Antonin Cohen et ses associés entendent éveiller les consciences sur les vertus thérapeutiques de la marijuana.
Depuis la Convention unique sur les stupéfiants de 1961, la culture, la vente et le transport de cannabis sont fermement interdits en France. Bien qu’utilisé par l’Homme depuis le Néolithique pour ses propriétés psychotropes, le cannabis se présente aussi sous une forme « agricole » : le chanvre. Aujourd’hui, cette plante continue d’être cultivée légalement en France pour sa fibre – avec un taux de THC inférieur à 0,2 %, ce qui rend toute consommation récréative impossible.
Ce que l’on sait depuis longtemps, c’est que le cannabis et le chanvre ne contiennent pas que du THC. Mais ce que l’on découvre aujourd’hui, c’est que parmi les centaines de variétés qui existent, plus de 80 cannabinoïdes sont présents à différentes concentrations, et que ceux-ci ont de nombreuses propriétés thérapeutiques. Il existe déjà des médicaments aux cannabinoïdes comme le Marinol, le Bedrocan ou le Sativex (premier médicament à base de cannabis autorisé à la vente en France). Le CBD est le cannabinoïde le plus présent dans la plante de cannabis après le THC, et particulièrement dans le chanvre. Cette molécule possède de nombreux usages thérapeutiques, à commencer par son caractère anxiolytique et anti-douleur.
Antonin Cohen et ses associés Sébastien Béguerie et Valentin Squirelo se sont récemment installé à la Paillasse, dans le XVIII arrondissement de Paris. Ils comptent lancer une vapoteuse au CBD en France à partir de mi-décembre – et ce, en toute légalité. On a posé quelques questions à Antonin Cohen, l’un des instigateurs du projet.
Antonin Cohen. Toutes les photos sont de l’auteur
VICE : Pour commencer, tu peux m’expliquer ce qu’est le CBD ?
Antonin Cohen : Le CBD est l’un des 80 cannabinoïdes présents dans la plante de cannabis, dont le plus connu d’entre eux est le THC. La différence avec le CBD, c’est que le THC a un effet psychotique et euphorisant, qui peut amener à de la paranoïa pour les personnes sensibles. À l’inverse, le CBD n’a pas d’effet euphorisant et il est anti-psychotique. Pour un usage récréatif, les gens recherchent plutôt des variétés chargées en THC.
Navré de te poser cette question, mais à quoi sert le cannabis s’il n’est pas euphorisant ?
Le CBD possède un champ d’application thérapeutique très large. On a une molécule qui n’a quasiment aucun effet secondaire, et qui se trouve à taux élevé dans le chanvre. Il y a une grosse différence entre le chanvre et ce qu’on appelle « la marijuana » – ces deux plantes sont des variétés de cannabis. On parle de la marijuana comme de la plante à usage récréatif qui contient beaucoup de THC et très peu de CBD.
Le chanvre, qui est par ailleurs cultivé en France de manière légale pour ses fibres ou ses graines, l’est maintenant également pour le CBD. Dans le chanvre, il y a moins de 0,2 % de THC, donc on ne peut pas en avoir un usage récréatif. En revanche, on y trouve 4 à 5 % de CBD. C’est pourquoi c’est une variété vraiment intéressante : elle permet d’être cultivée de manière légale.
Qu’est ce qui vous a amenés à vous lancer dans ce projet de vapoteuse au CBD ?
Il y a presque six ans, j’ai fondé une association pour la promotion du cannabis médical : « L’Union Francophone pour les Cannabinoïdes en Médecine ». On s’est rendu compte qu’il n’y avait aucune information en français sur l’usage du cannabis médical, alors qu’on trouvait beaucoup d’études scientifiques et d’essais cliniques qui démontraient l’intérêt thérapeutique du cannabis, mais en anglais. On a donc créé cette association avec mon associé Sébastien pour informer les médecins, les journalistes, les patients et les politiques sur l’usage du cannabis thérapeutique en France.
Ce n’est pas un peu tabou de parler de cannabis en France, même à usage thérapeutique ?
En France, nous pensons que le débat est vraiment pollué par l’usage récréatif du cannabis, aussi intéressant soit-il. Mais nous ce qui nous motive vraiment, c’est de voir comment on peut aider des gens qui souffrent, qui ont des maladies graves, grâce à ces molécules de cannabinoïdes. Au fil des années, on a développé un réseau de patients et de docteurs, pour générer des échanges et informer.
