Publié le 22 Août 2020 | Par Aurélien Véron
Malgré une politique répressive, la France ne parvient pas à endiguer le trafic de drogue. Ou quand la prohibition ne donne jamais de résultats satisfaisants.
Tous les exemples montrent qu’instaurer une prohibition sur un produit ne permet pas d’enrayer la consommation et le trafic du produit en question. Après les États-Unis des années 1920, c’est à la France d’être pointée du doigt pour son incapacité à enrayer les trafics malgré une politique très répressive.
PLUSIEURS PAYS APPELLENT À LÉGALISER LES DROGUES
Trois anciens présidents de pays aussi sérieux que la Suisse, le Brésil et la Pologne ont appelé à légaliser les drogues dans une tribune parue le 26 août 2017 dans Le Monde. Aux côtés de Ruth Dreifuss, Fernando Cardoso et Aleksander Kwaniewski se trouvait aussi Michel Kazatchine, l’ancien directeur du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.
D’autres figures éminentes ont affiché publiquement cette position par le passé : Cesar Gaviria (Colombie), Ricardo Lagos (Chili), Ernesto Zedillo (Mexique), l’ancien Secrétaire d’État des États-Unis George Shultz et l’ancien président de la Fed, Paul Volcker.
LA FRANCE : UNE POLITIQUE RÉPRESSIVE EN ÉCHEC
Cette fois, les auteurs s’appuient sur l’exemple de notre pays. Ils observent notre échec à enrayer la banalisation de la consommation de drogue alors que nous figurons parmi les pays plus répressifs du monde occidental. À ce fléau s’ajoute la montée des violences inhérentes à ce marché clandestin. Les victimes directes et collatérales de ce trafic sont de plus en plus nombreuses.
La faillite de cette politique répressive doit nous amener à changer d’approche pour une alternative assurant notre sécurité et respectant nos libertés fondamentales.
LE MARCHÉ DE LA DROGUE EST AVANT TOUT UN MARCHÉ
Le marché de la drogue obéit aux mêmes principes rationnels que n’importe quel autre secteur. Son caractère illicite déstabilise le jeu de l’offre et de la demande. La pénurie de l’offre due à la répression tire les prix vers le haut… et la qualité vers le bas.
Les prix remontent d’autant plus qu’ils viennent rémunérer un risque supérieur à celui d’un produit licite. Risque judiciaire, bien entendu, mais surtout risque de ne pas disparaître dans un règlement de comptes. Confrontés à une demande massive, les dealers clandestins estiment leur espérance de gains élevée et tendent à en minimiser les risques.
Les profits de ce marché sont devenus tels que pour nombre de jeunes habitués aux dangers de leur cadre de vie dégradé, l’attrait est trop fort. Les nouveaux entrants usent de tous les moyens pour s’installer et conquérir des parts de marché. Or, ce secteur ne tolère que les monopoles et les cartels.
En l’absence d’institutions assurant une concurrence libre et ouverte et le respect des règles, les contrats sont vite reniés et réglés à la kalachnikov. Le voisinage vit dans la terreur de cette violence organisée qui ne craint pas de faire concurrence à celle des pouvoirs publics.
LA PROHIBITION N’EST JAMAIS UNE BONNE SOLUTION
Les États-Unis ont déjà expérimenté ces effets intrinsèques à toute prohibition de produits populaires. La ratification en 1919 du dix-huitième amendement a interdit l’élaboration, la vente et le transport de boissons alcoolisées sur l’ensemble du territoire américain jusqu’en 1933.
Le taux d’alcoolisme a explosé de 300 % avec la multiplication des bars clandestins – plusieurs dizaines de milliers dans la seule ville de New York – dans les années qui ont suivi. En plus des 10 000 morts dus au programme d’empoisonnement fédéral – encore une idée de technocrate -, le nombre de victimes de la guerre des gangs dans la construction de leurs empires s’est avéré tellement dramatique que l’opinion a exigé la fin de cette guerre contre l’alcool au nom des libertés individuelles, de l’insécurité engendrée par cette politique… et du manque à gagner fiscal. Cet échec monumental n’a pas servi de leçon aux États-Unis.
