Après l’expérimentation, le statut réglementaire du cannabis thérapeutique restera à définir – Crédit photo : VOISIN/PHANIE
Le gouvernement n’a pas inscrit la légalisation du cannabis thérapeutique dans le PLFSS 2023, annonçant une prolongation de l’expérimentation actuelle. Mais du côté des spécialistes, prescripteurs depuis un an et demi, l’attente est palpable. S’il n’est pas un médicament miracle, le cannabis thérapeutique semble fontionner chez les patients douloureux et les patients épileptiques.
L’expérimentation du cannabis thérapeutique en France n’a pas rassemblé, selon le ministère de la Santé, assez de patients pour recommander l’autorisation du cannabis thérapeutique. Mais qu’en pensent les professionnels impliqués ? L’expérimentation est-elle un succès ?
« Il y a à la fois un gros point fort et un gros point faible, réagit la Dr Laure Copel du service de soins palliatifs de l’hôpital Diaconesses Croix Saint-Simon (Paris), où plus de 40 patients sont entrés dans l’expérimentation. Le point fort est l’accessibilité aux produits, aux dispositifs pour inhalation et leur gratuité. Le point faible, mais qui n’a rien d’anormal, est la difficulté de se former à cette nouvelle famille de médicaments. » Si tous les membres de son service se sont formés à la prescription, « cela a été un frein dans plusieurs équipes, trop petites et malmenées par le bazar sanitaire », précise-t-elle.
« C’était effectivement assez chronophage, abonde la Dr Céline Laouisset, spécialiste en soins de support et en soins palliatifs à l’Institut Curie. Nous avons dû arrêter d’inclure de nouveaux patients avant l’été dernier, d’autant plus que nous ne trouvions pas de relais parmi les médecins de ville qui n’avaient pas le temps de se former. » Une fois le patient équilibré, il est possible de laisser au médecin généraliste le soin de renouveler chaque mois les prescriptions, mais cela n’a été possible pour aucun des experts contactés par « Le Quotidien ».
Les consultations mensuelles, pas toujours utiles
« Les consultations mensuelles imposées dans l’expérimentation n’étaient pas toujours utiles pour certaines situations comme les douleurs neurologiques, poursuit la Dr Laouisset. Une fois la bonne dose identifiée, c’est une contrainte d’être obligé de revoir son patient tous les mois. » En soins palliatifs, en revanche, « les patients nous parlent de toutes les problématiques autres que la douleur, précise la spécialiste. Cela a du sens de consulter régulièrement pour questionner l’appétit, la tolérance, l’observance, les problèmes pratiques et le mésusage. »
Dans sa consultation de neurologie pédiatrique à l’hôpital Robert-Debré (AP-HP), le Pr Stéphane Auvin a prescrit du cannabis thérapeutique à des enfants atteints d’épilepsie résistante aux traitements. Pour lui, l’expérimentation a été une bonne chose, néanmoins, « la forme était très lourde, en particulier pour nous qui prescrivions déjà sur simple ordonnance l’Epidyolex », un produit contenant du cannabidiol disposant d’une autorisation de mise sur le marché (AMM).
Cinq indications retenues
L’expérimentation n’avait pas pour but d’évaluer l’efficacité médicale du cannabis thérapeutique, mais d’éprouver tout un écosystème de dispensation et de formation des médecins. Cinq indications ont été retenues : douleurs neuropathiques réfractaires, épilepsies pharmacorésistantes, symptômes rebelles en oncologie liés au cancer ou au traitement anticancéreux, situations palliatives, spasticité douloureuse de la sclérose en plaques ou autres pathologies du système nerveux central.
