Les élus se mobilisent, les professionnels de la santé aussi, et même les économistes. Tout le monde s’y met quand il s’agit d’aborder la question de la légalisation du cannabis en France. Un député, entouré de 14 autres, s’apprête à déposer une proposition de loi pour une légalisation contrôlée. L’Autorité du médicament, elle, se penche sur une expérimentation du cannabis thérapeutique d’ici 2020. A La Réunion, alors que les saisies de zamal s’enchaînent et augmentent, que provoquerait une légalisation – partielle ou totale – de cette drogue douce ? Certains imaginent déjà le zamal remplacer la canne dans les champs de l’île… Concrètement, c’est plus compliqué que ça, mais il y a bien un marché, qu’il concerne la dimension strictement économique ou bien la santé.
C’est une proposition de loi qui vient du député François-Michel Lambert : il devrait déposer ce jeudi 27 juin 2019 un projet portant sur la légalisation contrôlée du cannabis. Et il n’est pas tout seul puisque 14 autres députés l’ont rejoint, dont 5 de la majorité présidentielle… Le texte demande la mise en place d’une société d’exploitation du cannabis qui serait donc appelée SECA, et ce sont les agriculteurs et les débitants de tabac qui en détiendraient le monopole.
Ça n’est pas tout puisque dernièrement, des économistes proches du gouvernement ont conseillé eux aussi à Matignon la légalisation totale du cannabis, observant alors que la prohibition ne fonctionne pas. Afin de lutter contre le trafic, ils proposent d’ailleurs de fixer un prix à hauteur de 9 euros le gramme d’herbe, contre environ 11 euros actuellement dans la rue.
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Parallèlement, l’Agence nationale de sécurité du médicament, même si elle attend encore le feu vert du ministère de la Santé, propose une feuille de route pour lancer une première phase expérimentale de cannabis thérapeutique, qui devrait durer 2 ans. Autant d’acteurs qui se mobilisent aujourd’hui pour une légalisation, même partielle et médicale, du zamal…
Certains se lancent même dans des pétitions. L’une d’elles, mise en ligne par le Réunionnais et avocat Dominique Rivière, met en lumière une étude sortie l’année dernière et annonçant que 82% des Français seraient favorables à un usage médical encadré du cannabis. Il ne manque donc que le top départ du ministère de la Santé…
« Il faut rester prudent »
Selon l’addictologue David Mété, la France est « très en retard » concernant la légalisation, ou du moins la dépénalisation du cannabis. Ce zamal thérapeutique pourrait être une aubaine pour certains malades. « Il faut rester très prudent bien sûr », prévient le docteur. « Le projet de l’Autorité du médicament témoigne d’une ouverture d’esprit de la part des grands acteurs de la santé. Mais la manipulation du zamal reste complexe et devra être très encadrée. »
Le projet en question restera une simple « phase de test », à savoir la mise en place puis le suivi des patients, et à la fin 6 mois seront dédiés à l’analyse des données récoltées. Entre 1.500 et 3.000 patients pourraient être concernés. Tous les territoires français le sont, reste à voir si La Réunion participera effectivement au projet.
Le zamal atténue la douleur
« Techniquement, on ne va pas remplacer la morphine par le zamal », explique le docteur David Mété. Il peut cependant agir sur la douleur, notamment dans le cas du cancer, ou aider à se détendre pour des maladies comme la sclérose en plaques. « On chauffe l’herbe à 178 degrés, puis on en extrait les principaux actifs de cette manière. » Les patients ne se verront donc pas administrer des joints en plein hôpital… le zamal thérapeutique sera vaporisé. Bien entendu, avec des doses contrôlées à la loupe…
Le zamal thérapeutique pourrait-il fonctionner à La Réunion ? « Nous avons déjà plus ou moins l’habitude du zamal sur l’île, et ici beaucoup de personnes l’utilisent ou l’ont utilisé comme médecine traditionnelle. » Si la drogue douce débarque dans nos pharmacies, il y a donc fort à parier qu’elle pourrait faire plus d’un heureux.
Rappelons que dans les campagnes, les Réunionnais se souviennent des tisanes de zamal, efficaces pour combattre les effets de l’épidémie du chikungunya en 2005-2006, qui a touché jusqu’à 40% de la population. Par ailleurs les molécules du zamal peuvent être intéressantes en psychiatrie, en neurologie ou pour traiter des épilepsies.
Vers une légalisation totale ?
Selon le docteur David Mété, « un pays qui envisage le cannabis thérapeutique fait un premier pas vers la légalisation contrôlée ». Une première pierre posée donc, sur le long chemin pavé qu’il faudra suivre avant de consommer du zamal en toute légalité sur territoire français. « Toujours est-il que la restriction ne fonctionne pas. » Ici l’addictologue fournit les mêmes observations que les économistes conseillant le gouvernement…
Pour lui, la France tarde trop à rentrer dans le vif du sujet. « Aucun gouvernement n’a vraiment osé lancer le débat jusqu’ici. Pourtant, légaliser, ou du moins dépénaliser ne veut pas dire cautionner. C’est aussi et surtout une manière de lutter contre les trafics de rue. »
Le zamal (pourquoi pas) créateur d’emplois
Les saisies de zamal ne font qu’augmenter sur l’île. Ne serait-ce que le 31 mai, 6 hommes ont été interpellés : ils transportaient142 kg de zamal. Arrêtés par la gendarmerie à l’Anse des Cascades à Sainte-Rose, ils s’apprêtaient à rejoindre Maurice.
En mars dernier, la police nationale de La Réunion a démantelé un réseau de trafic de stupéfiants dans l’Est de l’île. 200 plants de zamal pour un poids total de 205 kilogrammes de cannabis… au total la valeur marchande a été estimée à 200.000 euros.
Et les exemples sont nombreux. Pourtant à chaque fois le zamal est mis à mal : jeté en mer quand il est intercepté par la Marine nationale, ou brûlé quand c’est sur la terre ferme. La drogue douce finit par être détruite… On le voit, le zamal circule aussi bien à La Réunion que vers La Réunion. Alors des cultures seraient-elles envisageables ici ? « Il existe déjà un marché international », rappelle David Mété. « C’est le plus gros marché à venir au niveau mondial, il y a déjà des tonnes de multinationales qui planchent dessus ! » Est-ce que les emplois suivraient ? C’est fort probable.
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A La Réunion, le climat est favorable et la canne est en panne… « C’est utopique d’envisager une culture du zamal qui remplacerait celle de la canne à sucre », estime l’addictologue. « Mais cela pourrait bien fonctionner sur l’île, et les retombées économiques pourraient être importantes. » Le zamal, successeur de la canne à sucre ? Peut-être, peut-être pas… mais la question mérite d’être posée.
Source : ipreunion.com