Six prévenus étaient jugés, vendredi 15 janvier, par le tribunal correctionnel de Bordeaux pour vols aggravés. En septembre 2020, ils s’étaient trompés en pensant voler 1 800 pieds de cannabis.
Par Florence Moreau(Bordeaux, correspondance)
Publié hier
Ils s’imaginaient fins connaisseurs mais se sont trompés. Six prévenus d’une vingtaine et d’une trentaine d’années comparaissaient, vendredi 15 janvier, devant le tribunal correctionnel de Bordeaux pour avoir volé 300 pieds de cannabis dans la nuit du 20 au 21 septembre 2020 à Aillas, un petit village du Sud-Gironde. Mais il s’agissait de cannabis d’une variété particulière : du chanvre légal à usage commercial, avec un très faible taux de tétrahydrocannabinol, THC aux effets psychotropes, mais avec une teneur élevée en cannabidiol, CBD, aux vertus relaxantes.
Le filon leur a semblé bon. Les voleurs ont retenté leur chance deux nuits plus tard. Tombant nez à nez avec les propriétaires en pleine ronde suite au premier vol, ils ont filé en tirant des coups de feu en l’air de balles en caoutchouc. Puis ils sont revenus dès le lendemain, plus nombreux et avec davantage de véhicules, pour dérober 1 500 pieds. Au passage, ils ont incendié un véhicule équipé d’une caméra fictive en bord de champ.
« On pensait que c’était du vrai cannabis, illégal », ont assuré les prévenus d’une même voix. « Dans le noir… », explique l’un. « Ça sentait la beuh », fait valoir un autre. « On avait les mains noires », dit encore un autre.
Ils ne se souviennent plus qui a eu l’idée de cette expédition. « On a vu le champ sur les réseaux sociaux », admet l’un. « On s’est motivé pour y aller. » « C’était pour notre conso perso », promet un jeune. L’un commence une phrase, l’autre la termine. « On n’avait pas l’intention de se servir à ce point. » « Mais quand on a vu tout ça… »
Penauds, ils s’excusent, conscients qu’ils ne seraient sans doute pas à la barre si la production avait été illégale. Les plaintes en la matière sont en effet rares. « Quand j’ai vu tout ce qu’il y avait. J’étais comme un gosse dans un rayon de jouets », décrit un prévenu. « On ne pensait vraiment pas faire de mal à une société avec un truc légal », soupire le plus âgé.
« Dommage financier énorme »
Il y a trois entreprises de ce type en France. « La SARL “La Ferme médicale” produit des pieds de chanvre au taux de THC inférieur à 0,2 %, contre plus de 30 % dans le cannabis récréatif, et externalise l’extraction et la transformation en Allemagne », décrit Me Julien Plouton, l’avocat de l’entreprise. Car, pour l’heure, la loi française restreint le commerce du CBD aux seules fibres et graines de la plante de chanvre, excluant la fleur. « Mais cela a vocation à changer car la Cour de justice de l’Union européenne a sanctionné la France sur ce point », rappelle-t-il.
Sa collaboratrice Me Mathilde Manson fait valoir le « potentiel écologique et économique avec ses débouchés sur les marchés de la cosmétique et du bien-être de ce projet bio appuyé par la Nouvelle-Aquitaine ». Les pieds de chanvre volés à une semaine de la récolte ont en partie été restitués, mais étaient inutilisables. Près de la moitié de la production a été perdue.
Lire le reportage : Les cultivateurs de chanvre CBD espèrent sortir de l’ombre
Le vice-procureur, Olivier Bonithon, ne croit pas à la version de la consommation personnelle. « Non contents d’avoir piqué 300 pieds, ils ont remis le couvert en causant un dommage financier énorme. Ils ont agi comme des pieds nickelés. Ils voulaient forcément en tirer un bénéfice : 1 800 pieds, ça fait beaucoup pour une consommation personnelle. C’est presque une bande organisée », gronde le magistrat en requérant entre trois et six mois de sursis probatoire.
Pour la défense, Me Laury Costes estime le préjudice surévalué. « C’était leur première année de production. On n’a pas de recul et on nous chiffre un préjudice résultant de la perte de marchandise qui a été restituée. »
Me Gabriel Lassort défend deux frères, unis comme des jumeaux dans l’adversité, vivant sous une tente ou dans une voiture. « Ils ont découvert un champ de cannabis massif. Il y a eu un effet boule de neige. A leur âge, on en veut toujours plus. »
Le tribunal a prononcé des peines allant jusqu’à six mois de sursis probatoire. Les voleurs en herbe devront se partager une facture de 130 000 euros pour rembourser les victimes.
Florence Moreau (Bordeaux, correspondance)
Source : Lemonde.fr