Le Figaro, vendredi 7 février 2020
Ancien titre : L’âpre « reconquête républicaine » des quartiers
ENQUÊTE – En un an, 47 sites en proie à la délinquance et aux trafics de drogue se sont vus affecter 600 policiers et gendarmes. Une reprise en main difficile.
Par Cornevin, Christophe
IL Y A UN AN, lors d’un échange avec les hommes d’un petit poste de police de la cité des Oriels, à Dreux, Christophe Castaner se fait décrire la réalité de leur quotidien. Fraîchement débarqué Place Beauvau, il découvre ce qu’il nomme « l’enfer des trafics » qui gangrène le pays. Le ministre de l’Intérieur prend alors des accents martiaux et promet de « ne pas céder un millimètre de République aux caïds » .
Sous un ciel aussi plombé que les chiffres des agressions et des violences, l’hôte de Beauvau annonce alors sa volonté d’accélérer le développement des quartiers de reconquête républicaine (QRR) en déployant 274 policiers en renfort sur 21 sites en proie aux « incivilités, raids motorisés [et] trafics » ainsi qu’à la radicalisation islamiste. Conçus comme un « message à tous les caïds, à tous les marchands de haine et tous ceux qui croient tenir les murs des quartiers » , quinze sites « pionniers » avaient été retenus dès l’automne 2018. Les quartiers nord de Marseille, le Mirail à Toulouse, les Beaudottes à Sevran, en Seine-Saint-Denis, ou encore Les Mureaux, dans les Yvelines, tous bénéficient depuis lors d’une thérapie de choc.
Soucieux « que la République s’affirme partout, pour que la réponse atteigne tous les Français » , Christophe Castaner et Laurent Nuñez, très présent sur ce dossier, ont doublé la cadence en 2019. Désormais, pas moins de 47 QRR, verrouillés par 600 effectifs dédiés, couvrent le territoire, quatre étant pris en charge par les gendarmes.
Le concept est simple : pour chaque quartier, 10 à 35 membres des forces de l’ordre supplémentaires sont affectés sur le terrain. Pour tordre le cou aux polémiques, le ministre de l’Intérieur lance : « Nous avons décidé d’en finir avec la commedia dell’arte et de commencer la politique du concret. Quand j’annonce quinze policiers ou gendarmes supplémentaires dans un quartier de reconquête républicaine, ce sont vraiment quinze personnes en plus. Et quinze personnes en plus sur le terrain, ça change la vie d’un quartier » .
Immédiatement opérationnels, les effectifs ont pour mission « d’attaquer frontalement les trafics et les réseaux » en ciblant « la drogue, les armes, la prostitution » qui alimentent toute une économie souterraine. Dans chaque quartier promis à la « reconquête républicaine » , une cellule de lutte contre les trafics tourne à plein régime sous la présidence du préfet et du procureur. Pour aider les sherpas du retour à l’ordre dans les zones les plus exposées, les moyens matériels arrivent petit à petit : un millier de caméras piéton ont été livrées, tout comme des tablettes « néo » permettant d’avoir accès à tous les fichiers en temps réel ainsi qu’une soixantaine de voitures pour la Sécurité publique.
« L’action policière est survitaminée partout où la délinquance s’est enkystée , affirme Jean-Marie Salanova, directeur central de la Sécurité publique. Alors que les brigades spécialisées de terrain (BST) multiplient les patrouilles, des « tuyaux » remontent et chaque information ne vaut que si elle a une traduction judiciaire » . Après le passage de chiens « stups » , des prises d’empreintes effectuées sur le plastique conditionnant le haschisch mènent aux dealers. Selon nos informations, un « tuyau » parvenu à la Sûreté départementale de Marseille a ainsi récemment permis la saisie de 324 kg de cannabis, d’un fusil d’assaut et d’une dizaine de grenades défensives. Deux caïds ont été mis en examen et écroués, avant d’être « criblés » par le fisc et les services sociaux.
Si le but affiché de l’État est de « frapper les voyous au portefeuille » et de démanteler les réseaux grâce à la généralisation de cellules opérationnelles sur les stupéfiants (CROSS) visant à faire remonter les plus gros dossiers vers la PJ, Beauvau joue la carte de l’ « humilité » . Alors que l’amende forfaitaire de 200 euros pour les consommateurs pris en flagrant délit devrait voir le jour d’ici à la fin 2020, il est vrai que 200 000 personnes sont mises en cause chaque année dans des affaires de drogue en France, pour un marché estimé à trois milliards d’euros. Les professionnels ont l’impression de vider l’océan à la petite cuillère.
Mettre fin à des rodéos
Pour accélérer la lutte, ils font du « sur-mesure » en adaptant leur stratégie aux spécificités du territoire. Comment ? Après avoir découpé sa zone de compétence en 966 « secteurs de proximité » , la Sécurité publique a bénéficié d’une nouvelle boussole : tous les quinze jours ou tous les mois, des groupes de partenariat opérationnel (GPO) réunissent en cercle restreint policiers, citoyens, représentants du maire, bailleurs ou encore membres de l’Éducation nationale pour évoquer les sujets qui agitent chaque secteur. « Pas question de faire de grandes messes, ni de raconter des généralités , prévient Jean-Marie Salanova. Les problèmes du moment sont détaillés pour que l’on s’y attaque de manière concrète et multifaciale. »
Dans le QRR de Besançon, cette réunion a permis de mettre fin à des rodéos impliquant un loueur et de saisir plus d’une trentaine de véhicules. Dans le secteur Bordeaux-Maritime, c’est une vague de vols à l’étalage en réunion, visant des commerçants, qui a été stoppée au terme de deux opérations. Dans les quartiers de Lille, un tour de table avait mis en exergue la problématique de la mécanique sauvage et des abandons d’épaves sur la voie publique.
Fer de lance de la police de sécurité du quotidien (PSQ), promise par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle, les QRR devraient arriver au nombre de 60 d’ici à la fin du quinquennat. Alors que les échéances électorales se rapprochent, l’enjeu est de taille. D’autant que, comme en témoigne le dernier baromètre Fiducial-Odoxa pour Le Figaro , six Français sur dix éprouvent un tenace sentiment d’insécurité dans le pays.
C.C.
Source : lefigaro.fr