Publié le | par Thibault Pomares
Jeff, souffre de névralgie. Le seul traitement qui le soulage : le Bedrocan, une variété de cannabis thérapeutique interdite en France. Après s’être fait arrêté par les douanes, Jeff a décidé de partir vivre aux Pays-Bas quelques semaines « comme un clochard » dans sa voiture le temps de se soulager. Prenez le temps de découvrir son histoire et à travers elle, une certaine hypocrisie de la France contre laquelle il se bat pour avoir le droit d’être en bonne santé.
Il était une fois un Homme
Gérald « Jeff » Martinez (43 ans), chauffeur routier de profession et « par passion » souffre de névralgie depuis 2001. Décharges électriques, sensations de coup de pied dans les testicules, crampes musculaires, fourmis, douleurs insupportables ou encore crampes musculaires… 14 ans d’enfer jusqu’à ce qu’il découvre en avril dernier le Bedrocan : une variété de cannabis thérapeutique prescrite par son médecin français, mais interdite à la vente sur le territoire.
Après plus d’une décennie de traitements lourds, invalidants et selon lui inefficaces, cette nouvelle alternative thérapeutique est inespérée. Alors, Jeff utilise les quelques forces qui lui reste pour prendre la route de Maasbracht, un village à 35 kilomètres de Maastricht où une pharmacie pourra lui délivrer du Bedrocan sur ordonnance. Vendu sous forme d’herbe, ce cannabis a la particularité d’être « stabilisé » et non enivrant. Sauf qu’après 5 mois où Jeff a repris goût à la vie et a pu enfin (re)partager des moments forts avec ses enfants, les douanes l’arrêtent lors de son dernier aller-retour en Hollande. Son médicament miracle lui est alors confisqué, mais aucune poursuite à son encontre ne sera engagée. C’était fin août… Depuis, Jeff affirme revivre l’enfer de ses 14 dernières années et se « shoote » au cannabis de la rue, au haschich. 18 joints par jour qui n’ont pas endigué le retour de ses crises, lui donnant la sensation « de se faire tabasser » ou « rouler dessus ».
Effondré et n’ayant plus rien à perdre, Jeff a donc décidé de repartir à Maasbracht ce lundi 12 octobre. Cette fois-ci, il compte y rester quelques semaines en y vivant « comme un clochard », dormant dans sa voiture bourrée de vivres. Une décision extrême et surtout dangereuse étant donné son état de santé, mais cet acte se veut aussi militant. Alors que Jeff compte interpeller l’opinion autour de son cas, il est soutenu dans sa démarche par le CIRC (collectif d’information et de recherches cannabiques) et d’autres associations militantes.
À l’heure où je publie cet article, les seules nouvelles que j’ai pu obtenir de Jeff proviennent de Kshoo, porte parole du CIRC. Et apparemment, « il fait très froid à Maasbracht ». J’espère pouvoir réussir à le joindre les prochains jours et tâcherai de réactualiser l’article.
La question cannabis thérapeutique en France
Suite à une directive européenne, la France a été contrainte de mettre sur son marché pharmaceutique un premier médicament à base de cannabis : le Sativex. Cela remonte à janvier dernier. Or, une crispation sur le prix de vente du médicament entre la France et Almirall (le laboratoire commercialisant le Sativex) a reporté à la Saint Glin-glin l’AMM (Autorisation de Mise sur le Marché) du dit médicament. Enfin… ça c’est la raison officielle. Selon les associations, s’ajoute à ce retard le tabou du cannabis en France ainsi que les pressions exercées par les lobbies anti-cannabis qui ont insufflé aux gouvernements successifs leur point de vue : le cannabis thérapeutique c’est la porte ouverte à la légalisation du cannabis récréatif. Un débat (presque) sans fin que nous vous invitons à découvrir à travers nos plusieurs reportages sur LaTéléLibre : ici, là, ou encore par là-bas si ça ou ça ne vous suffirait pas.
Pourtant les mentalités évoluent. En ce qui concerne « l’usage du cannabis sous certaines conditions », autrement dit de façon thérapeutique – puisqu’il ne s’agit pas là de causer isolation de nos maisons avec du chanvre suisse – une majorité de Français s’est prononcée favorable… Du moins d’après le sondage IFOP-EROPP ci-dessous, réalisé entre 1999 et 2013 :
En 2013, 58% des Français sont d’accord ou plutôt d’accord
sur l’autorisation du cannabis sous certaines conditions
Alors que plusieurs pays européens (UK, Pays-Bas, Espagne) et même 23 États des États-Unis (goddamn, les states !) ont autorisé la vente de médicaments à base de cannabis, la France reste muette sur le sujet… Pour ou contre, il s’agirait déjà d’en parler. Aujourd’hui le débat public demeure inexistant. Et Jeff ?
Les mots de Jeff
À l’origine de ce reportage : Kshoo, porte Parole du CIRC. Ayant fait suivre par mail à John Paul le cri de Jeff, nous avons décidé en conférence de rédaction de raconter son histoire afin que sa décision de partir en Hollande sans toit et durant plusieurs semaines ne passe pas inaperçue… À défaut de pouvoir changer le monde, à commencer par la France.
Moi-même peu, voire clairement pas engagé politiquement sur la question du cannabis thérapeutique (ou récréatif), j’ai été touché par les maux de Jeff écrits en septembre dernier. Un poème qui m’a donné envie de le rencontrer et de l’écouter :
Gouvernement tu n’es pas humain,
moi je souffre et tu t’en fous bien.
Oppression. Persécution.
Pour que j’ai le frisson,
même pas peur !
Le plus fort, c’est ma douleur.
14 ans qu’elle m’anéantit,
cette putain de névralgie !
Pour moi « Bedrocan »,
c’est mon médicament.
Il n’est pas enivrant,
mais il est stupéfiant.
Aucune douleur !
Que du bonheur !
J’y ai goûté.
Je suis un miraculé,
mais je n’y ai pas droitdans ce gouvernement là
Pour un tabou,
qui ne tient pas debout.
Plutôt mourir,que de souffrir.
C’est vous qui me tuez
chaque instant passé,
vous pouvez me ressusciter.
Mais en avez-vous l’humanité?Jeff (Gérald Martinez)
Reportage
Journaliste : Thibault Pomares
Images : Nathan Houée
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Source : Latelelibre.fr