Élue de la majorité, Caroline Janvier dévoile des « pratiques addictives » et considère que « la politique fabrique des comportements déviants ».
Depuis une quinzaine de jours, l’affaire fait les gros titres. Un sénateur, Joël Guerriau, est accusé d’avoir drogué avec de l’ecstasy une députée, Sandrine Josso, au cours d’un apéritif… Mais derrière ce fait divers sordide se cachent d’autres dérapages.
Si bien que se pose la question de la consommation de drogues et d’alcool au sein de la classe politique. « Oui, il y a des soirées où de la drogue circule, comme il y a des dîners ou des fins de sessions parlementaires où il y a une consommation excessive d’alcool », lance Caroline Janvier, députée de la majorité depuis 2017 et membre du bureau de l’Assemblée.
Sans jeter l’opprobre, elle a décidé de briser l’omerta. « Sandrine Josso est remarquable, elle a un grand courage de parler, mais il faut aussi analyser ce phénomène comme un système, sans rien excuser. La politique fabrique des comportements déviants. »
Et de lister les incidents où des députés dérapent, quand les débats s’éternisent. « Ça se fait davantage au cours des séances de nuit, de retour de dîners où il y a eu de l’alcool. Il a été proposé, au bureau de l’Assemblée, que l’on n’en serve plus à la buvette, mais ça en est resté là. Aucune sanction n’est prévue non plus, car il faudrait une preuve tangible, via un contrôle d’alcoolémie, par exemple. Ce qui paraît excessif quand la consommation n’est pas un délit. »
Soit vous avez une excellente hygiène de vie, soit vous prenez quelque chose pour tenir.
Une autre parlementaire révèle, sous couvert d’anonymat, des propositions gênantes qu’on lui a faites, lors de la précédente mandature. « À l’issue de séances dans l’hémicycle, à 3 heures du matin, des collègues sont venus me voir pour me proposer d’aller dans des soirées aux thématiques clairement affichées : “drogues et sexe”. »
« Le gros problème en politique, c’est qu’il n’y a pas de régulation éthique, analyse pour sa part Valérie Petit, ex-députée LREM et enseignante-chercheuse, spécialiste du pouvoir. À l’image d’un conseil de l’ordre des médecins qui dit comment ne pas se comporter. En politique, il n’y a pas de garde-fou. Dans la vraie vie, Sandrine Josso serait prise en charge par des psychologues pour un choc post-traumatique, là, j’imagine qu’elle fait tout, toute seule. »
De son côté, de cocktails en inaugurations, Caroline Janvier s’est elle-même mise à boire parfois plusieurs verres d’alcool par jour, à beaucoup fumer, avant de tout arrêter. « Je fais le lien avec les séances de nuit, qui n’ont aucun sens, avec le rythme de vie, la pression de l’agenda, des médias avec qui on n’a pas le droit à l’erreur. Soit vous avez une excellente hygiène de vie, soit vous prenez quelque chose pour tenir. »
La pression mise sur les députés
Le député LFI Louis Boyard avait été interrogé de manière directe, en juin dernier sur RMC, après une sortie très remarquée dans l’hémicycle. « Vous n’aviez pas bu ? Vous n’aviez pas fumé ? » lui avait demandé la journaliste Apolline de Malherbe. « C’est une drôle de question. Vous avez rarement vu des gens en colère ! » avait rétorqué le jeune élu.
Selon Caroline Janvier, s’il n’y a « pas plus de vices à l’Assemblée qu’ailleurs », personne n’est épargné. « Les pratiques addictives existent aussi chez les ministres, précise-t-elle. Mais que la personne qui leur jette la première pierre se mette à leur place une semaine. Ils ont un niveau de pression inimaginable. J’échange avec certains d’entre eux et n’ai pas de jugement mais de l’empathie. »
« Un lien a été démontré par le chercheur John Antonakis entre les profils de leader et des addictions au sexe, à l’alcool et aux drogues, analyse Valérie Petit. Le contexte politique est pousse-au-crime pour ces profils-là. » Son ancienne collègue Caroline Janvier veut donc limiter les risques. « Certains vont dire que je jette le discrédit, mais j’ai rencontré des femmes et des hommes incroyables, engagés pour leur pays. Les dérives sont le symptôme d’un engagement excessif. »