Légalisation
La proposition de loi du président de la Chambre Nabih Berry préconise de légaliser le haschisch libanais à des fins médicinales.
La promesse de légalisation du cannabis se concrétise progressivement. Vendredi dernier, le président du Parlement, Nabih Berry, a transmis aux commissions parlementaires mixtes de l’Agriculture, de la Santé, de l’Économie, de l’Administration et des Lois une proposition de loi de « légalisation du cannabis à des fins médicinales et industrielles ». Impossible pour l’instant de se procurer ce texte élaboré par des experts, qui s’est concocté à huis clos dans les cuisines parlementaires, afin de prendre connaissance de son contenu. Et pour cause, le dossier est particulièrement sensible. Ce qui met la pression sur les parlementaires qui planchent dessus.
Création d’une régie
Mais selon une source proche du chef du législatif, ce texte propose la légalisation du cannabis de type Sativa indica cultivé de manière illicite dans la Békaa, autrement dit l’espèce de haschisch plantée au Liban et vendue illégalement à des fins récréatives. Sauf que l’usage de ce cannabis sera thérapeutique. Hautement riche en substance hallucinogène, le THC ou Tétrahydrocannabinol, il est également baptisé chanvre indien. « La particularité du cannabis libanais, sa richesse en THC, est la raison pour laquelle il est tant prisé par les entreprises pharmaceutiques internationales », soutient la source contactée. « En revanche, le cannabis qui ne contient pas de substance hallucinogène ne représente pour le pays du Cèdre aucune valeur ajoutée, car il est cultivé dans de nombreux pays à l’étranger, précise-t-elle. Il ne nécessite pas d’être légalisé, car il n’est pas interdit. » La proposition de loi vise donc à « mettre un cadre légal à la culture du haschisch ». En revanche, il est « hors de question de dépénaliser sa vente et sa consommation ». (Voir L’OLJ des 6, 7 et 20 août 2018).
Le texte de loi propose aussi « la création d’une régie, à l’image de la régie du tabac ». Cette dernière devrait « diriger l’ensemble du processus », autrement dit, accorder des licences aux agriculteurs en fonction de la nature et de la localisation géographique de leurs terres, et exercer un contrôle strict de la production du haschisch, de sa transformation et de l’achat de la production.
C’est dans l’objectif de « donner un coup de pouce à une économie moribonde » et de « répondre aux attentes des paysans de la Békaa, principalement membres de la communauté chiite », que Nabih Berry, également chef du mouvement Amal, a soumis sa proposition aux députés. Avec pour argument, une projection de deux milliards de dollars de recettes par an, d’ici à quelques années. « Cette économie créera une nouvelle industrie et des emplois. Elle ne peut qu’être bénéfique pour le pays », assure la source, précisant que 129 pays ont déjà légalisé la culture de cannabis dans le monde et qu’« il n’est plus question de laisser faire la contrebande ».
Autre point important de la proposition de loi, les mandats d’arrêt contre les personnes recherchées dans ce domaine seraient annulés, « exception faite des criminels et de ceux qui ont agressé ou porté atteinte aux forces de l’ordre ».
Pas de veto du Hezbollah, mais une condition
Commentant l’information, l’universitaire Hassane Makhlouf, auteur de thèses et d’ouvrages sur le cannabis, coordinateur du mastère de biodiversité à l’Université libanaise, confirme l’intention du président de la Chambre « de légaliser effectivement le haschisch de la Békaa à des fins thérapeutiques et textiles », et « non pas une autre espèce de cannabis, pauvre en THC ». Une intention que M. Berry partage avec le chef druze Walid Joumblatt, qui appelle depuis de nombreuses années à la légalisation du cannabis local. Car « toutes les conditions (sol et climat) sont réunies » pour que cette plante riche en THC pousse au Liban. Sans oublier que « les agriculteurs ont l’expérience du cannabis Sativa indica. Ils savent même en extraire la résine ».
Le chercheur explique par ailleurs « le black-out autour de la proposition de loi par la peur que celle-ci ne soit rejetée par les partis politiques et par les militants antidrogue. D’où la volonté annoncée de bien l’étudier ». Il est aussi nécessaire « de déterminer comment le pays peut en tirer profit et faire bénéficier tous les partenaires, les paysans, les intermédiaires et l’État », observe-t-il, notant que « la création d’une régie doit être parfaitement réglementée et qu’il est impératif de lever l’ambiguïté sur les processus de récolte et de transformation ». « Légaliser la culture de cannabis devra par ailleurs passer par l’amendement de la loi sur la consommation et le trafic de drogue », préconise M. Makhlouf, tout en soutenant que « la culture sera réglementée, mais que la consommation de haschisch sera toujours interdite ».
C’est à l’étude de tous ces facteurs que s’attellent les commissions parlementaires mixtes. « Sans aucun doute, la culture de haschisch sera légalisée d’ici à quelques mois, si un gouvernement est formé, avec l’accord tacite des États-Unis et le laisser-faire des Nations unies », assure le professeur. Mais encore faut-il « que le texte de loi bénéficie de l’acceptation de tous les partis politiques, lesquels tentent de tirer profit de la question ».
Connu pour ses profondes réticences sur la question, même le Hezbollah soutient, par la voix de son député de Zahlé, Anouar Jomaa, contacté par L’Orient-Le Jour, qu’« il n’oppose pas de veto de principe à la légalisation du cannabis à des fins médicinales. À la condition que chaque article de la proposition de loi soit étudié séparément et dans les détails ».
Source : L’Orient du Jour