On s’est rendu compte que de nombreux patients français avaient des maladies graves comme le cancer ou la sclérose en plaques. L’un d’eux nous a dit : « La plante de cannabis m’aide à lutter contre ma maladie, cependant la législation fait que je dois me mettre dans des situations d’illégalité. Je ne peux donc pas me fournir en cannabis de manière légale, je ne peux pas trouver de cannabis de qualité qui serait bien dosé en CBD. »
Avez-vous déjà été « embêtés » par la police ou la justice ?
Au niveau de notre association, on s’est focalisé sur l’esprit médical et nous ne sommes pas du tout dans la promotion de l’usage récréatif du cannabis. Nous n’entrons donc pas dans le cadre de la loi et nous n’avons aucun problème avec la justice. Là, ça fait la troisième année qu’on organise l’une des plus grandes conférence sur le cannabis médical à la faculté de médecine de l’Université de Strasbourg, donc on a vraiment tissé un réseau de médecins, d’experts du monde entier qui sont des leaders mondiaux de la recherche sur l’usage des cannabinoïdes en médecine, ce qui nous donne une certaine légitimité. C’est une vraie démarche scientifique et médicale.
La Kanavape
Comment êtes-vous passés de l’association à la création de votre entreprise franco-tchèque ?
On a voulu trouver des solutions pour aider ces gens, comme il y en a aux États-Unis. C’est bien beau de faire de l’information, mais ces gens-là ont réellement besoin de ces molécules. Ça nous a motivé et donné l’énergie d’orienter notre carrière dans cette industrie, qui comporte de nombreux défis.
J’avais une carrière dans l’univers des start-up américaines, dans des sphères suffisamment haut placées pour avoir un salaire confortable. Je poursuivais mon activité à l’association de manière bénévole. Mais à un moment, je me suis dit qu’il était temps de prendre le risque de quitter mon job, afin de mettre mon énergie et mes compétences au service de ces gens. J’ai démissionné, et je me suis lancé dans l’industrie du cannabis médical.
Comment est gérée l’entreprise ?
Mon associé Sébastien est ingénieur agronome, qui s’est tout de suite spécialisé dans le cannabis médical. Il a travaillé dans les plus grosses entreprises du domaine en Europe, notamemnt aux Pays-Bas. Certains des médicaments aux cannabinoïdes vendus par ses entreprises sont vendus sur ordonnances dans de nombreux pays, y compris en Europe. C’est un très bon ami à moi, et au bout d’un moment il m’a demandé de communiquer sur le cannabis médical et thérapeutique.
On a commencé par l’association, puis on a lancé une première société il y a 3 ans, Alpha Cat. On vend un test des produits à base de cannabis ou de cannabinoïde, une sorte de « test kit mobile » chimique qui permet de déterminer les doses de cannabinoïdes dans le produit. On peut y détecter jusqu’à huit cannabinoïdes.
Comment explique-tu la méfiance française envers le cannabis ?
Depuis le 20 ème siècle, les lobbys font pression pour interdire ou pour maintenir cette interdiction sur la plante de cannabis. Le lobby pharmaceutique n’investit pas dans la recherche médicale sur le cannabis. Certains refusent d’y être associés pour des raisons politiques et d’image – ils ne veulent pas être apparentés à une molécule qui peut aussi être récréative. On a diabolisé le cannabis au fil des années, on en paie le prix aujourd’hui. Alors que ces laboratoires utilisent eux-mêmes des molécules qui sont largement utilisées de manière récréative. Il faut aussi savoir que la Police a de gros moyens pour combattre le cannabis. Donc s’il devient légal, le budget va baisser, et ça fait des vagues.
Revenons au vaporisateur, le « vecteur » qui vous permet de transporter le CBD. C’est une sorte de cigarette électronique ? Et ça permet de transporter d’autres molécules que le CBD ?
On est parti du constat que les gens avaient un comportement à risque en consommant du cannabis la plupart du temps mélangé à du tabac et via une combustion classique. On s’est intéressés à la cigarette électronique pour offrir le même moyen aux consommateurs de cannabis, afin de réduire les situations à risque.
