Mpho Boshielo fume un mélange d’héroïne et de dagga à Soweto, en Afrique du Sud. Ici, la plupart des dealers viennent du Nigeria.
Publié le 27 Août 2020 | Par Kgalema Motlanthe* & Olusegun Obasanjo*
Olusegun Obasanjo et Kgalema Motlanthe sont tous deux membres de la Commission globale de politique en matière de drogues. Conscients des effets négatifs des politiques menées jusqu’alors dans ce domaine, notamment à l’égard de la jeunesse du continent, ils prônent une nouvelle approche.
Lorsque nous dirigions nos pays respectifs, le Nigeria et l’Afrique du Sud – les deux plus importantes économies du continent –, nos gouvernements rêvaient d’accomplir bien des choses. Et notamment de créer des sociétés exemptes de drogues.
Nous avions tort. Nous avions tort de penser que la prohibition, la répression et la prison protégeraient nos enfants. Nous avons accepté que de lourdes peines leur soient infligées pour des délits liés aux drogues, y compris lorsqu’aucune violence n’avait été commise. Nous avons autorisé les forces de sécurité de l’Etat à arrêter et à punir nombre de nos concitoyens. Rétrospectivement, nous y voyons un excès. Cela n’a pas marché.
Intérêts politiques
Cela n’a pas marché parce que la prohibition que les superpuissances ont imposée au monde à la fin de la Seconde Guerre mondiale, loin d’être une stratégie rationnelle et efficace contre les addictions, n’était que le prolongement de leurs intérêts politiques et de leurs affinités sur le plan culturel.
Aujourd’hui, le tabac et l’alcool font l’objet d’un libre commerce, appuyé par un marketing sophistiqué. Personne, pourtant, ne peut nier que ces deux substances nuisent à la santé. En acceptant de faire ainsi, assez artificiellement, la différence entre ces deux substances et les drogues illégales (le cannabis par exemple), les dirigeants du monde, y compris en Afrique, en sont arrivés à commettre bien des erreurs.
Ces jeunes gens jetés en prison, les a-t-on remis sur le droit chemin ? Dans la plupart des cas, la prison les a transformés en criminels endurcis. Ceux que l’on a privés de traitement, ceux qui sont morts d’overdose, qui étaient-ils ? C’étaient nos parents. C’étaient nos enfants. Nos sociétés ont investi une bonne part de leurs faibles moyens et de leur énergie dans des mesures centrées sur la répression, à la poursuite d’une société exempte de drogues. Nous devons nous éveiller et laisser là ce rêve, cette illusion.
Des malades privés d’antidouleurs
Il faut que cela s’arrête. La production, le trafic et la consommation de substances illégales sont en pleine croissance. La criminalisation confère du pouvoir au crime organisé en lui donnant une emprise sur ceux dont la subsistance dépend du marché illégal des drogues. La demande est constante, l’offre suivra, naturellement.
« LE COÛT HUMAIN ET FINANCIER EST EFFRAYANT »
Certains affirment que l’Afrique n’a pas les ressources nécessaires à la mise en place de réformes centrées sur la santé et qui comprennent la réduction des risques et le traitement des personnes dépendantes. La recherche montre toutefois que ces services constituent un investissement bien plus efficace que la criminalisation, sur le continent comme ailleurs. Les débats sont souvent muselés par cinquante ans de propagande antidrogue. Mais dans les faits, la « guerre contre les drogues » n’est parvenue qu’à entasser des gens en prison, accélérer la transmission du VIH, et encourager les exécutions sommaires. Le coût humain et financier est effrayant.
Sortir de la camisole de force du régime international
Il y a toutefois des lueurs d’espoir. Le système judiciaire de l’Afrique du Sud a dépénalisé le cannabis à des fins d’usage personnel. Même chose au Ghana, qui s’est doté d’une loi courageuse. Les Seychelles ont adopté des mesures autres que la répression. Les traitements de substitution aux opioïdes sont en place au Nigeria, au Sénégal, au Kenya, en Tanzanie, à Maurice et au Maroc. Le Zimbabwe, le Malawi et le Lesotho ont légalisé le cannabis à des fins médicales. Malgré cela, les politiciens et les communautés d’Afrique peinent à sortir de la camisole de force imposée par le régime international de contrôle des drogues.
De longue date, nos pays ont appuyé ce régime de contrôle. Nous l’avons appliqué pour remplir nos obligations internationales et – nous a-t-on dit – lutter contre le crime organisé. Ce faisant, nous avons parfois perdu de vue notre devoir : protéger nos peuples et nos enfants.
Nous avons commis des erreurs. Les nouveaux dirigeants de l’Afrique feraient bien d’en tirer des leçons. Mener une guerre demande du courage. Savoir la perdre exige de la sagesse.
Une nouvelle loi pour le continent
Une loi-type sur les drogues adaptée aux réalités du continent a été développée en septembre 2018 sous l’égide du président Obasanjo et de Kofi Annan, ancien secrétaire général de l’ONU, fondateur de la Commission ouest-africaine sur les drogues et membre de la Commission globale de politique en matière de drogues. Issue de travaux d’experts de premier plan de la région, elle est offerte aux décideurs du continent désireux d’adopter des réformes hardies et fondées sur la recherche scientifique.