Avec le confinement, la consommation de cannabis aux États-Unis a fortement augmenté dans les États qui l’ont légalisée. Entre revenus fiscaux et création d’emplois, les avantages économiques (et sanitaires) liés à la légalisation sont nombreux et la France a peut-être à apprendre.
La France a l’une des politiques les plus répressives en termes de lutte contre le cannabis. Pourtant, les Français sont les premiers consommateurs de cannabis en Europe avec 22% des personnes entre 15 et 34 ans ayant consommé durant l’année écoulée. La légalisation du cannabis est un serpent de mer de la politique française, entre autres, parce que la drogue peut aussi bien être un médicament qu’un produit dangereux pour la santé. “Il y a un vrai coût social à prendre en compte”, explique Christian Ben Lakhdar, économiste et professeur à l’université de Lille, qui vient de sortir un nouvel ouvrage sur le sujet.
Le cannabis reste une substance addictive et les risques liés à la consommation ne sont pas des moindres. On ne le rappellera jamais assez : fumer peut provoquer des cancers du poumon, de la bouche ou encore de la gorge. Un consommation régulière peut également avoir des risques sur la structure du cerveau, surtout chez les adultes ayant consommé depuis qu’ils sont jeunes, ainsi que des risques psychiques comme la diminution de la mémoire et de la concentration. Mais pour les partisans de la légalisation, une consommation de cannabis régulée serait un moindre mal. Pour sa part, l’État aurait plus à gagner en contrôlant le marché qu’en le réprimant, selon Christian Ben Lakhdar.
Aux États-Unis, les législations sont différentes selon les États. Onze États plus Washington D.C. ont légalisé la vente de cannabis à usage récréationnel pour les adultes âgés de 21 ans et plus. Dans plus d’une trentaine d’États supplémentaires l’usage médical est autorisé. On compte seulement trois États, l’Idaho, le Nebraska et le Dakota du sud, où le cannabis est illégal sous toutes ses formes. Ces vagues de légalisation ont un impact positif sur l’économie et une réelle industrie s’est développée en l’espace de quelques années.
Une industrie à plus de dix milliards de dollars
Aux États-Unis, l’industrie du cannabis représentait plus de 10 milliards de dollars (9,2 milliards d’euros) en 2018. D’après une nouvelle étude de New Frontier Data, un cabinet d’analyse et de recherche sur l’industrie du cannabis, l’industrie pourrait bien valoir jusqu’à 30 milliards de dollars d’ici 2026. Un autre cabinet de conseil, Grand View Research évalue le marché à plus de 70 milliards de dollars d’ici 2027. En comparaison, l’industrie du tabac aux États-Unis est estimée à 77 milliards de dollars par an.
Les recettes fiscales des États et fédérales ne sont pas à négliger non plus. D’après l’Institut de Taxation et de Politique Économique (ITEP), un think tank américain, les Etats ont récolté plus de 1,9 milliard de dollars en 2019 contre 1,4 milliard de dollars en 2018. La Californie enregistre les plus grandes recettes, avec une augmentation de 43% par rapport à l’année précédente. Les prédictions pour les années à venir sont extrêmement positives d’un point de vue économique. Certaines estimations vont jusqu’à prédire un dépassement de la barre des 100 milliards de dollars si tous les Etats fédérés venaient à légaliser l’usage récréatif.
Ces revenus fiscaux sont généralement destinés à des programmes d’intérêt général. Par exemple, dans le Colorado, l’Oregon, le Nevada ou le Massachusetts, les taxes récoltées sont reversées dans l’éducation à travers la construction d’écoles, de bourses pour les étudiants, dans la santé notamment pour lutter contre les addictions ou encore dans les programmes de régulation du cannabis.
Quid de l’Hexagone ?
En France, le secteur est estimé entre deux et trois milliards d’euros selon l’Insee. Pour l’économiste Christian Ben Lakhdar, les Français dépenseraient actuellement entre un et un milliard et demi d’euros par an pour un usage purement récréatif. Un chiffre qui pourrait être bien plus élevé si le cannabis venait à être légalisé selon lui, car en plus du secteur récréatif, se développeraient les secteurs cosmétique et thérapeutique, par exemple.