On a aussi réfléchi au meilleur moyen de délivrer des cannabinoïdes pour les patients. La vaporisation offre différents bénéfices : pas de combustion et pas de matières nocives, on reste sur un format habituel « du geste du fumeur », et bien évidement pas de point d’injection. Et on fournit des cartouches d’huile qui sont contrôlées durant toute la chaîne de production pour leur qualité, puis nous avons bossé avec un partenaire pour que le vaporisateur soit compatible avec notre huile.
Comment produisez-vous votre CBD à partir du chanvre ?
Le chanvre est produit légalement en France près de Marseille, en République Tchèque et en Espagne. On travaille avec différents fermiers. Une fois le chanvre récolté, il y a différentes phases d’extractions pour pouvoir sortir les molécules. On utilise l’extraction la plus qualitative à froid, le « CO2 hyper-critique », solvant naturel qui ne contient pas de métaux lourds. On effectue cette procédure en laboratoire par des membres de notre équipe qui ont plus de dix ans d’expérience. C’est une méthode utilisée en cosmétique ou dans l’industrie pharmaceutique. Ça nous donne une huile de chanvre qui contient les principes actifs, et notamment du CBD, que l’on met ensuite en format de cartouche à vaporisation. C’est le format le plus pratique parce qu’on reste dans les habitudes de consommation et de commercialisation du produit.
Comment faites-vous pour séparer le THC du CBD ?
Ça fait deux ans qu’on travaille sur la recherche et le développement sur les procédés d’exctrations au CO2, pour pouvoir justement avoir un extrait de chanvre qui ne contient pas de THC, mais qui contient du CBD et d’autres cannabinoïdes. On travaille aussi à la conservation des terpènes, c’est ce qui va donner le goût naturel du produit.
Quand allez-vous lancer ce produit en France, et par quel moyen ?
On est en phase de finalisation, on a testé le produit et vérifié l’aspect légal. On prévoit un lancement et une commercialisation pour mi-décembre. Le produit sera disponible dans de nombreux pays dans le monde, y compris la France. Mais nous ne sommes pas là pour créer une nouvelle addiction. On commercialise ce produit en France pour les malades, on utilise une molécule inoffensive et on ne peut pas être accusé de commercialiser un produit à usage récréatif. Vous ne pourrez pas vous « défoncer » avec ça. On est accompagné juridiquement par un cabinet qui nous conseille sur la meilleur manière de commercialiser nos produits, mais on est dans un situation où il n’y a pas vraiment de cadre juridique.
Un peu comme la cigarette électronique, mais ça va arriver. On cherche la qualité maximale et on est très vigilants sur l’innocuité de notre produit, c’est pour ça qu’on contrôle toute la chaine de production. On n’utilise pas de produits chimiques, c’est une agriculture naturelle. Nous n’avons pas l’appellation « agriculture biologique », simplement parce que nous n’avons pas payé les certifications de l’agrément. Mais c’est similaire aux certifications de l’agriculture biologique.
Quelle est la suite pour votre société ?
Notre société est spécialisé sur le développement de produits innovants et scientifiques dans l’industrie du chanvre. On travaille donc sur de nouveaux produits, des nouveaux types de cartouches avec des profils de cannabinoïdes différents. Notre ambition, c’est de pouvoir sortir de nouvelles versions. On espère générer un succès économique avec ce lancement, qui nous permettra ensuite de commercialiser des cartouches qui soient différentes en terme de profils, ainsi que d’autres produits.
As-tu quelque chose à ajouter ?
J’aimerais bien adresser un message à tous ces gens qui ont une consommation illégale. C’est une injustice, je pense qu’on est tous d’accord. Nous on prend le risque d’engager notre carrière professionnelle, toute notre énergie et notre argent ; et ce qu’on espère, c’est que les gens qui sont sensibles à cette question vont nous soutenir dans cette démarche. J’aimerais bien qu’il y ait des consommateurs grands publics qui aient le courage de nous soutenir, que ce soit au niveau de notre association ou de notre projet professionnel. Pour nous aider à régler cette injustice qui n’a que trop duré. Fédérons une communauté d’utilisateurs pour faire avancer le débat avec une approche qui soit dépassionné des débats actuels portés sur la légalisation et l’usage récréatifs, et résolvons cette injustice thérapeutique qui n’a que trop duré.
Merci Antonin.
Source : Vice.com