Publié le 9 Septembre 2020 | Par Le Monde
Editorial. Le gouvernement a fait le choix de l’amende forfaitaire pour les consommateurs. Même si la pratique est complexe, il s’agit d’un premier pas vers une approche plus réaliste d’une situation qui nécessite un double traitement sanitaire et policier.
Editorial du « Monde ». Cinq millions de Français déclarent avoir déjà fumé du cannabis, une substance qui compte 700 000 usagers quotidiens, chiffre en augmentation régulière qui fait de l’Hexagone le premier pays de consommation en Europe. A 17 ans, quatre adolescents sur dix ont déjà « tiré sur un joint ». Or cet usage massif est illégal : une loi de 1970 punit l’usage de stupéfiants, dont le cannabis, d’un an de prison et de 3 750 euros d’amende.
Comment sortir de ce spectaculaire paradoxe et de cette anomalie qui veut qu’un texte édictant une sanction ferme se heurte à une réalité implacable et reste le plus souvent lettre morte ? Dans la vraie vie, les condamnations à des peines de prison sont exceptionnelles pour les usagers, les magistrats privilégiant des « mesures alternatives aux poursuites » comme le « rappel à la loi ».
Une loi inapplicable est une source de conflits et de désordres. Aussi le gouvernement fait-il œuvre de pragmatisme en généralisant la pratique de l’amende forfaitaire. Le principe est simple : au lieu d’ouvrir une procédure judiciaire, les policiers qui constatent l’infraction – qui demeure un délit – infligent immédiatement une amende de 200 euros. La pratique se heurte à de sérieuses limites : elle suppose que l’intéressé reconnaisse l’infraction, qu’il fournisse une pièce d’identité, qu’il soit majeur et qu’il règle l’amende.
Langage inconsidéré
Théoriquement applicable à toutes les drogues mais ciblant de fait le cannabis, elle est très loin de constituer la nécessaire politique alliant prévention, soins et répression dont le pays a besoin. Mais il s’agit d’un premier pas vers une approche plus réaliste d’un phénomène qui touche tous les territoires mais renforce l’économie souterraine dans certains quartiers. Tandis que les policiers accueillent plutôt favorablement une mesure qui va leur faire gagner du temps et clarifier l’application de la règle, des magistrats critiquent l’absence d’individualisation de la sanction. Des associations, elles, craignent qu’une réponse uniquement policière n’affaiblisse encore le traitement sanitaire.
Mais, dans un domaine propice aux coups de menton politiques sans suite, le principal écueil est lié au langage inconsidéré utilisé par le ministre de l’intérieur pour « vendre » la réforme. En présentant les amendes forfaitaires comme une « technique qui consiste à tuer le trafic de drogue et toute consommation », Gérald Darmanin en fait une panacée, alors qu’elles ne visent qu’à rendre la sanction effective et à soulager la tâche des policiers. Surtout, en affichant la nouvelle procédure comme un nouveau cran dans la répression, il commet, sans doute à dessein, un contresens, s’agissant d’une mesure induisant en fait une application modérée des peines prévues par la loi.
Alors que le trafic et la consommation de drogue relèvent d’un double traitement sanitaire et policier, le discours politique véhicule une approche exclusivement répressive. Le ministre de l’intérieur ne doit plus être le seul à aborder la question. Par des politiques modulées de légalisation du cannabis, d’autres pays, comme le Canada, le Portugal ou certains Etats américains, obtiennent des résultats plus encourageants que la France. Seule une politique alliant santé publique et sécurité peut permettre des avancées dans un domaine terriblement complexe. L’absence de polémique au moment de la mise en œuvre des « amendes forfaitaires » permet-elle, enfin, un débat apaisé et constructif ? Il faut le souhaiter.