Avec un marché légal qui dépasserait largement les évaluations actuelles de l’Insee, il estime les rentrées fiscales pour le gouvernement français de l’ordre de un à deux milliards d’euros, des chiffres à prendre avec des pincettes toutefois. “On se base sur des estimations de niveau de taxation. Il pourrait être très bas comme la TVA (20%) ou très élevé comme les taxes sur le tabac (80%)”, précise l’économiste. Dans tous les cas, une possibilité de recette fiscale conséquente auxquelles s’ajouteraient les économies sur le recours aux ressources policières, judiciaires, douanières, les pénitentiaires… étant donné que la consommation ne serait plus interdite, mais régulée.
Un secteur créateur d’emplois
Face à une croissance si dynamique, les pays qui ont légalisé sa consommation ont vu se multiplier les créations d’emplois. Aux États-Unis, l’industrie du cannabis représente plus de 240.000 emplois à plein temps, une augmentation de 15% par rapport à l’année précédente. Depuis 2017, le nombre d’emplois aurait doublé. En terme de créations d’emploi, le secteur grandit plus vite que n’importe quel autre secteur. La Californie suivie de près par le Colorado sont les deux Etats qui comptent le plus d’emplois dans ce domaine.
Selon New Frontier Data, Grand View Research et Leafly, le leader de l’information sur le cannabis et de la vente en ligne, d’ici 2028 le nombre d’emplois dans le secteur du cannabis pourrait avoir augmenté de 250%. Les États-Unis doivent se contenter de chiffres émanant d’acteurs privés : les chiffres officiels n’existent pas car le Bureau (fédéral) of Labor Statistics en charge de recenser les données sur la création d’emploi refuse de reconnaître les emplois créés par l’industrie du cannabis, des emplois qui sont donc catégorisés comme illégaux ou inexistants par le gouvernement.
D’après l’économiste Christian Ben Lakhdar, en France, il y aurait déjà entre 90.000 et 150.000 personnes impliquées dans le trafic de cannabis mais toutes ne travaillent pas forcément “à plein temps”. “Si on se base sur l’employabilité des Pays-Bas, on estime que 13.000 personnes pourraient trouver de l’emploi dans le secteur récréatif”, estime le spécialiste. Une estimation bien moins élevée que les chiffres observés aux États-Unis (même en rapportant à la taille de la population), mais qui pourrait augmenter en incluant les secteurs indirects comme la cosmétique et la thérapeutique.
Dans l’innovation des startups
Le boom de l’industrie du cannabis a engendré la création de nombreux produits dérivés. La Weedtech comme elle est appelée de l’autre côté de l’Atlantique, connaît un essor remarquable. La livraison à domicile est un secteur très populaire parmi les startuppeurs. Une longue liste de “Ubers du cannabis” dans laquelle on retrouve Eaze, Meadow ou encore Canary. Eaze est d’ailleurs l’une des startups les plus prometteuses avec 600.000 utilisateurs. En février, la startup a levé 35 millions de dollars et compte même étendre son activité à la vente de son propre cannabis. Des réseaux sociaux uniquement dédiés au cannabis ont vu le jour tels MassRoots qui compte près d’un million d’utilisateurs, TokeToMe, le WhatsApp des usagers de cannabis, ou encore High There!, le “tinder des stoners.”
Alors que les banques sont encore méfiantes des startups du cannabis, leur refusant des crédits, les fintechs ont fait leur entrée en fournissant des modes de paiement sécurisés aux différents acteurs du marché. Entre autres, Tokken pour les paiements entre particuliers et vendeurs et Cannabis Hemp Exchange pour les vendeurs et fournisseurs.
Pour encadrer ou propulser ces startups, on trouve également des accélérateurs tels Gateway et The Hood Incubator uniquement dédiés aux “cannabis startups”. Situé à Oakland, Gateway compte près d’une vingtaine de jeunes pousses dans leur portefeuille de clients.
Au-delà de l’économie
D’après l’administration en charge des questions de drogues et de santé mentale aux États-Unis, la consommation chez les mineurs aurait reculé au Colorado, dans l’État de Washington et en Alaska. L’Oregon est le seul état où la consommation de cette tranche d’âge a augmenté. En revanche, chez les majeurs, on constate une hausse de la consommation, peu importe l’État. A cette hausse de consommation s’ajoute une hausse des intoxications aiguës. Il faut tout de même rappeler que le taux d’hospitalisations liés au cannabis reste dix fois moins élevé que pour les cas liés à l’alcool.
Alix Publie
Source : start.lesechos.fr