Cette expérimentation, destinée à évaluer l’efficacité de l’introduction de cannabis dans l’offre pharmaceutique, durera deux ans et concernera 3 000 patients. Elle débute aujourd’hui.
Le démarrage a pris un peu de retard. Autorisée en 2019 par l’Assemblée nationale mais repoussée par la crise sanitaire du Covid-19, l’expérimentation du cannabis médical débute en France. Le ministre de la Santé, Olivier Véran, se rend vendredi 26 mars au CHU de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) pour « la première prescription » de ce médicament, annoncent ses services. Dans les prochaines semaines, au moins 3 000 patients souffrant de maladies graves pourront s’approvisionner en cannabis dans leur pharmacie.
Comment expliquer que la France, dont le gouvernement n’hésite pas à afficher son hostilité à l’égard du cannabis, décide d’en tester les bénéfices thérapeutiques ? Qui seront les patients sélectionnés pour cette expérimentation ? Quelle sera la forme des médicaments qu’ils pourront obtenir ? Qui financera ces essais ? Franceinfo récapitule.
Pourquoi la France a-t-elle décidé d’expérimenter le cannabis médical ?
« Plusieurs éléments ont déclenché cette réflexion », affirme le professeur Nicolas Authier, psychiatre pharmacologue au CHU de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). D’abord, la montée en puissance de la littérature scientifique sur le sujet. « Depuis les années 1980, la médecine est passée de l’empirisme sur le cannabis médical à un véritable rationnel scientifique », détaille à franceinfo celui qui a été choisi pour présider le Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) fondé par l’Agence du médicament pour déterminer les contours de cette expérimentation.
« On a par exemple pu établir que le corps humain fabriquait ses propres molécules équivalentes à celles qu’on trouve dans le cannabis. Et il se trouve que ce système, appelé endocannabinoïde, a un rôle très important pour l’équilibre de notre corps : il peut dysfonctionner, voire être à l’origine de pathologies. »
Nicolas Authier, président du Comité scientifique sur le cannabis médicalà franceinfo
Ces avancées dans la recherche scientifique ont poussé de nombreux pays à autoriser l’utilisation du cannabis à des fins médicales. En Europe, les Pays-Bas en ont été les pionniers dès 2003, suivis depuis par 22 des 27 Etats membres de l’Union. « Beaucoup de pays, comme les Etats-Unis, le Canada, Israël ou l’Australie sont très en avance sur la distribution de cannabis à usage médical », abonde Robin Reda, député apparenté LR de l’Essonne et président de la mission d’information commune sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis à l’Assemblée.
Un dernier point a amené les autorités de santé à s’engager dans la voie du cannabis médical : l’ouverture de plus en plus rapide de magasins spécialisés dans la vente de produits riches en cannabidiol (CBD), une molécule du cannabis non psychotrope aux vertus relaxantes. La Cour de justice de l’Union européenne a rappelé en novembre que le CBD n’était pas un stupéfiant et a jugé illégale la position de la France, qui interdisait jusqu’ici d’importer cette substance produite naturellement dans d’autres pays européens.
Qui seront les patients choisis pour tester le cannabis médical ?
Quelque 3 000 patients vont se faire prescrire du cannabis. Ils seront suivis dans l’un des 200 centres de référence sélectionnés par l’Agence du médicament, et dont la liste n’a pas encore été rendue publique. Les patients ne seront éligibles que s’ils souffrent de maladies graves, telles que certaines formes d’épilepsies, de douleurs neuropathiques, d’effets secondaires de chimiothérapie, de soins palliatifs ou de sclérose en plaques, indique le site de l’ANSM.
« Il y aura la possibilité d’inclure des enfants », a précisé début mars face à la presse Nathalie Richard, directrice du projet à l’ANSM, soulignant que « dans certaines situations cliniques, l’utilisation du cannabis médical peut être utile » chez les mineurs.
Une condition supplémentaire : les traitements classiques ne doivent pas avoir fonctionné au préalable sur les malades. « Actuellement, le niveau de preuve scientifique sur le cannabis médical ne permet pas de positionner ces médicaments en première attention », reconnaît Nicolas Authier. Qui ajoute que le cannabis sera contre-indiqué pour les patients atteints par des maladies cardiovasculaires, ainsi que pour ceux souffrant de psychose ou de schizophrénie. Dans le premier cas, la présence de THC (tétrahydrocannabinol), la molécule psychotrope du cannabis, « peut dans certains cas avoir un impact sur la tension artérielle », et dans le second cette molécule peut également « aggraver leur maladie », explique le psychiatre.
