Douleur, anxiété, dépression, sommeil : nombreux sont les bénéfices attribués au cannabis thérapeutique et en particulier au CBD, dont certaines formes sont autorisées à la vente en France. Pourtant, les études scientifiques sont loin de faire écho à cet engouement.
Le cannabis thérapeutique n’est « pas la panacée« , affirme le psychiatre Nicolas Authier, professeur de pharmacologie et addictologie. Président du comité chargé de l’expérimentation du cannabis médical en France, il est cependant convaincu de son intérêt dans des cas précis et sévères, et notamment dans les douleurs chroniques neuropathiques (liées à des dysfonctionnement ou lésions nerveuses). L’occasion de recentrer le débat, alors que le cannabis a bonne presse et que des chercheurs concluent dans la revue JAMA Network Open à l’équivalence du cannabis thérapeutique avec le placebo dans le traitement de la douleur
« L’article publié dans le JAMA est de bonne qualité, mais ne pose pas la bonne question »
Sciences et Avenir : Que pensez-vous de cette étude du JAMA, qui conclut que le cannabis ne fait pas mieux que le placebo contre la douleur ?
Pr Nicolas Authier : L’article est de bonne qualité, mais il n’est pas pertinent. Il existe plusieurs types de médicaments à base de cannabis médical, en fonction de la forme pharmaceutique, du dosage de CBD ou de THC, mais aussi plusieurs types de douleur chronique. Quand les auteurs se demandent si le cannabis thérapeutique est plus efficace que le placebo pour traiter la douleur chronique, ils simplifient à la fois le produit et la maladie. La douleur chronique est un terme générique s’appliquant à de nombreuses situations très différentes, d’ailleurs traitées avec des médicaments différents. On sait que le cannabis thérapeutique n’est pas efficace sur toute les douleurs chroniques. L’article ne pose donc pas la bonne question. Même dans les douleurs neuropathiques, dans lesquelles nous les prescrivons, son intérêt reste modeste.
CBD ET THC. Le tétrahydrocannabinol (THC) est le principal composé psychoactif du cannabis. Egalement présent en grande quantité dans la plante, le cannabidiol (CBD) a également des effets psychoactifs, bien qu’il ne soit pas classé réglementairement comme un psychotrope, explique l’Inserm. « Cela expliquerait d’ailleurs l’effet ‘apaisant’ mis en avant par les vendeurs pour aider les personnes atteintes d’anxiété, de difficultés de sommeil mais aussi de douleurs chroniques. »
Dans quelles indications le cannabis thérapeutique a-t-il fait ses preuves ?
Nous avons retenu cinq indications : principalement les douleurs neuropathiques, mais aussi les épilepsies réfractaires aux traitements disponibles, les symptômes rebelles liés au cancer (par exemple les pertes d’appétit ou douleurs liées aux chimiothérapies ou au cancer lui-même), les situations palliatives et la spasticité douloureuse réfractaire (raideur et contraction involontaire et douloureuse des muscles).
Les douleurs neuropathiques sont la conséquence d’un dysfonctionnement ou d’une lésion des nerfs en raison par exemple d’un diabète, d’une chimiothérapie ou d’une hernie discale. Elles concernent 6 à 7% des Français, qui ressentent des brûlures, pincements, piqures d’aiguilles, etc. Parfois, le simple contact d’un tissu est douloureux, ce sont des typologies de douleurs chroniques avec un fort retentissement sur la qualité de vie. Un tiers maximum sont soulagés par les traitements antidépresseurs et antiépileptiques qui leur sont proposés. C’est aux autres que l’on propose le cannabis thérapeutique. Il y a peu d’études de bonne qualité sur les effets du cannabis médical, mais dans le cadre de l’expérimentation française, 2.500 patients en ont bénéficié et nous retrouvons les résultats de la littérature avec environ 31% de patients qui présentent une diminution d’au moins 30% de l’intensité de leur douleur et plus de 40% qui rapportent une amélioration importante à très importante de leur souffrance.
