Pointés du doigt, notamment par des magistrats, lors de précédentes auditions sur leur pratique professionnelle dans les dossiers de trafic de drogue, les avocats ont répondu avec vigueur devant les sénateurs, jeudi 14 mars, par la voix de leurs représentants.
La table de la salle A216 du Sénat avait, ce jeudi 14 mars, un air de tribune ; ou plutôt de banc de la défense, quand ont pris la parole les représentants du Conseil national des barreaux (CNB), de la Conférence des bâtonniers et des barreaux de Marseille et Paris, auditionnés par la commission d’enquête « narcotrafic ». Là où enquêteurs, élus, magistrats et experts se sont succédé, depuis décembre 2023, pour partager leur analyse sur les menaces du narcotrafic, c’est une voix dissonante qui a été portée devant les sénateurs.
Les représentants des avocats avaient pour mission de défendre leur profession – et particulièrement le rôle et les pratiques de leurs confrères plaidant dans des dossiers de trafics de drogue. Sur l’heure et demie prévue pour cet échange, près d’une heure a été consacrée à des propos liminaires empreints d’une froide colère. Les six auditionnés n’en font pas mystère : leur message est avant tout une réaction aux déclarations délivrées devant cette même commission quelques jours plus tôt. Un « match retour », comme le regrettera le président de la commission, Jérôme Durain, sénateur socialiste de Saône-et-Loire.
L’aller s’était tenu le 5 mars, à l’occasion de l’audition des chefs de juridiction du tribunal judiciaire de Marseille. Il avait été vécu comme un affront par les avocats pénalistes, dépeints en bloqueurs de procédures, voire assimilés à leurs clients, desquels ils accepteraient sans vergogne le « cash » issu des trafics.
Les déclarations d’Isabelle Couderc, vice-présidente chargée de l’instruction à la juridiction interrégionale spécialisée dans la lutte contre la criminalité et la délinquance organisée à Marseille, avaient entraîné incompréhension et courroux. Notamment lorsqu’elle avait dénoncé « la remise en cause permanente et dilatoire des actes accomplis par une certaine défense qui n’est pas constructive », soulignant que « les délinquants paient très cher une défense qui ne va pas se battre sur le fond du dossier – souvent accablant – mais sur la procédure, en multipliant des remises en cause systématiques de certains actes d’enquêtes, ou bien [qui] utilise carrément des stratagèmes pour au final obtenir des remises en liberté des délinquants ».
Depuis, des coursives des tribunaux jusqu’aux réseaux sociaux, bruisse une sourde révolte. Au lendemain même de l’audition polémique, deux pénalistes avaient pris place à cette même table du Sénat. Steeve Ruben et Philippe-Henry Honegger apportaient un premier contrepoint. Sans nier l’importance de la lutte contre le narcotrafic et ses conséquences, ils soulignaient déjà le rôle fondamental des avocats dans la protection « contre les abus de pouvoir ».
« Désespérante confusion »
Le 8 mars, l’Association des avocats pénalistes publiait un communiqué rude, fustigeant, en réponse à l’audition de Mme Couderc, des propos « absolument révoltants », qui « révèlent l’incapacité de certains magistrats à admettre l’existence même d’une défense et la remise en question d’une logique répressive à qui tout serait permis ». Face aux reproches formulés sur les annulations de procédure faisant suite à des requêtes en nullité, le texte conteste qu’il puisse s’agir de recours dilatoires, et déplore la « désespérante (et constante) confusion entre l’avocat et son client ».
Ce jeudi, les représentants des avocats ont prolongé cette réaction. Les intervenants sont revenus point par point sur les griefs faits à la profession lors de l’audition marseillaise – traduisant aussi des tensions récurrentes entre magistrats et avocats dans les dossiers de « stups ».
D’un ton ferme, Me Laurent Caruso, membre du CNB, a insisté sur le fait qu’au fil des auditions précédentes, « un certain nombre de propositions vont dans le sens de la limitation des droits de la défense ». En cause, selon le panel de bâtonniers, les velléités de limiter les nullités de procédure, la volonté de développer les « procédures coffres » (permettant de garder secrets certains éléments de procédure), et les nouvelles multiplications de régimes dérogatoires.
« Dans notre logique, il est plus pertinent d’augmenter les moyens financiers et humains des enquêteurs », estime Me Mathieu Jacquier, bâtonnier du barreau de Marseille. « Changer la loi n’est pas forcément nécessaire », abonde Me Vanessa Bousardo, vice-bâtonnière du barreau de Paris, misant elle aussi sur des moyens supplémentaires « rendant plus efficace et efficient ce qui existe déjà ». Du travail des enquêteurs, il en sera question lors des prochaines auditions « bilan », où sont attendus des responsables des services de police et de gendarmerie.
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