Leurs dirigeants ont renoué avec cette politique dévastatrice et entraîné cette fois-ci 15 pays d’Amérique latine dans une nouvelle croisade pour la vertu. Cette fois-ci contre la drogue. Trois-quarts des militaires de ces pays se sont mobilisés contre les narcotrafiquants.
Au total, 20 à 25 milliards de dollars ont été dilapidés chaque année pendant des décennies sans autre résultat que des dizaines de milliers de civils blessés, enlevés ou abattus, et un désespoir général.
LA PROHIBITION REMISE EN QUESTION
Devant la faillite de cette stratégie, plusieurs pays ont entamé une sérieuse remise en cause de ce choix prohibitionniste. L’Uruguay a légalisé la consommation de marijuana en 2013 et la vente de cannabis sous contrôle de l’État le 19 juillet 2017.
Une partie de l’Europe avait déjà montré l’exemple : la production de cannabis à usage personnel est tolérée en Espagne et aux Pays-Bas où, par ailleurs, les coffee shops attirent les amateurs de cannabis de toute l’Europe, ce qui n’est pas sans poser de problèmes à ce petit pays très libéral.
Les États-Unis, phare de la prohibition, n’ont pu résister à ce retournement général de l’opinion et de dirigeants politiques dans le monde. En 1996, la Californie est le premier État à autoriser la production et la distribution du « cannabis thérapeutique ». Ils sont aujourd’hui 29. Le Colorado et l’État de Washington sont les premiers à ouvrir le marché du cannabis récréatif en 2012. Aujourd’hui, ils sont huit. À chaque élection, de nouveaux États les rejoignent au terme de référendums favorables à cette légalisation.
Il faut dire que les recettes fiscales du cannabis atteignent déjà plusieurs milliards annuels, ce n’est pas un mince argument dans le contexte actuel de lourds déficits publics. Ce secteur économique florissant est aussi l’un des plus en pointe sur le plan technologique : big data, robotique et objets connectés pour avoir les meilleurs rendements.
LA FRANCE, ELLE, RESTE FIGÉE
En France, l’opinion bouge mais les pouvoirs publics restent figés dans leur approche qui apparaît de plus en plus dépassée par les succès de la légalisation des drogues.
Estimant religieusement que l’Homme doit se soumettre à leur vision hygiéniste, qui est forcément la meilleure, nos dirigeants successifs ont tous suivi la même ligne : la simple consommation de drogue doit mener à la case prison – même si les tribunaux se montrent de plus en plus tolérants avec les simples consommateurs de cannabis – où, c’est bien connu, l’environnement et les fréquentations constituent la meilleure cure de désintoxication. On en ressortait braqueur, cette école du crime forme dorénavant des djihadistes. Belle reconversion forcée au nom du bien. De notre bien. Mais nous savons que l’enfer est pavé de bonnes intentions. C’est bien le drame de l’État-providence qui infantilise les citoyens assimilés à de grands enfants.
Légaliser les drogues n’a pas entraîné la hausse de leur consommation, c’est plutôt le contraire qui s’est généralement produit. En revanche, les effets négatifs de ces produits ne disparaissent pas pour autant. La drogue peut rendre dépendant au même titre que l’alcool, les antidépresseurs, les somnifères, les stimulants et les bêtabloquants auxquels les étudiants ont de plus en plus recours sous la pression des concours. L’usage de cannabis peut être déclencheur – pas la cause mais simple déclencheur – de la schizophrénie. Tous ont des effets nocifs plus ou moins lourds sur la santé.
Les enjeux de santé publique nécessitent par conséquent d’informer les consommateurs des risques qu’ils prennent, mais en les traitant en adultes responsables, sans message faussement paternaliste. Des traitements de désintoxication doivent être accessibles à tous ceux qui veulent sortir de la dépendance. Leur financement peut aisément reposer sur une partie des recettes fiscales découlant de leur commerce légal.
Une fois de plus, les faits nous montrent que le respect des libertés individuelles constitue une politique peu coûteuse, efficace en termes de santé publique et redoutable dans la lutte contre le crime organisé qui prospère sur la prohibition. Les missions de l’État de droit consistent à protéger nos droits, à nous laisser assumer nos choix individuels et à nous informer des risques que nous encourrons dans la mesure du possible.