Loin de l’affichage des opérations « Place nette » voulues par l’exécutif, le travail minutieux et discret des services spécialisés illustre l’étendue du trafic de drogue en France et la nécessité d’une réponse groupée entre les différents services de police.
Près de 9 tonnes de cocaïne, 3,9 tonnes de résine de cannabis, 50 kilos de drogue de synthèse, 40 kilos d’héroïne, 86 armes, 24 véhicules, 1,4 million d’euros saisis – et 345 personnes interpellées. Ce n’est pas le bilan des dizaines d’opérations « Place nette » voulues par le président de la République et mises en musique par son ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, mais le résultat de l’activité de l’Office antistupéfiants (Ofast) pour le mois de février, consigné dans une note confidentielle lue par Le Monde.
Sobrement intitulé « Affaires marquantes », ce document de sept pages diffusé dans le cadre du plan national de lutte contre les stupéfiants ne recense que les principaux dossiers traités par l’Ofast avec le concours des services de police judiciaire locaux et, parfois, celui de la marine nationale. Interception d’un « go fast », de deux livraisons maritimes, démantèlement d’un « trafic international transitant par la France » : il révèle l’ampleur d’un phénomène dont on perçoit mal comment les opérations « Place nette », mobilisant des centaines de policiers dans les quartiers sensibles, pourraient, seules, venir à bout.
« Ce travail vient justement compléter celui, indispensable, de ces opérations d’envergure que nous menons au quotidien », assure une source au ministère de l’intérieur. Il témoigne surtout de l’efficacité d’investigations de l’ombre, éloignées de la retransmission en direct des démonstrations de force contre les points de deal, une œuvre au noir jalonnée d’écoutes, de filatures, de surveillances, qui implique de petites équipes d’enquêteurs spécialisés et des mois de recoupements minutieux sur le « haut du spectre », ces réseaux d’importation de drogue depuis l’Espagne, les Pays-Bas, les Antilles, à destination du quartier Bacalan, à Bordeaux, de Montfermeil (Seine-Saint-Denis), ou d’Hyères (Var).
Méthodes éprouvées
Une approche « indispensable à la lutte contre la criminalité organisée et particulièrement le narcotrafic », a martelé dans un communiqué l’Association nationale de police judiciaire, qui dénonce la réforme de la police et la « focalisation de l’action publique sur la petite délinquance [qui] pousse à l’absorption des petits groupes criminels par de plus grosses organisations mieux structurées et plus résilientes ».
La lecture du document renseigne sur la validité de méthodes éprouvées dans la chasse aux trafiquants, l’importance des informateurs, du cloisonnement des informations, la réactivité de services spécialisés. Dans le courant du mois de janvier, le service interdépartemental de police judiciaire est ainsi destinataire d’un « tuyau » : un résident de Chambéry plutôt bavard se vante d’effectuer des « convoyages de drogue » entre l’Espagne et la Savoie. Un camion est rapidement identifié et placé sous surveillance discrète.
Moins d’un mois plus tard, le 8 février, il est stationné dans la zone industrielle de Saint-Quentin-Fallavier (Isère) lorsqu’une voiture s’en approche. « Les deux chauffeurs descendent et ouvrent leurs coffres respectifs dans le but d’effectuer le transbordement d’une partie de la marchandise. » Ils sont interpellés par la police judiciaire de Haute-Savoie et l’antenne Ofast de Lyon. Volume de la prise : 814 kilos de résine de cannabis. Les deux individus sont écroués. La même journée, « l’interception d’un convoi de type “go fast” convoyant 83 kilos d’herbe de cannabis » est réalisée au péage de Saint-Selve (Gironde). C’est le signal d’une vaste opération d’interpellations dans le quartier de Bacalan « au sein de la communauté des gens du voyage d’origine espagnole ».
Les brigades de recherche et d’intervention de Bordeaux-Bayonne, Toulouse et Perpignan, l’antenne bordelaise du Raid, l’unité d’investigation nationale et même la section aérienne de la gendarmerie de Mérignac interviennent dans le cadre d’une enquête menée par la juridiction interrégionale spécialisée de Bordeaux depuis trois mois. Dix membres de ce « réseau structuré » sont interpellés et les perquisitions mènent à la découverte de 100 kilos d’herbe de cannabis, deux fusils à pompe, deux carabines de précision, deux armes de poing et sept véhicules.
8,5 tonnes de cocaïne
Cinq jours plus tard, c’est la police judiciaire de Seine-Saint-Denis qui, à la suite d’une information récoltée au mois de décembre 2023, appréhende deux individus sur un parking. Ils étaient en train de décharger leur marchandise de caches aménagées dans un véhicule en provenance des Pays-Bas : « La fouille du véhicule porteur et l’ensemble des perquisitions permettent la saisie de 19,1 kilos de MDMA contenant du carfentanil, 13,9 kilos de kétamine, 5 kilos de résine de cannabis, 512 grammes de 3-MMC, 58 grammes de cocaïne et 2 500 buvards de LSD. »
Ce mois de prises se terminera par l’arraisonnement par la marine nationale, dans la nuit du 29 février au 1er mars, d’un navire transportant plus d’une tonne de cocaïne dans les Caraïbes. C’est la quatrième opération de ce type entre le 16 et le 29 février, qui a vu la frégate Germinal et le patrouilleur La Combattante, saisir au total près de 8,5 tonnes de cocaïne à destination de l’Europe, « fruit de la collaboration entre le pôle renseignement de l’Ofast, l’antenne de l’office dans les Caraïbes et le Centre opérationnel d’analyse du renseignement maritime pour les stupéfiants », une agence internationale basée à Lisbonne.
De tels succès montrent que les enquêtes au long cours associant spécialistes et moyens techniques hors norme sont indispensables au démantèlement de réseaux structurés. Mais ils rappellent aussi que ces saisies ne représentent qu’une part infime de la drogue en circulation.
Lire aussi :
La stabilité du prix des drogues, preuve de leur disponibilité sur le marché français
L’ampleur du trafic de drogues en France