La question de la légalisation de la consommation de cannabis en France est un sujet délicat qui suscite des débats passionnés et souvent teintés d’idéologie ou de préjugés. Les implications de cette légalisation sont multiples, avec des avantages et des inconvénients dont la nature dépend largement des modalités envisagées pour sa mise en œuvre.
L’échec du modèle répressif français
Cependant, il convient de se demander si le modèle répressif actuellement en vigueur depuis le 31 décembre 1970 en France est réellement efficace. Les chiffres ne laissent guère de place au doute : 17 millions de Français ont déjà expérimenté le cannabis, 5 millions en ont consommé au cours de l’année écoulée, et 1.4 million en fumeront au moins dix fois dans la journée. Ces statistiques témoignent de l’inefficacité patente du modèle répressif, dont la justification repose essentiellement sur des considérations idéologiques. Il est donc légitime de se demander quelle alternative adopter. Une observation des politiques de dépénalisation ou de légalisation mises en œuvre ailleurs pourrait fournir des éléments de réponse.
Les conséquences de la dépénalisation et de la légalisation
Quels sont les résultats observés ? Initialement, la dépénalisation entraîne une légère augmentation de la consommation et une diminution de l’âge moyen des consommateurs. Cependant, par la suite, la consommation revient généralement à ses niveaux antérieurs à la dépénalisation.
En ce qui concerne la légalisation, les données sont encore plus encourageantes. Les États américains ayant opté pour la dépénalisation, voire la légalisation, ces dernières années, montrent des tendances prometteuses. Bien que l’on observe une augmentation de la consommation, celle-ci reste modérée et ne prend pas des proportions alarmantes. Il semble que la consommation ne progresse pas significativement chez les jeunes, mais plutôt chez les adultes. Les jeunes qui voulaient fumer savaient déjà comment s’en procurer, à l’inverse des adultes.
Conséquences sur la sécurité et les revenus
La dépénalisation ou la légalisation du cannabis n’ont pas un impact significatif sur la consommation. En ce qui concerne les autres conséquences, il est difficile de fournir une réponse claire. Cependant, il est évident que dans les États qui ont opté pour la légalisation, on observe une diminution de la délinquance ou de la violence, bien que le cannabis ne soit pas directement lié à ces phénomènes (contrairement à l’alcool, par exemple).
En ce qui concerne l’augmentation des revenus, bien que la hausse de moins de 1% puisse sembler insignifiante, elle a en réalité un impact non négligeable. Le Colorado, par exemple, a vu ses revenus augmenter de 247 millions de dollars grâce à la légalisation du cannabis. Cet argent a été investi dans la construction et la rénovation d’écoles, de collèges et de lycées, démontrant ainsi que même une augmentation apparemment minime peut avoir des répercussions significatives sur des programmes éducatifs. En somme, même une hausse de 1% peut être considérée comme un véritable gain dans un budget de grande envergure.
Les effets sur l’emploi et la santé publique
Bien entendu, la légalisation du cannabis entraîne également des retombées en termes d’emploi, avec la création de postes dans la culture, la transformation et la distribution de la plante. Ces activités généreront également des recettes fiscales, provenant notamment de l’imposition des revenus et des ventes. À titre d’exemple, on estime que le Nevada pourrait voir ses revenus supplémentaires augmenter de 1.7 milliards de dollars d’ici 2024 grâce à cette dynamique.
Cependant, dans le cas du cannabis, la priorité doit être accordée à la santé publique, sans compromis. Les considérations financières ne doivent pas primer sur cette nécessité fondamentale.
L’hypocrisie des politiques actuelles
Pourtant, l’hypocrisie persiste : des substances bien plus nocives sont autorisées tandis que le cannabis reste interdit au nom de ses supposés dangers. Pour reprendre la chanson, “Alcool et Tabac ont le droit de tuer, car aux comptes de l’État apportent leurs deniers…”
Résumons : conséquences sanitaires quasi-inexistantes, conséquences financières intéressantes, pourquoi ne le légalisons-nous pas ?
