Répression inefficace, trafic de produits dangereux, risque d’accidents graves, délinquance dans les cités… Voilà de nombreuses raisons, pour notre chroniqueur Benoît Duteurtre, de fustiger la politique prohibitive du gouvernement à l’égard du cannabis.
Aux Pays-Bas comme en Espagne, le cannabis est dépénalisé depuis longtemps. En Allemagne, il est en cours de légalisation. À Prague, les boutiques se sont habillées de vert et proposent un abondant choix de cigarettes, tisanes, cookies et autres produits au THC. Au Canada, le pas a été franchi sans dommages apparents pour le pays. En Californie et dans de nombreux États voisins, la culture de la weed (« herbe ») fait figure d’industrie prospère, limitant les trafics mafieux et bénéficiant aux finances publiques. Mieux encore : à New York, où les premières boutiques viennent d’ouvrir, les anciens trafiquants sont invités à se reconvertir… dans des commerces légaux. Il est vrai que, aux États-Unis, le souvenir de la prohibition, voici exactement un siècle, demeure assez vif pour rappeler combien celle-ci est génératrice de criminalité, plutôt que de santé et de sécurité.
SAUF EN FRANCE
Le même mouvement s’amplifie partout… sauf en France, où est invoqué sur maints sujets l’exemple des « pays comparables », mais où l’on refuse de bouger d’un pouce sur ce dossier. Au contraire. Nos gouvernements et leaders politiques croient nécessaire de proclamer leur fermeté face à « la » drogue (en les confondant toutes) et de pérenniser une législation inefficace, ruineuse, génératrice de délinquance – sans aucun effet sur la consommation, puisque notre pays est le plus grand consommateur d’Europe ! C’est un peu comme la politique parisienne de lutte antipollution… qui n’empêche pas la capitale d’afficher un taux élevé de pollution. Quant à moi, je me demande, quand je vois des pelotons de gendarmerie mobilisés dans une gare de province pour fouiller les jeunes à la recherche de quelques joints, pourquoi la force publique gaspille cette énergie, quand tant d’autres urgences mériteraient l’attention et les moyens de l’État.
Malheureusement, la classe politique a fait de cette question un symbole, dédaignant toute prise en compte de la simple réalité pour affirmer une pseudo-responsabilité qui produit l’effet contraire en débordant la justice, les Douanes et la police, tout en entretenant l’activité criminelle des « quartiers ».
Je voudrais donc souligner :
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- que cette politique répressive est totalement inefficace, puisque n’importe qui peut trouver du cannabis n’importe où, dans la rue, sur Internet, ou via des livreurs spécialisés. C’est pourquoi le pays à la législation la plus sévère est aussi celui où l’on consomme le plus de stupéfiants ;
- que la prohibition favorise le trafic de produits dangereux, coupés, fabriqués sans aucun contrôle et diffusés anonymement, au risque d’accidents graves et d’effets irréversibles ;
- que je parle évidemment de « drogues douces », terme usuel pour désigner le cannabis, entré depuis longtemps dans les mœurs d’une grande partie de la population. Je n’ignore pas les ravages qu’il peut produire sur certaines personnalités fragiles… Mais pas plus que l’alcool, lequel produit davantage de drames et de morts, au volant comme ailleurs, si bien qu’il n’existe aucune raison d’interdire l’un sans interdire l’autre. Les addictions dangereuses (qui concernent également le tabac et quantité de médicaments) ne peuvent toutes passer sous le coup de la loi et sont d’abord l’affaire des individus et de la médecine ;
- que je ne crois guère à l’argument selon lequel la dépénalisation des drogues douces entraînerait un report massif sur les drogues dures. Théorie aussi douteuse que celle de l’« escalade » qui conduit naturellement du cannabis à l’héroïne – mais qui heureusement se vérifie très peu ;
- que je suis enfin et surtout sidéré par un gouvernement qui se veut libéral, mais aussi efficace et pragmatique, et qui n’envisage pas de mettre fin à la première source de délinquance dans les cités, minées par ce trafic générateur de violences, chronophage pour les forces de l’ordre et générateur d’argent noir qui pourrait profiter aux caisses de l’État.
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Voilà quelques bonnes raisons pour mettre fin à la prohibition du cannabis, guère plus justifiée que celle de l’alcool voici un siècle. Je ne garantis pas un futur idéal, mais il ne saurait être pire que l’impasse actuelle.
Par Benoît Duteurtre