Littérature, la chronique du temps présent d’Emma Becker : « Pour une France plus verte »
Née en 1998 en région parisienne, Emma Becker s’est révélée au grand public en 2011, lors de la sortie de Mr, son premier roman traduit en une vingtaine de langues. Partie vivre à Berlin en 2013, elle publie deux ans plus tard Alice. En 2019 sort La Maison, où elle retrace son expérience de la prostitution, et pour lequel elle obtient le Prix France Culture – Télérama. Désormais installée dans le sud de la France, elle a publié l’an dernier son 4e roman, L’Inconduite.
Mes ami-es, l’heure est grave. Les caisses sont vides, et voyez la gueule que tire notre retraite. Ne nous voilons pas la face, c’est un putsch qu’il nous faut. La tentation de réactiver la guillotine est très forte, mais mes collègues fumeurs de joints et moi-même vous proposons une solution non violente, celle qu’on aurait dû, à vrai dire, adopter depuis longtemps : accrochons-nous comme des morpions au projet de légalisation encadrée du cannabis à des fins « récréatives », que le CESE a proposé le 24 janvier dernier. Les Français ont parlé : 45 % des 15-64 ans admettent avoir consommé au moins une fois, contre 27 % pour le reste de l’Union européenne (bande de fayots).
Immorale ou réaliste ?
Proposition immorale ? Nous préférons le terme réaliste. Les sommes qu’engrangerait l’Etat grâce à la foule discrète des consommateurs d’herbe permettraient d’essuyer largement le manque à gagner des retraites : des vieux heureux, aux yeux rouges et au frigo plein. Les taxes monumentales qu’on prélèverait comme sur la vente de tabac serait distribuée à l’éducation, aux hôpitaux, aux transports en commun, à la transition écologique : les ministres pilon au bec traiteraient les sujets graves avec une nouvelle empathie. La police délaisserait les quartiers devenus moins sensibles, on suppose qu’elle a mieux à faire que de courser les citoyens venus se procurer un sachet de vingt euros.
Ça sonne trop beau pour être vrai ? Je vous engage à vous pencher sur les chiffres dont peuvent se vanter les états outre Atlantique qui ont tenté l’expérience : au Colorado, 134 millions de dollars de taxes pour l’Etat, 40 millions reversés aux écoles. Et si ça ne vous fait pas rêver, attendez de voir ce qu’il advient de l’ambiance générale si on promouvait l’herbe comme on promeut l’alcool, à qui l’on doit tellement d’accidents de la route, d’échauffourées, d’accidents bêtes, de sorties de scène déshonorantes, de violences conjugales.
Au pire du pire, le fumeur d’herbe s’endort
Le fumeur d’herbe moyen ne monte pas sur les tables pour montrer son slip, ne commence pas de bagarre : au pire du pire, il s’endort. On aurait moins la goutte à la tempe de voir l’armée se goberger sur les milliards débusqués miraculeusement au fond des tiroirs publics. Ou disons que ça nous laisserait un peu indifférents, on en roulerait un autre, on se mettrait une bonne playlist et un Snickers dans le cornet – et voilà le travail, une France pacifiée. Vous me remercierez plus tard.
Emma Becker