Données partielles sur les violences, mesures déjà énoncées au sujet des formations des forces de l’ordre… dans un entretien donné au «Figaro», le Président persévère sur sa ligne sécuritaire.
par Ismaël Halissat
Montée de la violence : des chiffres tronqués
Tel que présenté par Emmanuel Macron, le constat paraît indiscutable : la violence dans la société augmente année après année. Le président de la République affirme que les chiffres attestent qu’il existe une «forte augmentation des violences sur les personnes». Mais le chef de l’État note qu’une bonne part de cette progression est due aux violences intrafamiliales et sexuelles, dont la meilleure prise en compte par la société favorise des plaintes plus nombreuses. Il évoque alors «la progression des violences du quotidien, qui visent tout particulièrement les détenteurs de l’autorité» et dit que les violences dont ces derniers sont victimes «ont doublé en quinze ans». Or, c’est faux.
En termes juridiques, le président de la République fait référence aux personnes dépositaires de l’autorité publique. Une catégorie à part pénalement parlant, qui regroupe magistrats, jurés, avocats, élus, militaires de la gendarmerie, fonctionnaires de police, des douanes, de l’administration pénitentiaire… Premièrement, en quinze ans, le nombre de faits de violence déclarés les concernant n’a pas doublé. La progression est deux fois moins importante que le prétend Emmanuel Macron : en 2005, 23 679 faits étaient déclarés, contre 35 117 en 2020. Contacté pour tenter de comprendre d’où le Président sort ce chiffre, l’Élysée précise qu’il s’agit en fait de données qui concernent seulement les blessures des policiers… Des chiffres dont Libération avait déjà pointé les limites : ils n’ont pas été publiés officiellement, ne distinguent pas les causes des blessures, sont fondés sur les déclarations des agents et leur augmentation peut donc être le fruit d’un changement de politique de recensement.
Les sciences sociales préfèrent généralement s’appuyer sur les enquêtes de victimation qui ne révèlent aucun bond particulier des violences dans l’ensemble. Bref, Emmanuel Macron mélange tout et il n’existe aucun consensus pour affirmer que la violence augmente dans la société ces dernières années.
Formation et effectifs des forces de l’ordre : des mesures répétées encore et encore
Le président de la République a aussi profité de cette interview pour rappeler une nouvelle fois son engagement de campagne de recruter 10 000 policiers et gendarmes au cours du quinquennat. «On tiendra le calendrier et il est normal qu’on parvienne à l’objectif progressivement puisqu’il faut le temps de former les policiers recrutés. Ils seront tous sur le terrain avant la fin du quinquennat», promet Emmanuel Macron. Mais le chef de l’État ne s’étend pas sur l’immense problème que pose cet objectif. Car les forces de sécurité doivent à la fois remplacer les nombreux départs à la retraite mais aussi recruter pour augmenter les effectifs. Le passage par la case formation est une étape délicate : pour atteindre l’objectif fixé par Emmanuel Macron, la police a fait le choix de raccourcir les enseignements initiaux d’un an à huit mois depuis juin 2020. Une décision désormais critiquée par Gérald Darmanin qui a annoncé un retour à la case départ, mais seulement en 2022. D’ici là plusieurs promotions de gardiens de la paix vont suivre cette formation raccourcie. «Aujourd’hui, 4 508 policiers et 1 706 gendarmes ont déjà été recrutés, soit 6 214 membres des forces de l’ordre, compte le président de la République dans son interview. Nous aurons en complément, dès cette année, 2 000 policiers et gendarmes de plus.»
Emmanuel Macron a également rappelé qu’un renouvellement des voitures était en cours et qu’une «généralisation» des caméras individuelles des agents était prévue. Au passage, il repousse (sans le dire) d’une année l’entrée en vigueur de cette mesure concernant la police. La seule véritable nouveauté est l’annonce de la création d’une «forme d’école de guerre avec de la formation continue». Le chef de l’État fait ici référence au fonctionnement des armées (gendarmes compris) avec un passage des officiers supérieurs par une formation spécifique au cours de leur carrière pour accéder aux plus hautes fonctions militaires. Un projet encore bien vague et qui ne répondrait pas au déficit de formation des gardiens de la paix, qui sont eux tout en bas de l’échelle et composent l’essentiel des troupes.
Drogues : la guerre est déclarée
Le président de la République veut aussi un nouveau grand débat. Sur la drogue cette fois. «La France est devenue un pays de consommation et donc, il faut briser ce tabou, lancer un grand débat national sur la consommation de drogues et ses effets délétères.» Mais exclut d’emblée une éventuelle légalisation ou dépénalisation du cannabis. Car «ceux qui prennent de la drogue et cela concerne toutes les catégories sociales doivent comprendre que non seulement, ils mettent leur santé en danger, mais qu’ils alimentent aussi le plus grand des trafics. On se roule un joint dans son salon et, à la fin, on alimente la plus importante des sources d’insécurité».
Le Président adopte le même langage martial («éradiquer» les trafics, «harceler» les dealers) que le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, et reprend ses indicateurs critiquables pour vanter le travail policier en matière de lutte contre la drogue. «Sur les 4 000 points de deal répertoriés récemment, plus de 1 000 opérations coup de poing ont été réalisées ces dernières semaines», fait-il valoir. «Ce sont des indicateurs qui n’ont absolument aucun sens», réagit Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales. Le sociologue relève qu’il s’agit là d’indicateurs internes à la police, déconnectés du but premier de la lutte contre les stupéfiants : «Il faudrait se rappeler pourquoi la police fait des affaires de drogues, le but est tout de même de réduire les addictions, mais quel est le résultat à ce propos ? On a perdu de vue ce à quoi sert l’architecture pénale autour de la question des stupéfiants.»
Racisme et violences systémiques ? Circulez y a rien à voir
Emmanuel Macron en a aussi profité pour revenir sur ses précédentes déclarations concernant les violences et le racisme dans la police. Le 4 décembre 2020, dans un entretien accordé à Brut, le Président avait repris à son compte ce qui est établi depuis des années par la recherche : les contrôles au faciès existent. Des propos qui avaient entraîné une énième crise avec les syndicats de police. Dans cette nouvelle interview, il affirme que des «jeunes» se plaignent effectivement d’être victimes de ces contrôles. Mais oublie d’ajouter que le constat de ces pratiques discriminatoires ne repose pas sur le seul ressenti des concernés : des études de terrain ont également été menées et aboutissent au même état des lieux. «J’ai dit et je répète : il n’y a pas de violence systémique de la police, c’est faux ; il n’y a pas de racisme systémique de la police», ajoute par contre Emmanuel Macron. Une façon d’atténuer les quelques inflexions consenties après des mois de déni sur le sujet.
Source : Liberation.fr