Pour Nathalie Latour, de la Fédération Addiction, l’amende forfaitaire de 200 euros pour usage de stupéfiant ne réduira pas la consommation.
Publié le 9 Septembre 2020 | Par François Béguin
Nathalie Latour est la déléguée générale de la Fédération Addiction, un réseau qui regroupe des acteurs de la médecine de ville et des hôpitaux et fédère la grande majorité des associations du médico-social chargée de la prévention, de la réduction des risques et du traitement des addictions. Ses membres se sont prononcés en faveur de la « régulation » de la production et de l’usage du cannabis.
L’amende forfaitaire de 200 euros mise en place depuis le 1er septembre pour usage de stupéfiant peut-elle faire baisser le niveau de consommation de cannabis ?
On appuie toujours sur le même type de mesure répressive qui a fait la preuve de son inefficacité. Selon nous, cette amende ne sera pas efficace. Son objectif n’est pas de faire baisser la consommation mais de permettre une plus grande efficacité de la police et de la justice. Si l’objectif était de réellement faire baisser la consommation, ce n’est pas cette mesure-là qu’on aurait prise. Il n’y a pas eu un mot sur la prévention, l’éducation ou l’accompagnement des mineurs. C’est naïf de croire qu’en se prenant uniquement au consommateur, on va s’en sortir.
Pour le gouvernement, l’amende constitue une sanction « sans délai » qui vient s’ajouter à celles déjà existantes. Le premier ministre, Jean Castex, estime qu’elle va « responsabiliser » le consommateur. Quelles peuvent être les conséquences de sa généralisation ?
Toute une partie de la consommation se fait aujourd’hui en milieu privé. La généralisation de l’amende va aboutir à une réponse inéquitable, entre ceux qui auront les moyens de consommer en espace privé et ceux qui ne le pourront pas. Tous les marqueurs de la loi de 1970 pénalisant l’usage de stupéfiant sont par ailleurs maintenus. Est-ce que les gens pris en situation de récidive, c’est-à-dire avec une consommation compliquée, devront vivre avec l’épée de Damoclès d’une peine de prison au-dessus de la tête ? On est en train de perdre du temps avec ce type de mesure. Il faut des programmes d’éducation et de prévention dans les milieux scolaires, associatifs, auprès des familles et redéfinir des interdits qui ont du sens.
Le ministre de l’intérieur, Gérald Darmanin, a estimé qu’une dépénalisation du cannabis serait une « lâcheté ». Alors que de nombreux pays ont fait évoluer leur législation, assiste-t-on à un raidissement de la France ?
Seulement sept pays de l’Union européenne sont encore dans un interdit pénal de la consommation de cannabis. Tous les autres ont basculé vers une interdiction administrative ou d’autres formes de réglementation. Or il n’y a pas eu d’explosion des consommations dans ces pays.
L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime a des propos plus ouverts et plus pragmatiques que ceux de M. Darmanin, qui reprend des vieilles formules éculées de « guerre à la drogue » et assume même ouvertement la guerre aux drogués, en les qualifiant de « mauvais » citoyens. On a l’impression d’un retour en arrière, ce qui nous interpelle vivement. Est-ce que le laxisme, ce n’est pas de continuer à avancer ainsi ?
Interrogé samedi sur BFM-TV, le ministre de la santé, Olivier Véran, a botté en touche sur la question du cannabis non thérapeutique. Dans la mesure où la France a le niveau de consommation de cannabis le plus élevé d’Europe, que vous inspire son silence ?
Le fait qu’il ne dise rien est problématique. Un tel sujet, pour lequel il n’existe pas de solution simple et miraculeuse, ne devrait pas être porté par le seul ministre de l’intérieur. Tant qu’on opposera santé publique et sécurité publique, on ne s’en sortira pas.