Pour la Dr Copel, l’expérience a tout de même confirmé ce qu’elle avait lu dans la littérature internationale : « le cannabis thérapeutique est un bon médicament, très efficace, mais avec ses risques d’effets indésirables, résume-t-elle. Il faut notamment faire attention aux interactions avec les anticancéreux. »
« Ce sont les survivantes de cancer du sein qui ont le mieux répondu au traitement, ajoute la Dr Laouisset. Les symptômes rebelles en oncologie sont souvent évolutifs et il n’est pas facile d’adapter en permanence le traitement. Le cannabis thérapeutique est plus adapté aux douleurs séquellaires. »
Un mauvais antalgique, mais qui soulage
Que ce soit dans les douleurs réfractaires ou les situations palliatives, le cannabis thérapeutique n’est pas considéré comme un bon antalgique, mais comme un bon médicament pour le patient douloureux. La Dr Copel nous explique la nuance : « la douleur est multifactorielle. L’anxiété, la dépression, le manque de sommeil y participent, et l’avantage du cannabis thérapeutique est qu’il agit sur tous ces symptômes en même temps, détaille-t-elle. Les scores de douleur restent les mêmes, mais les patients se sentent mieux. Ils prennent moins de médicaments contre la douleur et l’anxiété et appellent moins les équipes. »
Dans l’indication de l’épilepsie, le cannabis thérapeutique, comme les autres traitements, ne fonctionne pas pour tous les patients. « Nous avons 5 à 10 % de très, très bons répondeurs, 35 à 40 % chez qui le nombre de crises baisse de moitié et une grosse moitié chez qui ça ne fonctionne pas », résume le Pr Auvin.
En services de soins palliatifs, la titration initiale est réalisée avec des huiles en sublinguale CBD dominantes (20 pour 1), avec un peu de THC pour une action minimale contre la douleur. Par la suite, les patients peuvent utiliser des fleurs inhalées à action immédiate en cas de crise d’angoisse. Pour les douleurs liées au cancer, la Dr Laouisset privilégie l’initiation de produit CBD dominant avant d’augmenter progressivement la proportion de THC jusqu’à atteindre l’équivalence avec le CBD.
Ces pratiques s’appuient sur des données empiriques. « Au niveau de la littérature scientifique, c’est un peu la catastrophe, remarque la Dr Copel. Il y a beaucoup d’avis d’experts et pas assez d’études pour comprendre le fonctionnement des quelque 100 cannabinoïdes présents dans les produits. De nombreuses questions restent en suspens : que faire en cas d’effet indésirable ? Changer de ratio ? Arrêter le traitement ? ».
Un sujet de plus en plus abordé
Le sujet du cannabis thérapeutique n’a pas attendu l’expérimentation pour être abordé par les patients. « Les patients étaient assez enthousiastes et nous avons eu beaucoup de demandes avec des indications plus ou moins justifiées », se souvient la Dr Laouisset.
En neurologie pédiatrique, « c’est la première fois que j’ai des patients qui demandent une molécule, constate le Pr Auvin. Il y a de grosses attentes autour du fait que ce soit un produit considéré comme naturel et non toxique. Nos patients ont souvent affronté des effets indésirables notables avec d’anciens traitements. »
« C’est un sujet qui arrive crescendo dans nos services, ajoute la Dr Copel. Certains usagers s’en fournissaient déjà en autothérapie. » Les spécialistes ont été confrontés à l’émergence des boutiques de CBD : « ça a créé un joyeux mélange de compréhensions, mais les formations que l’on a suivies nous ont permis de répondre aux questions. Tout le monde croit que le CBD ne présente aucun risque, alors qu’il peut affecter le psychisme », signale-t-elle.
Quel statut ?
Lorsque la question du cannabis thérapeutique sera au programme des débats parlementaires, son statut réglementaire sera probablement le point le plus problématique. « Les produits vendus actuellement hors de l’expérimentation n’ont pas un statut de médicaments. Les produits issus d’une plante ont une composition qui varie en fonction du sol où elle a été cultivée ou de la lumière, le contenu peut varier », alerte le Pr Auvin. Une publication récente a montré qu’un produit CBD sur 10 en vente libre sans processus de fabrication pharmaceutique contient du THC. Un tel risque de contamination est particulièrement redouté dans l’épilepsie pédiatrique, où seul le CBD est recherché, et où le THC est particulièrement dangereux pour le développement de l’enfant.