Marie Jauffret-Roustide, sociologue.
Publié le 1er Septembre 2020 | Par Jean-Loup Delmas
INTERVIEW « 20 Minutes » a interrogé la sociologue Marie Jauffret-Roustide sur la répression de la drogue en France et sur la nouvelle procédure d’amende forfaitaire
- Depuis ce mardi, la consommation de drogue est passible d’une amende, sans passer par la case tribunal.
- Un changement qui s’inscrit dans une tendance globale : la répression de la drogue en France.
- Marie Jauffret-Roustide, sociologue à l’Inserm, explique les origines et les biais de cette tendance.
A partir de ce mardi 1er septembre, les consommateurs de drogue interpellés pourront être verbalisés directement (s’ils sont majeurs, reconnaissent les faits et sont en possession de moins de dix grammes de cocaïne ou cent grammes de cannabis), sans aller au tribunal. Le montant de l’amende pour de tels faits est établi à 200 euros, mais peut varier entre 150 et 450 euros.
Une nouvelle mesure annoncée en grande pompe par Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur, et qui a pour but d’aider la police et la gendarmerie dans la lutte contre la drogue. Pourtant, au-delà des déclarations ministérielles, la mesure est accueillie avec scepticisme. Marie Jauffret-Roustide, sociologue à l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) et travaillant sur les politiques de lutte contre les drogues, nous explique pourquoi.
Pourquoi un tel scepticisme vis-à-vis de cette nouvelle mesure ?
Cette amende forfaitaire rate sa cible car elle s’attaque aux usagers et ne s’attaque pas au nœud du problème, qui est le trafic. La question principale à se poser est celle de la légitimité à réprimer les usagers. Cela n’a aucun sens et doit fondamentalement être remis en cause. Ce sont les dommages liés à l’usage de drogues qui doivent être l’objet d’attention, par une politique volontariste de réduction des risques et de prévention.
Par ailleurs, pour le cannabis qui est le principal concerné par l’amende forfaitaire, les données disponibles mettent en évidence que la majorité des Français l’ont déjà expérimenté sans que cela ne leur pose de problème spécifique, que la plupart des usagers ont des consommations régulées et contrôlées, et qu’une minorité seulement a un usage problématique qui peut la mettre en difficulté voire la faire souffrir (en cas de dépendance) et qui doit être aidée.
La France a fait le choix d’une démarche répressive incarnée par la loi du 31 décembre 1970. Ce que change l’amende forfaitaire, c’est le fin de la possibilité, pour l’usager, d’être déféré devant un juge qui pouvait ordonner une orientation vers le soin, opportunité qui pouvait être utile à une minorité d’usagers. Avec l’amende forfaitaire, il n’y a plus cette passerelle vers le soin. Les usagers seront en contact uniquement avec des policiers qui sanctionneront les usagers par une amende.
Un autre problème posé par cette amende forfaitaire va être l’arbitraire des sanctions. Plusieurs études sociologiques montrent que dans l’espace public, nous ne sommes pas tous égaux face aux contrôles de police. On peut avancer l’hypothèse que ceux qui vont être contrôlés seront toujours les mêmes et les plus vulnérables et, parmi eux, certains ne seront certainement pas en mesure de payer cette amende. La mesure a d’ailleurs été jugée inefficace également par le Syndicat de la magistrature, qui dénonce une volonté politique d’être purement répressif, vouée à l’échec.
Cette volonté politique est-elle purement française ?
Le choix de la France va à l’encontre de la tendance mondiale : la légalisation du cannabis, notamment, avance dans de nombreux pays, par exemple dans plusieurs Etats américains tels que le Canada ou l’Uruguay. Elle ne semble pas s’accompagner d’une augmentation de la consommation chez les jeunes, la population chez laquelle le cannabis peut exposer à des risques plus importants, en particulier cognitifs.
La légalisation du cannabis nécessite d’être attentif toutefois à certains risques, comme le risque routier de conduite sous l’emprise du cannabis ou la concentration très élevée de certains produits, en particulier dans les pays qui ont choisi un modèle de légalisation très libéral. Un autre modèle célèbre est le modèle néerlandais avec des lieux réglementés de consommation, que sont les coffee-shops. Enfin, dernier modèle, celui du Portugal qui a décidé de décriminaliser l’usage de toutes les drogues. Tout l’argent qui va être économisé dans la lutte et la répression contre les usagers va pouvoir être utilisé dans la prévention et la santé. Ce dernier modèle est, selon moi, le plus efficace et le plus respectueux des droits des usagers et des libertés individuelles. Cela permet de reconnaître que les usagers sont des citoyens comme les autres dans notre société.
Pourquoi la France semble-t-elle s’enfermer dans le tout répressif ?
Le sujet est, en France, le plus souvent discuté sous l’angle moral, et il y a une peur permanente des politiques de paraître prosélytes en ne réprimant pas. Il est important de faire passer le message que décriminaliser l’usage ne signifie pas abandonner la prévention et le soin, bien au contraire. Toutefois, on constate une évolution depuis quelques années avec de plus en plus de politiques qui demandent que décriminalisation ou légalisation soient mises sur l’agenda politique avec un vrai débat citoyen, basé sur des arguments rationnels et respectueux des droits des personnes, mettant à distance les préjugés et l’idéologie.
Nous avons fait le constat, au niveau international, que l’approche répressive crée plus de dommages que de bénéfices, elle ne parvient même pas à faire diminuer la consommation chez les jeunes. La France a le plus haut niveau de consommation de cannabis chez les jeunes, ce qui est révélateur de l’échec de l‘approche répressive.