Le développement de la « cannabiculture » est un phénomène pris très au sérieux par les services spécialisés dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.
Alors que Christophe Castaner a annoncé une chute de 30 à 40% du trafic de drogues pendant le confinement, la crise du coronavirus, qui s’est accompagnée de la fermeture de frontières, représente une aubaine pour les cultivateurs de cannabis en France, ont constaté les services de lutte contre le trafic de stupéfiants. Samedi 16 mai, une véritable ferme à cannabis a été démantelée en Île-de-France. Près de 1 700 pieds et 23 kilos de feuilles de cannabis ont notamment été saisis dans des pavillons aménagés pour la production.
Label « bio » et culture industrielle
Les « cannabiculteurs » s’inspirent des circuits courts, de la notion de « terroir ». Ils ont même réussi à donner une sorte de « label bio » à l’herbe de cannabis, selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT). Et pourtant, il s’agit bien d’un trafic, souvent très organisé, notamment dans le nord de la France.
Le commissaire Romuald Muller dirige la police judiciaire de Lille : « La culture de cannabis qu’on imagine souvent, c’est l’individu qui cultive quelques pieds dans sa salle de bain, et qui prête à sourire, estime-t-il. Quand c’est fait à un niveau industriel tel qu’on peut le connaître aujourd’hui, il faut une véritable ingénierie, il faut de la surface. Il faut gérer la température, gérer le taux d’hydrométrie, gérer la ventilation ».
Il faut des qualités techniques qui nous sont arrivées essentiellement d’organisations criminelles venant d’Europe du Nord.à franceinfo
« On a de plus en plus maintenant de délinquants locaux qui s’impliquent dans cette production de cannabis parce qu’ils ont appris au contact d’organisations criminelles », complète le commissaire.
La « cannabiculture industrielle » est importante dans la région des Hauts-de-France en raison de la proximité avec la Belgique et les Pays-bas, où la culture de cannabis « indoor » est très répandue. « Les trafiquants néérlandais exportent leur savoir-faire, explique Romuald Muller, et la région Hauts-de-France s’y prête, avec un certain nombre de friches industrielles et de locaux commerciaux vacants sur la métropole lilloise, qui se prêtent à ce genre de culture ». « Il s’agit de production industrielle, avec des plants qui présentent une toxicité élevée, parce que ce sont des plants génétiquement modifiés et qui présentent un taux de THC bien supérieur à celui qu’on trouve dans l’herbe naturelle », souligne-t-il. Avec 15 plantations découvertes, dont une avec 8 000 pieds à Roubaix en novembre 2019, la PJ de Lille a saisi près de 17 000 pieds sur l’année 2019. Pour ce type de plantation, le matériel peut coûter plusieurs centaines de milliers d’euros.
2 000 plants ont été saisis dans les appartements et les sous-sols d’un immeuble.à franceinfo
À Revin (Ardennes), en avril 2019, les gendarmes de la section de recherche de Reims ont démantelé un réseau très structuré et organisé, en lien avec Europol. Les trafiquants avaient acquis un immeuble et s’en servaient pour cultiver de l’herbe de manière intensive. « Cette organisation criminelle très structurée disposait d’électriciens, de jardiniers qui maîtrisaient le processus de culture hydroponique, et de cueilleuses professionnelles, pour s’occuper de la récolte », détaille le lieutenant-colonel Jean-Paul Douvier, numéro deux de la section de recherche de gendarmerie de Reims.
Culture personnelle et petits profits
La « cannabiculture » se développe aussi à plus petite échelle. Elle est facilitée par la multiplication de « growshops » sur notre territoire, ces magasins spécialisés dans la vente de matériel pour la culture de plantes en intérieur. « Ces petites cultures sont facilement dissimulées à l’intérieur des habitations ou des dépendances, explique Jean-Paul Douvier, et de plus en plus de particuliers ont recours à ces plantations à la fois pour leur consommation personnelle, mais également pour vendre une partie de leur récolte, ce qui leur permet de réinvestir assez rapidement ».
Les effets du confinement visibles dans deux à trois mois
Les deux mois de confinement ont encore accentué cette tendance d’après l’Ofast. L’Office anti-stupéfiants se dit très vigilant sur ce phénomène. Rien d’étonnant pour David Weinberger, chercheur à l’Institut national des hautes études de la sécurité et de la justice (INHESJ) : « Tout phénomène qui va entraîner la fermeture des frontières, comme celui lié à la crise sanitaire, peut augmenter cette production de cannabis en France et en Europe. En revanche, vu qu’il faut quatre mois pour produire du cannabis. Ses effets ne pourront être observés que dans deux ou trois mois. »
Historiquement, le phénomène de la cannabiculture en France a pris de l’ampleur dans les années 2000. à franceinfo.
« À partir du renforcement des contrôles aux frontières et des attaques terroristes, les trafiquants de drogue ont eu de plus en plus de mal à acheminer le cannabis depuis les zones de production extra-européennes, et la production intra-européenne a augmenté », rappelle le spécialiste des drogues.
En France, 147 400 pieds de cannabis ont été arrachés par les gendarmes en 2019. Les saisies de plants de cannabis ont été multipliées par sept en moins de 10 ans. On estime aujourd’hui qu’il y a environ 200 000 « cannabiculteurs ».
Source : francetvinfo.fr