La morale en question
La principale objection repose sur des considérations morales. Pour beaucoup, l’image d’un consommateur de cannabis est associée à celle d’un individu dépendant et marginalisé. Légaliser le cannabis serait alors perçu comme une menace pour les valeurs de la société, alimentant ainsi l’idée que cela encouragerait une généralisation de la consommation, au même titre que certaines critiques du mariage pour tous ont pu le suggérer. Paradoxalement, l’alcoolisme et le tabagisme ne sont pas stigmatisés de la même manière, malgré leurs effets sanitaires et sociaux souvent plus graves que ceux du cannabis. Ce double standard révèle les préjugés profondément enracinés dans notre culture.
Le paradoxe français et les enjeux économiques
Le paradoxe français, et plus largement dans toute l’Union-Européenne, réside dans le fait que les 3 à 5 milliards d’euros générés par le trafic de stupéfiants en France sont comptabilisés dans le PIB. Cette réalité économique doit être prise en considération, car ces sommes contribuent à l’économie nationale, qu’on le veuille ou non. Cependant, une légalisation du cannabis, menée de manière pragmatique, pourrait générer des retombées économiques bien plus significatives. Ce phénomène n’est pas unique à la France ; d’autres pays intègrent également les revenus des trafics illégaux dans leur PIB, comme le souligne l’institut statistique européen Eurostat. Cette intégration au PIB s’explique par le fait que la contribution de chaque membre au budget européen dépend en partie de son PIB. Ainsi, certains États membres, tels que les Pays-Bas et la Suède, ont une part de leur PIB liée à la drogue et/ou à la prostitution. Outre cet aspect économique, d’autres facteurs comme la corruption et la vente d’armes (parfois financées par le trafic de drogues) doivent également être pris en compte dans la réflexion politique sur la légalisation.
La nécessité d’une politique de santé publique
Le fait que des drogues plus néfastes soient légales ne doit cependant pas minimiser les effets négatifs du cannabis, en particulier son influence sur l’équilibre psychique. Je ne parle pas du surdosage, bien sûr, mais de l’utilisation régulière dans certains cas bien minoritaires.
Les autres conséquences sur la santé s’estompent pour la plupart avec l’élimination du produit. Et il faut oublier, enterrer, cette idée qu’un consommateur de cannabis passera à des drogues plus dures (la théorie de l’escalade). Cela n’arrive quasiment jamais, comme l’ont démontré plusieurs études, en particulier de l’OFDT, ainsi que les constatations faites dans les pays ayant dépénalisé ou légalisé le cannabis.
Les mesures nécessaires pour une légalisation réussie
Pour légaliser de manière intelligente, il faut donc :
- une politique d’information qui explique qu’une personne dépendante, quelle que soit son produit, alcool et tabac inclus, est une personne malade, et non un délinquant en puissance.
- une politique de prévention qui explique les conséquences de la consommation de produit et une campagne d’éducation pour un meilleur usage du cannabis. Cette politique existe pour le tabac, dans une moindre mesure pour l’alcool (en France, on a un gros souci avec l’alcool et les lobbies du vin), mais le cannabis est relégué dans ce genre d’initiative avec les autres drogues illicites. Il serait plus juste de réunir les drogues en raison de leurs dangers sanitaires et sociaux qu’en raison de leurs caractères licites ou non. Mais bon, mettre sur le même plan tabac, alcool et héroïne, c’est difficile à admettre (alors que c’est beaucoup plus pertinent que de mettre sur le même plan cannabis et héroïne).
- Une augmentation de l’offre de soin, qui permettra aux personnes ayant une forte consommation d’obtenir de l’aide si elles le désirent, et aux personnes souffrant de troubles liés à la consommation d’obtenir du soutien. Actuellement, c’est un gros manque. Certaines régions rurales étant dépourvues de centres de soins, obligeant les habitants dépendants à de longs déplacements.
En l’absence de telles mesures, toute politique de dépénalisation ou de légalisation ne mettra en lumière que ses aspects négatifs, négligeant ainsi ses effets positifs potentiels. De plus, il convient de souligner que ce type de réforme exige du courage et du temps pour se concrétiser, ce qui contraste avec les motivations électorales à court terme de notre classe politique, souvent qualifiée de médiocre et hypocrite.
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