La nouvelle loi prévoit de réparer les injustices de la «guerre contre les drogues», qui a particulièrement touché les communautés afro-américaines et latinos par le passé.
La loi prévoit aussi que 40% des taxes récoltées sur la vente de cannabis doivent être réinvesties pour les communautés les plus durement touchées lors de la guerre contre les drogues, principalement les communautés afro-américaines et latinos.
Les premières licences autorisant la vente de cannabis dans l’État de New York ont été attribuées la semaine du 21 novembre. S’il ne s’agit pas du premier État à légaliser la vente de cannabis à usage récréatif, la méthode d’attribution singulière de ces premières licences apparaît comme une vraie expérience en matière de justice réparatrice.
En effet, pour obtenir une de ces 150 premières licences, il faut «avoir été condamné pour des infractions relatives au cannabis par l’État de New York avant le 31 mars 2021. Cela peut être avoir été condamné pour possession ou pour vente, ou tout autre infraction découlant de la possession de cannabis», résume Jeffrey Hoffman, avocat sur les questions relatives à cette substance.
Les membres de la famille directe (parents ou enfants) de personnes condamnées pour des infractions liées au cannabis sont aussi éligibles, mais le nombre élevé de demandes, 903 pour seulement 150 places, laisse penser qu’il y a peu de chances qu’elles obtiennent gain de cause, les personnes condamnées étant prioritaires.
Contre la drogue, une législation sévère et inégale
Derrière ce prérequis qui peut étonner, amuser ou même choquer, se cache la volonté de l’État de New York de réparer le mal que la pénalisation du cannabis a causé aux individus et aux communautés les plus sévèrement impactées.
New York a pendant très longtemps eu des lois draconiennes vis-à-vis du cannabis. Or, celles-ci étaient le plus souvent appliquées plus rigoureusement envers les populations pauvres et non blanches de l’État, l’exemple le plus parlant étant sûrement celui des lois mises en place en 1973 par le gouverneur de l’État et aspirant à la présidence du pays, Nelson Rockefeller. Cette législation très dure s’inscrit alors dans la «guerre contre les drogues» (War on Drugs) déclarée par le président Richard Nixon, qui incite les politiciens à l’escalade sur ces thématiques.
Ces lois punissent la vente de plus de 57 grammes ou la possession de plus de 110 grammes de drogue (héroïne, morphine, cocaïne, cannabis…) d’une peine de prison de quinze ans minimum. Cette peine peut aller jusqu’à la perpétuité, la même sentence que pour un meurtre.
Cependant, ces lois de Rockefeller n’ont pas été longtemps applicables pour la vente de cannabis. Dès 1977, le gouverneur démocrate Hugh Carey l’enlève de la liste des substances concernées par la loi. Mais la possession et la vente de cannabis restent très durement réprimées, à cause notamment de la pratique du stop-and-frisk (interpellation et fouille), qui donne l’autorisation aux policiers du NYPD d’arrêter et de fouiller toute personne qu’ils soupçonnent d’avoir commis une infraction ou d’être sur le point d’en commettre une, sans avoir besoin d’expliquer leurs critères à qui que ce soit.
Autre critique faite à ces lois: celle d’être appliquées très différemment selon la couleur de peau des personnes interpellées. À New York, «un homme noir avait quinze fois plus de risques de se faire arrêter pour possession de cannabis qu’un homme blanc», rappelle Hoffman.
Une loi qui doit réparer
La loi légalisant le cannabis pour l’État de New York s’est donc donné pour tâche de ne pas uniquement légaliser la substance, mais aussi de s’assurer que les communautés les plus touchées par la criminalisation du cannabis soient également celles qui bénéficient de sa légalisation.
Cette initiative inédite est prévue par la New York Cannabis Law, signée le 31 mars 2021 par le gouverneur de l’époque, Andrew Cuomo. Soutenue par la majorité démocrate de la législature de l’État, cette loi est la plus audacieuse du pays au sujet des réparations accordées à ceux touchés par la guerre contre les drogues. La cheffe de la majorité démocrate de l’Assemblée de New York, Crystal Peoples-Stokes, a déclaré après le vote que dans cette loi «l’équité n’est pas au second plan mais au premier, comme il se doit, parce que les personnes qui ont payé le prix de cette guerre contre les drogues ont tant perdu».
En plus de réserver les premières licences à des personnes qui ont été envoyées en prison à cause du cannabis, la loi prévoit que 40% des taxes récoltées sur la vente de cannabis doivent être réinvesties pour les communautés les plus durement touchées lors de la guerre contre les drogues, principalement les communautés afro-américaines et latinos.
Elle dispose aussi que les condamnations relatives au cannabis doivent être automatiquement effacées du casier judiciaire. Une mesure forte aux États-Unis, où beaucoup d’emplois demandent un casier judiciaire vierge.
Un business model fiable
Ces mesures progressistes ont toutefois été contrebalancées pour satisfaire une autre volonté affichée par l’État de New York, celle d’établir un marché fiable et très rentable pour le cannabis. D’où une condition supplémentaire pour recevoir ces premières licences: que les personnes condamnées puissent justifier avoir détenu au moins 10% des parts d’une entreprise qui a été rentable pendant au minimum deux ans.
Une mesure à la fois pratique et pragmatique: «Premièrement, si la seule condition était une précédente condamnation, il y aurait eu des centaines de milliers de demandes. Mais aussi parce que les autorités régulatrices veulent que les personnes qui reçoivent leur licence réussissent à engendrer des bénéfices», analyse Hoffman.
Pour assurer la réussite du projet, l’État a construit lui-même les premiers débits de marijuana, qui seront fournis clé en main aux vendeurs de cette première vague d’autorisations. Ces derniers n’auront alors qu’à s’assurer de payer le loyer du local pour continuer leur activité.
Une distorsion de concurrence?
Cette loi ne fait néanmoins pas l’unanimité auprès de toutes les personnes en faveur de la légalisation du cannabis. Le point le plus polémique est la condition selon laquelle les personnes qui candidatent pour une licence aient été condamnées spécifiquement par l’État de New York.
Une procédure en justice a ainsi été déposée contre ce prérequis. Kenneth Gay, un homme ayant été condamné dans l’État du Michigan, a porté plainte contre l’État de New York après avoir fait une demande de licence dans cinq régions de l’État. Selon lui, cette condition serait anticonstitutionnelle et contraire à la Dormant Commerce Clause, qui interdit aux États de mettre en place des mesures protectionnistes et de restreindre le commerce inter-États.
Cette procédure a stoppé l’attribution de 63 des 150 licences dans les cinq régions de l’État dans lesquelles Kenneth Gay avait fait sa demande. Elle ne reprendra qu’une fois la décision de justice rendue. Les débits de marijuana dans les onze autres régions de New York non impactées par la procédure devraient, si tout se déroule comme l’État le veut, ouvrir avant la fin de l’année.