleurs. Nous demandons au gouvernement d’entendre cet appel et d’honorer ses engagements envers les malades, les médecins et l’ensemble des acteurs mobilisés pour une réforme juste et humaniste.
Nous, au CIRC, ne nous arrêterons pas tant que le droit à la santé et à la dignité ne sera pas respecté. La France peut et doit faire mieux. L’inaction n’est plus une option.
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