« On parle beaucoup du CBD, mais la douleur chronique nécessite souvent du THC »
Peut-on savoir si ces améliorations sont dues aux produits ou à l’effet placebo ?
Il y a toujours une part d’effet placebo dans l’efficacité d’un médicament, quelle que soit la pathologie concernée. Dans notre expérimentation nous n’avons pas de groupe placebo car ce n’est pas un essai clinique, donc nous ne pouvons pas en estimer l’importance. Cet effet a déjà été identifié dans d’autres études. Nous observons cependant que deux tiers de nos patients traités ont associé la prise de cannabis thérapeutique à une amélioration significative de leur qualité de vie. C’est précisément ce que l’on espère pour ces patients souffrant de douleurs chroniques ! La douleur ne disparaîtra pas, on essaie donc plutôt de travailler sur ce qui va la rendre plus acceptable : le mouvement, le stress, les pensées négatives, l’acceptation de la douleur, le sommeil, etc. Si le patient dort mieux et est plus fort psychiquement, il va mieux vivre avec sa douleur, et retrouver goût à la vie. C’est ça notre objectif.
Prescrivez-vous uniquement du cannabidiol (CBD), ou aussi du tétrahydrocannabinol (THC) ?
Il y a trois grandes catégories de produits : THC dominant, CBD dominant, et équilibré en THC et CBD. A partir de ça, nous prescrivons des dosages adaptés au patient, que ce soit sous forme d´huiles pour voie orale ou de fleurs séchées pour inhalation par vaporisation (sans combustion). On parle beaucoup du CBD, mais la douleur chronique nécessite souvent du THC qui bloque la transmission de certaines voies nociceptives (transmettant l’information douloureuse, ndlr). Il agit aussi sur la dimension émotionnelle et psychique de la douleur, qui prend une importance croissante avec le temps jusqu’à parfois supplanter l’aspect physique.
Le traitement au cannabis thérapeutique ne fonctionne pas chez tous les patients, et il faut tester expérimentalement en commençant par une faible dose de CBD qu’on augmente peu à peu, et à laquelle on ajoute ensuite petit à petit du THC. Plus tard peut-être, les doses seront standardisées, mais pour l’instant c’est très personnalisé.
LEGISLATION. En France les produits contenant du CBD – feuilles comprises – sont autorisés à la vente, dans la mesure où ils contiennent moins de 0,3% de THC, substance psychotrope du cannabis. Côté médecine, l’expérimentation du cannabis médical prendra fin officiellement en mars 2024 pour une généralisation de la prescription, le temps que lui soient affectés un statut et un remboursement dédiés. Concluante, elle a permis de tester les meilleures conditions de délivrance des médicaments à base de cannabis, via une première prescription hospitalière puis un relai en médecine et pharmacie de ville.
« Consommer des substances actives, ce n’est jamais anodin »
Que conseillez-vous à ceux qui consomment des produits à base de cannabis de leur propre initiative dans un but thérapeutique ?
Si quelqu’un prend du CBD – souvent ce n’est pas du THC – et y trouve un bénéfice, après tout pourquoi pas. Nous médecins sommes tenus de nous baser sur des données prouvées par la science. Des études sont faites régulièrement sur l’efficacité du cannabis dans l’anxiété, le sommeil ou la dépression par exemple, mais pour l’instant elles ne sont pas concluantes. Certains individus disent observer des bénéfices après la consommation de CBD acheté en boutique, et nous les croyons, mais c’est compliqué de généraliser leurs observations à tout une population.
Cela étant, Si cette personne est malade, mieux vaut qu’elle se rapproche d’un professionnel de santé pour accompagner sa consommation pour s’assurer qu’il n’y a pas d’interaction avec d’autres médicaments et en faire un meilleur usage possible. Consommer des substances actives, ce n’est jamais anodin. Le risque lorsqu’on n’est pas accompagné, outre les effets indésirables, c’est de passer à côté d’un diagnostic et donc d’un traitement potentiellement efficace.