Sous quelle forme le cannabis sera-t-il distribué aux patients ?
« Personne ne souhaite que le cannabis médical soit un joint à fumer sur son lit d’hôpital ! » résume le député Robin Reda, dont la mission d’information parlementaire a consacré un rapport à ce sujet. « L’idée est de proposer aux patients tout sauf un produit à fumer : on parle d’huiles à mettre sous la langue, d’infusions, d’inhalations… On est loin de la vision un peu caricaturale du cannabis », énumère le parlementaire.
En pratique, les patients sélectionnés se verront essentiellement prescrire des flacons d’huile administrée par voie orale. « Ces produits sont généralement les plus prescrits, car ils offrent des possibilités de dosage plus précises aux patients », confirment à franceinfo des responsables de Tilray, poids lourd du cannabis médical.
Cette entreprise créée au Canada en 2013 a remporté l’appel d’offres lancé par l’ANSM pour deux types d’huile. Pour gagner ces marchés, Tilray a dû prouver aux autorités sanitaires françaises que ses produits répondaient aux bonnes pratiques de fabrication pratiquées dans le reste de l’industrie pharmaceutique. « Cela implique un contrôle strict des produits, mais également une garantie de reproductibilité : la composition et la qualité des produits ne doivent pas varier d’un lot à l’autre », indique le fabricant.
Dans un second temps, les patients pourront se voir prescrire des fleurs séchées, qui correspondent à l’herbe bien connue des consommateurs de cannabis, aux concentrations en THC et en CBD variées. Mais là encore, pas question de les fumer : ces fleurs seront destinées à être chauffées à l’aide d’un vaporisateur, qui permettra d’en inhaler les molécules actives sans les faire brûler, réduisant ainsi la toxicité liée à la combustion.
Comment les patients pourront-ils se procurer leurs médicaments ?
Cette expérimentation est particulièrement encadrée. Une première consultation des patients volontaires se fera dans l’un de ces centres de référence désignés par l’Agence du médicament. L’ordonnance délivrée à l’issue de cette consultation permettra d’obtenir des médicaments à base de cannabis en pharmacie.
« L’objectif de cette expérimentation est d’abord d’évaluer la faisabilité du circuit de mise à disposition du cannabis médical. On veut donc que le circuit des patients ne soit pas trop éloigné de celui qu’ils ont l’habitude d’utiliser. »
Nicolas Authierà franceinfo
« Dans un premier temps, il faudra se rendre dans une pharmacie hospitalière qui disposera d’un petit stock pour assurer les premières dispensations. Le pharmacien habituel des patients sera ensuite prévenu, puis formé pour obtenir l’autorisation de commander ces médicaments », expose Nicolas Authier. Les médecins généralistes volontaires pourront renouveler ces ordonnances, mais également après avoir suivi une formation à distance de deux heures. Au total, « entre 4 000 et 5 000 professionnels de santé recevront une formation dans le cadre de cette expérimentation », ajoute le spécialiste.
Détail important : la détention de cannabis restant interdite par la loi, les patients qui participeront à l’expérimentation devront disposer d’une autorisation leur permettant de transporter leurs médicaments.
Comment seront-ils suivis ?
Une fois inclus dans l’expérimentation, les patients seront suivis de deux manières. Ils se rendront à des consultations de suivi classiques, notamment afin de se faire prescrire leurs médicaments à base de cannabis tous les 28 jours par un système d’ordonnance sécurisée. Ces consultations pourront être assurées par les médecins de ville des patients, qui auront donc été préalablement formés.
Des consultations longues, dites « complexes », auront lieu au cours des premier, troisième, sixième, douzième et dix-huitième mois de l’expérimentation au sein des structures de référence. Ces consultations seront destinées au « recueil d’éléments médicaux plus poussés » sur la tolérance et l’efficacité des médicaments, selon l’ANSM.
Qui va fournir et payer le cannabis distribué ?
