Par Delphine Tanguy
Ils portent l’uniforme ou l’ont porté et, comme leurs collègues ou anciens collègues, ont pu arrêter des fumeurs de joints, des consommateurs de cocaïne ou d’héroïne. Ultra-minoritaires dans leurs services, ces policiers et gendarmes ont mûri, dans leurs pratiques, la conviction qu’« il est urgent de changer la législation et les politiques publiques en matière de drogues ». Bénédicte Desforges, ancien lieutenant de police elle a démissionné en 2012- les a réunis au sein de « l’iconoclaste » collectif « Police contre la prohibition » (PCP), aujourd’hui signataire du nouvel « Appel de Marseille ». Elle explique aujourd’hui ce qui les rassemble.
Comment est né ce collectif ?
Bénédicte Desforges : La législation sur les stupéfiants m’a toujours intéressée parce qu’elle croise beaucoup de champs ; le droit pénal, les libertés publiques et individuelles, la répression telle qu’on la conçoit en France ou à l’étranger… Lorsque j’étais policière, je n’ai jamais pensé qu’un fumeur de pétard ou un héroïnomane avait quelque chose à faire à la barre d’un tribunal ! Bref, j’ai écrit deux livres (Flic, chroniques de la police ordinaire) et animé un blog où j’avais publié un plaidoyer pour la dépénalisation. Il a eu de l’écho : des gendarmes, des policiers m’ont écrit, ils étaient eux aussi arrivés à ma conclusion. Je les ai invités à me rejoindre.
Mais dans vos rangs, cette prise de position n’a pas dû passer aisément…
Bénédicte Desforges : C’est le moins que l’on puisse dire, ça n’a pas été une réussite (rires). On nous a traités de sales gauchos, de toxicos, de traîtres… Mais le truc qu’on nous oppose le plus souvent, c’est la loi, qu’il faut faire respecter et même la morale. Sur ce sujet, il demeure vraiment un tabou que je m’explique mal : l’alcool fait plus de dégâts et reste légal, non ?
Que reprochez-vous à l’approche actuelle des doctrines anti-stups ?
Bénédicte Desforges : Déjà, leur inefficacité criante depuis 50 ans ! La moitié de notre activité consiste à courir après des consommateurs de drogue et les statistiques le disent : on a beau interpeller toujours plus de gens, le nombre d’usagers progresse toujours (1). Le Portugal, qui a dépénalisé les drogues, et développé la prévention, a aujourd’hui le plus petit nombre de consommateurs de l’Union européenne, les addictions reculent. Et les flics ont le temps de faire leur vrai boulot : lutter réellement contre le trafic. Légaliser, dépénaliser, ce n’est pas dire « Eh c’est open bar sur la drogue ! » C’est au contraire encadrer et protéger.
Vous fustigez les amendes forfaitaires contre les consommateurs de cannabis.
Bénédicte Desforges : Avec un collectif d’associations, nous avons saisi le Conseil constitutionnel contre cette mesure qui donne la possibilité à la police d’interpeller, de poursuivre et de juger ! D’autant que cette répression va frapper davantage les gamins des cités que les enfants de bonne famille devant les lycées bourgeois.
On voit se développer à grande vitesse des modes de revente sur Internet. La police est-elle dépassée sur ce terrain ?
Bénédicte Desforges : C’est un combat perdu, comme l’est celui de l’anti-dopage : le dopage a toujours un train d’avance. Les gens auront toujours envie de prendre des substances, et c’est à ça qu’il faut réfléchir sérieusement.
(1) La France est le pays le plus répressif d’Europe en matière d’usage de stupéfiants, mais aussi un de ceux où l’on trouve le plus de consommateurs, notamment chez les plus jeunes.
Plus de 500 personnalités relancent « L’Appel de Marseille » pour la légalisation
Médecins, élus, associatifs : en janvier 2017, ils lançaient « L’Appel de Marseille » pour la légalisation du cannabis. Ils l’ont relancé cette semaine, par une tribune publiée dans Le Monde, « afin de porter haut la colère et consternation des professionnels et des acteurs de la société civile, écrivent-ils. « La répression n’a jamais fonctionné. L’interdit n’a aucun effet bénéfique, ni sur les consommations qui augmentent et sont de plus en plus précoces, ni sur le trafic, qui connaît un accroissement exponentiel en France et implique de plus en plus de mineurs. À Marseille la situation est encore plus criante qu’ailleurs : 28 % des jeunes détenus sont incarcérés pour des infractions à la législation sur les stupéfiants, deux fois plus que la moyenne nationale » alors que cette ville « est pourtant pilote depuis 2015 du plan « anti-stups » du gouvernement, qui s’étendra à toute la France dans les prochains mois. « Nous nous insurgeons face à l’indécence du coût économique et social de la répression (…) et réclamons la dépénalisation de l’usage de stupéfiants, la régulation légale du cannabis, la mise en place d’une politique ambitieuse de prévention, de réduction des risques et d’éducation à l’usage, ainsi qu’une réforme globale des politiques des drogues ». Une tribune signée par des élus écologistes comme Éric Piolle (maire EELV de Grenoble) ou le député de Gardanne, François-Michel Lambert ; l’ancien ministre Bernard Kouchner; des médecins marseillais tels que le Pr Jean Naudin ou le Pr Christophe Lançon , des artistes comme le cinéaste Romain Campillo (120 Battements), des militants comme Aurélien Beaucamp, le président d’Aides… Plus de 500 personnalités avaient signé hier ce nouvel « Appel de Marseille ».
Source : La Provence