Publié le 22 Août 2020 | Par Teresa Wright
(Ottawa) L’administratrice en chef de la santé publique du Canada, Dre Theresa Tam, croit que les Canadiens devraient être « saisis » par la crise des opioïdes au pays, et elle laisse entendre que la décriminalisation des drogues dures devrait faire partie des réflexions pour trouver des solutions.
La Dre Theresa Tam souligne que plusieurs provinces — dont la Colombie-Britannique, l’Ontario et l’Alberta — ont vu leurs décès liés aux opioïdes exploser depuis le début de la pandémie de COVID-19.
La situation « s’aggrave au moment où on parle », a-t-elle déclaré en conférence de presse, vendredi.
Selon Mme Tam, l’amélioration de l’accès à un approvisionnement plus sûr en médicaments et la construction de lieux de consommation supervisés font partie des étapes critiques nécessaires pour réduire les décès liés aux opioïdes.
Mais elle souligne que toutes les options devraient être envisagées pour remédier au problème, dont celle de « s’orienter vers une discussion sociétale sur la décriminalisation ».
Plusieurs responsables et groupes ont demandé au gouvernement fédéral de décriminaliser les drogues dures pour lutter contre cette crise des opioïdes, dont l’Association canadienne des chefs de police, le premier ministre de la Colombie-Britannique, ainsi que le responsable de la santé publique de cette province, ainsi que ceux des villes de Toronto et de Montréal.
Les provinces ne peuvent pas se sortir de ce problème en effectuant plus d’arrestations, a indiqué Mme Tam, qui a salué une récente directive du Service des poursuites pénales du Canada enjoignant aux procureurs fédéraux de ne se concentrer que sur les infractions les plus graves de possession de drogue qui soulèvent des problèmes de sécurité publique.
Des drogues plus dangereuses
Le directeur de la Coalition canadienne des politiques sur les drogues, Donald MacPherson, souligne que les drogues sont devenues plus dangereuses depuis la fermeture de la frontière canado-américaine. De plus en plus de médicaments sont fabriqués ou modifiés au Canada.
À cause de la pandémie de COVID-19, plusieurs lieux d’injections et des centres de méthadone offrent des services plus limités ou ont fermé leurs portes. Les consommateurs isolés utilisent des drogues plus toxiques, une combinaison mortelle, soutient M. MacPherson.
Le gouvernement fédéral a annoncé cette semaine des mesures visant à modifier les politiques sur les médicaments. Une consultation nationale de 60 jours a été lancée le 15 août au sujet « des sites et services de consommation supervisée au Canada ». Ottawa a aussi annoncé un financement de plus de 582 000 $ sur dix mois « pour un projet d’approvisionnement sécurisé d’urgence pour aider les personnes à risque de surdose pendant la pandémie de COVID-19 à Toronto ».
Par ailleurs, les procureurs fédéraux ont reçu l’instruction de n’intenter des poursuites pénales que pour les infractions de possession les plus graves soulevant des problèmes de sécurité publique. On leur a demandé de trouver des solutions de rechange à l’extérieur du système judiciaire pénal.
La directive a été donnée par la directrice des poursuites pénales, Kathleen Roussel, qui est indépendante du ministère fédéral de la Justice.
Mais M. MacPherson craint que ces mesures soient « trop peu, trop tard ».
« La COVID a aggravé la situation. Nous sommes coincés dans des projets-pilotes, du financement provisoire, ou des étapes progressives vers quelque chose qui aurait dû se produire il y a longtemps », déplore-t-il.
La Coalition qu’il dirige milite depuis longtemps pour la décriminalisation qui permettrait d’arrêter de stigmatiser les toxicomanes.
« La prohibition des drogues ne fonctionne pas. La prohibition de l’alcool n’a pas fonctionné. On ne peut pas continuer à prétendre que cette interdiction fonctionnera si on essaie de la pousser encore plus. C’est une politique fondamentalement déficiente », commente M. MacPherson.
Il réclame un changement rapide de stratégie. « Nous devons simplement y arriver le plus tôt possible, sinon beaucoup plus les gens vont mourir. »
L’approche du gouvernement libéral vis-à-vis des drogues illicites a évolué vers une vision plus comme un problème de santé publique que comme un problème criminel.
Dans leur premier mandat, les libéraux ont légalisé l’usage récréatif du cannabis. Cependant, le premier ministre Justin Trudeau a rejeté les appels à dépénaliser la possession d’autres drogues dures, malgré une résolution adoptée lors du dernier congrès libéral appelant à une telle approche.
La ministre de la Santé, Patty Hajdu, a déclaré qu’il n’y avait pas de solution miracle pour résoudre la crise des opioïdes et qu’une série d’outils était nécessaire pour s’attaquer pleinement au problème.
Elle dit avoir entendu les appels à la décriminalisation, à laquelle le gouvernement réfléchit.