Dans une décision publiée le 25 janvier, l’Agence du médicament a annoncé que l’ensemble des médicaments à base de cannabis allaient être produits par des entreprises spécialisées, toutes étrangères. « En France, la législation interdit de produire et d’exploiter la fleur de chanvre, utilisée dans les médicaments. Cela signifie qu’il est matériellement impossible, en l’état, de faire émerger une filière d’exploitation française », déplore le député Robin Reda.
« Il n’était pas impossible de mettre en place une dérogation pour que du cannabis médical soit produit en France. Mais l’expérimentation aurait pris du retard, le temps que des entreprises françaises puissent se monter et produire des médicaments aux normes. »
Robin Reda, député apparenté LR et président de la mission d’information sur le cannabisà franceinfo
Le cannabis médical des 3 000 volontaires ne sera pas payé par les contribuables : les entreprises ayant remporté les appels d’offres émis par l’ANSM se sont engagées à fournir et à distribuer « à titre gratuit [les] médicaments », indique la décision de l’Agence du médicament.
Une solution certes économique pour les finances publiques, mais qui déplaît aux députés membres de la mission d’information. « C’est une inquiétude pour nous, car cela permet à ces fournisseurs de mettre le pied dans la porte d’une éventuelle généralisation du traitement, ce qui viendrait à tuer le marché avant même qu’on puisse faire émerger une filière française », regrette Robin Reda. Si le cannabis médical venait à être légalisé, 700 000 patients pourraient en bénéficier en France, selon l’estimation publiée dans le rapport de la mission d’information sur le cannabis.
Cette expérimentation peut-elle ouvrir la voie à une légalisation du cannabis ?
Pas pour l’instant. La prochaine étape consiste à attendre la validation ou non de l’expérimentation par le pouvoir législatif à l’issue des deux années de test. « On est sur des débats différents : les débats sur le cannabis récréatifs sont plus complexes et plus clivés, c’est un processus qui prendra plus de temps que pour le cannabis médical », juge Robin Reda. Le député ne manque pas de relever que, d’après un sondage publié en avril 2019 par l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, plus de 9 Français sur 10 (91%) se disaient favorables au cannabis thérapeutique, tandis qu’un peu plus d’un répondant sur deux (54%) se déclarait opposé à la légalisation générale du cannabis.
Le cannabis médical pourrait-il être détourné à des fins récréatives ? Nicolas Authier ne le croit pas. « A part pour les fleurs séchées les plus riches en THC, les médicaments qui ont été retenus par l’Agence du médicament ne sont pas particulièrement adaptés à la consommation de ceux qui utilisent le cannabis comme stupéfiant », estime le psychiatre, qui reconnaît tout de même que des garde-fous devront être mis en place.
« C’est un produit qui devra être surveillé, de la même manière que l’on surveille déjà la codéine ou la morphine. »
Nicolas Authierà franceinfo
J’ai eu la flemme de tout lire, vous me faites un résumé ?
Validées par le législateur en 2019, les premières consultations pour inclure des patients dans l’expérimentation du cannabis à usage médical débutent en France. Quelque 3 000 personnes, qui souffrent de maladies graves (épilepsies, douleurs neuropathiques, effets secondaires de chimiothérapie ou sclérose en plaques) pourront se faire prescrire, dans des structures spécialisées, des médicaments à base de cannabis durant deux ans.
Dans la plupart des cas, ces patients se verront prescrire des huiles à placer sous la langue, plus ou moins dosées en THC (la molécule psychoactive du cannabis) et en CBD (une autre molécule aux vertus relaxantes, mais qui ne provoque pas d’effets psychotropes), mais également des fleurs séchées à vaporiser et inhaler. Ils pourront obtenir ces médicaments en pharmacie, et renouveler leur ordonnance auprès de leur médecin traitant, une fois celui-ci formé.
Les produits adressés aux patients vont être fournis gratuitement durant deux ans par les géants du cannabis thérapeutique. Toutes étrangères – la loi française interdit d’exploiter la fleur de cannabis –, ces entreprises espèrent que l’expérimentation soit validée à l’issue des deux années de test pour conquérir un nouveau marché estimé à 700 000 patients.
Source : Francetvinfo.fr