Quelques jours avant la publication des conclusions de la mission parlementaire sur la réglementation du cannabis, le Président de la République a prôné une politique répressive en matière de cannabis récréatif. Une logique soutenue par un positionnement sécuritaire qui a fait sortir de leurs gonds les experts.
« Une légalisation régulée, c’est le meilleur moyen de reprendre le contrôle et de protéger les Français ». Voilà, en substance, les conclusions publiées ce 5 mai de la mission d’information sur la réglementation et l’impact des différents usages du cannabis. Un petit tremblement de terre dont l’impact pourrait être plus qu’amorti par les récentes déclarations en faveur de la prohibition du Président de la République. « Le Président de la République a coupé l’herbe sous le pied à cette mission », juge le Président de la Fédération Française d’Addictologie, Amine Benyamina.
À la faveur de l’annonce de la relaxe du meurtrier de Sarah Halimi, Emmanuel Macron décidait de s’exprimer sur ce sujet brûlant le 18 avril dernier dans les colonnes du Figaro. Après avoir estimé que « prendre des stupéfiants » et « devenir comme fou » ne devrait pas supprimer la responsabilité pénale, il a désigné la drogue comme « la mère des batailles ». «On se roule un joint dans son salon et à la fin on alimente la plus importante des sources d’insécurité », y argue-t-il, avant de militer pour la traque aux dealers. « Ceux qui prennent de la drogue – et cela concerne toutes les catégories sociales – doivent comprendre que non seulement, ils mettent leur santé en danger, mais qu’ils alimentent aussi le plus grand des trafics », ajoute Emmanuel Macron.
Une sortie aux relents sécuritaires qui a ulcéré l’expert. « Ce qui m’interpelle le plus est la méconnaissance des risques liés au cannabis, et la prise de position d’Emmanuel Macron à la faveur d’un fait divers gravissime », explique Amine Benyamina, pointant du doigt l’instrumentalisation de la relaxe du meurtrier de la sexagénaire de confession juive. « En tant que psychiatre, j’ai été interpellé sur la question de l’irresponsabilité qui avait été tranchée par les experts. Pour le coup, c’était une manière d’ignorer, en quelques sortes, l’expertise en matière de maladies mentales ».
Pour lui, pas de doute, les déclarations du Président de la République répondent plus d’une logique électoraliste que de celles des données épidémiologiques. « La loi sur la prohibition du cannabis a plus de cinquante ans. Et le bilan en matière de cannabis est plus que négatif », rappelle Amine Benyamina. Pour preuve, il pointe du doigt la consommation française qui est l’une des plus importantes au monde malgré la doctrine prohibitive. « Interdire est un des moteurs du commerce illicite, argumente-t-il. Cela alimente la consommation et le trafic ».
Au calendrier, Emmanuel Macron a également inscrit la tenue prochaine d’un grand débat citoyen sur la consommation de stupéfiants. Réclamé de longue date par les addictologues, cette annonce ne fait pourtant pas des émules. « Si nous connaissons déjà l’issue du débat, ça n’a aucun intérêt pour la Fédération Française d’Addictologie », explique son Président, passablement agacé par cette proposition qu’il estime stérile.
Loin de la politique du tout-répressif, l’ordonnance des experts sur ce sujet sociétal est claire. « Je pense qu’il faut sortir le cannabis de la loi de 70, sortir de la prohibition, réfléchir à un modèle français, protéger les jeunes, offrir une possibilité de consommer sans être pénalisé, et surtout protéger les personnes en souffrance », énumère, coup sur coup, le spécialiste, qui souligne qu’une filière économique du chanvre pourrait même être créée. « Nous avons mis en place le cannabis thérapeutique, et les entreprises qui fournissent la France sont toutes étrangères », souligne-t-il.
Une ligne de conduite qui semble pour l’heure bien loin du chemin emprunté par le gouvernement français. « Les dégâts de ce type d’annonce, nous allons les ramasser pendant longtemps, assure Amine Benyamina. Cela va se sentir dans les chiffres de la consommation et du trafic de drogues dans les mois et les années à venir ».
Source : Whatsupdoc-lemag.fr